Notre invité cette semaine n'est autre que Mokhtar Tlili, le doyen des entraîneurs tunisiens. Personnage singulier manquant terriblement de diplomatie, de tact, ne mâchant guère ses mots et donc réputé par sa franchise, son verbe souvent acerbe, ses critiques ne ménageant personne. D'ailleurs sa langue fourchue lui a valu bien des démêlés et déboires avec les fédéraux, les présidents des clubs, les médias, voire sa famille l'Espérance Sportive de Tunis ! Mais « Mokh » comme il aime bien qu'on l'appelle n'en a cure, et continue à distiller ses critiques au vitriol en grand technicien, formateur confirmé, éducateur chevronné et imbu de l'amour du football et des couleurs nationales. Entretien : Le Temps : Commençons par le sujet d'actualité, Comment jugez-vous les deux récentes sorties de notre équipe nationale ? Mokhtar Tlili : Deux cadres différents ! Contre le Kenya, match qualificatif et d'une importance capitale, trois (3) points et le néant, en dépit d'un scénario rêvé par tous les entraîneurs et nous autorisant à une balade de santé avec un score fleuve à l'arrivée. Ce qui me désole le plus dans l'affaire, ce sont les explications ridicules ne tenant nullement la route du genre blocage psychologique après l'ouverture précoce du score. Un groupe déséquilibré, des changements inappropriés, même le choix du groupe et des postes était erroné d'entrée ! Nous avons des joueurs autochtones jouant régulièrement ici et dépassant largement ceux faisant banquette ou même évoluant au sein des clubs de deuxième série en France, Allemagne, Grèce, etc. Un Chahed arrière droit qui évolue en milieu alors que Yahia moisit ailleurs me dépasse. Où sont Chermiti et Dhaouadi ? Que fait Issam Jomaa à droite ? Non, les plus en forme, le meilleur au poste au jour J doivent être alignés, il n'y a pas de sentimentalisme, de mes enfants qui tiennent dans l'affaire. On n'est pas là pour contenter les gens ! Par ailleurs aligner trois pivots à la maison équivaut à la volonté de ne pas perdre, sous-entend implicitement avoir peur de l'adversaire, rime avec avalanche d'erreurs avec une petite victoire à l'arrivée au lieu d'un score large et sécurisant. Pour le second match, un amalgame de joueurs sans idées directrices, errant comme des âmes en peine et ne pouvant même pas postuler au titre de l'E.Nle B, C, voire Z . Je dis tout simplement halte au bricolage ! Nos chances au Mozambique dans un mois ? Elles sont réelles et nous avons les moyens de les battre chez eux. Autre facteur militant en notre faveur, la certitude des mozambicains de participer à la CAN du moment le Kenya sera à coup sûr balayé par le Nigeria. N'en déplaise à certains analystes, démagogues en herbe, qui renient la présence de la pression, j'affirme qu'elle existe bel est bien ! La renier est une approche « philosophique » imbécile car jouer chez l'adversaire devant 60 mille spectateurs n'est jamais une mince affaire. Alors cessons d'induire le bon peuple en erreur. Même dans une partie de cartes (Chkobba) au café du coin, la pression est asphyxiante, alors ! Où en-êtes vous avec votre passage à canal + Maghreb comme analyste ? La proposition tient toujours, mais j'ai préféré surseoir à me rendre au Maroc juste après les éliminatoires de la coupe du monde. L'offre émanant du CSHL ne serait-elle pas à l'origine de cette décision ? Absolument pas ! Je dois préciser qu'aucun contact n'a eu lieu entre les responsables banlieusards et moi-même. Mais j'ai lu comme tout le monde ça et là que mon nom circulait en ville à Hammam-Lif, sans plus. Votre avis sur le niveau présenté jusque là par notre compétition ? Un léger mieux par rapport à l'exercice écoulé avec 5 à 6 clubs qui s'équivalent en haut du pavé. Mais dans une déclaration antérieure sur nous colonnes, vous disiez en substance : l'Espérance et les autres ! Auriez-vous changé d'avis depuis ? Je persiste et je signe en ce qui concerne les « sang et or », mais des équipes comme CA, ESS, CSS, ST, CAB ne sont pas des laissés pour compte, et peuvent s'améliorer sous peu et revenir à un meilleur niveau. Mais la première mi-temps justement du leader contre Gafsa a suscité bien d'interrogations voire de lourdes appréhensions parmi son large public ? Le groupe a connu un passage à vide somme toute compréhensible et naturel durant 45'. Wassim Naouara a eu le mérite de pallier à l'absence de ses pairs. En seconde mi temps, et sans trop forcer, l'EST a plié la partie en sa faveur en deux temps trois mouvements, et c'est le lot des grandes équipes qui savent se rebiffer quant il le faut. Réaction violente d'un ensemble disposant d'un mental d'acier et d'une force de caractère peu commune. Les relations avec l'Espérance, votre famille, ont été ternies au soir de ce mémorable match ESS-CAB où on vous reproche notamment une petite phrase fort peu laudatrice à l'endroit de votre équipe mère ? Une histoire montée de toutes pièces par des âmes chagrines jalouses du grand amour éternel que je voue à l'Espérance. Je jouis de l'estime et du respect de toutes les composantes du doyen des clubs tunisiens et c'est un grand honneur pour moi que d'appartenir à cette glorieuse école de civisme. L'Etoile est à la croisée des chemins et marque dangereusement le pas. La rue réclame la tête de Moez Driss. Selon vous, quelles sont les raisons réelles derrière ce tableau de marche peu reluisant des étoilés ? Accabler Moez Driss des maux de l'ESS est un faux problème. Citez-moi un président qui, le moment venu ne prend pas tout seul les décisions importantes. Il est le seul pourvoyeur des fonds, le seul a être jugé lors des AG, il est donc normal que dans la même lignée, il prenne également tout seul les mesures importantes qu'il juge utile à son club. Il est grand temps qu'on arrête de monter le public contre les présidents par ce genre d'allégations de mauvais goût. Car à ce rythme, Il viendra un jour, où on importerait des présidents pour nos clubs. Lotfi Rhim est un excellent technicien, il est cependant jeune et manque terriblement d'expérience volet campagne africaine. Il faut être patient avec lui et le laisser travailler en paix. Un entourage malsain ne peut que nuire au groupe et les véritables supporters doivent assainir l'ambiance au sahel pour le bien de l'ESS. L'autre grand le CA, occupe la seconde place mais avec seulement cinq (5) petits buts réussis à la veille de la huitième journée ! Une moisson concevable selon vous pour un postulant au titre ? L'entraîneur est jugé sur ses résultats ; et sur ce volet l'affaire est bonne pour les clubistes. Mais ils pêchent par un manque de finition devant en dépit du nombre incalculable d'occasions de but qu'ils se créent. Le déclic finira par avoir lieu et avec le potentiel offensif dont ils disposent, ça ne saurait tarder. Le CAB que vous avez entraîné jouait pour le maintien, pour l'heure Larbi Zouaoui en a fait un grand. Le secret de cette métamorphose ? La période de rodage des jeunes lancés l'année dernière par Zouaoui, un excellent formateur est terminée. Physiquement, techniquement et mentalement, Zouaoui en a fait de véritables grands compétiteurs. Il lui reste à gérer maintenant le potentiel dont il dispose avec beaucoup de vigilance. Mais je demeure persuadé que le CAB doit encore mûrir et ses inconditionnels ne doivent pas placer la barre très haut pour le groupe. Il terminera parmi les six (6) premiers. le ST, mine de rien et sans grand tapage se maintient aux avant-postes. Une explication à ce saut qualitatif des bardolais ? Le président a compris les règles du jeu en se contentant uniquement de son rôle administratif et en se démarquant des affaires techniques qu'il a confiées à un grand entraîneur aidé par un directeur sportif très connaisseur en la matière. Voilà la clé de la réussite qui est très simple dans la gestion des clubs où chacun ne doit s'occuper que de ce qui le regarde sans outre passer ses propres prérogatives. L'Espérance a toujours été régie de la sorte. Comment juguler la violence qui gangrène notre sport roi ? La carotte et le bâton. La persuasion, la sensibilisation, mais sévir lourdement quand il le faut et éliminer définitivement les brebis galeuses qui sapent les efforts gigantesques fournis par l'état pour l'essor du sport. Nous jouissons d'une renommée et d'un standing considérables, il faut les préserver et les améliorer. La présence des présidents sur les bancs, comment vous la percevez en technicien ? Nullement dérangeante dans la mesure où ils n'interviennent nullement dans le travail du staff technique. Ils n'ont pas à s'immiscer dans la façon dont le coach dirige son groupe. Mais si d'aventure ils répugnent à entendre certaines phrases, ils n'ont qu'à se mettre dans la tribune et laisser les entraîneurs mener leur barque comme bon leur semble. Durant votre riche carrière, avez-vous soudoyé ou avez-vous été soudoyé par une tierce partie ? J'ai été soudoyé à maintes reprises mais je ne suis pas un homme à vendre mon âme. Qu'en est -il alors des rumeurs persistantes à votre endroit faisant état des caisses noires à mettre à votre disposition et que vous auriez exigées des présidents menacés par la relégation ? Je n'ai jamais eu recours à ce genre de manœuvres. Tous les clubs que j'ai sauvés l'ont été grâce au travail, aux sueurs, aux tripes. Demandez plutôt aux présidents de ces clubs et ils vous confirmeront mes dires : CAB, OK, USMO, ESZ, etc. Pareilles insinuations ne font que nuire à notre compétition. Leurs instigateurs sont connus de tous comme le loup blanc et ils ne me dérangent nullement. Votre oisiveté actuelle serait-elle due à votre âge avancé, ou à la crainte des présidents de les laisser en plan arguant, en malade imaginaire comme par le passé, une grave atteinte cardiaque alors que le lendemain vous débarquiez dans un pays limitrophe comme entraîneur ? Mon âge n'a rien à voir dans l'affaire et je suis en mesure d'entraîner les meilleurs. Concernant ma maladie, elle n'est nullement imaginaire et vous êtes le premier à en attester vu que vous êtes au fait de toutes ses péripéties. Mais je préfère succomber sur le terrain plutôt que de mourir dans mon lit ! Verrait-on le jour où la CAF ne confierait nos matches chocs qu'aux arbitres tunisiens ? Il faudrait l'entrée en lice et la conjugaison de plusieurs paramètres : une sacrée dose de courage de la part des instances pour imposer une telle approche ; nos arbitres doivent également se jeter à l'eau et ne point se défiler avec des maladies diplomatiques, certificats médicaux à l'appui ; les clubs doivent être patients et accepter les erreurs de bonne foi de nos hommes en noir. Car je suis convaincu que les erreurs intentionnelles ne sont pas de mise du moins au niveau de la ligue 1 . Younes Selmi et Hichem Guirat sont très souvent en contradiction en jugeant pourtant une même phase ? Je suis contre ces rubriques car elles ne disposent pas de la logistique idoine pour prendre toutes les phases litigieuses de tous les matches et sous des angles parfaits. Je ne comprends pas par ailleurs comment on enregistre lors d'un match plusieurs irrégularités, et on n'en nous passe en dissection qu'une seule voire pas du tout selon le club en question. Votre avis sur la presse écrite sportive ? Exception faite de quelques rares plumes qui se respectent et qui sont fiables, pour les autres, il me suffit de lire la signature pour savoir exactement dans quel sens elles vont et ce qu'elles vont débiter. Si Mokhtar, nous vous laissons le loisir de clôturer cet enrichissant entretien ? Mes remerciements à votre journal réputé par son sérieux. Je souhaite que la DTN consolide ses assises et prenne ses décisions en toute liberté et autonomie. La qualification bien sûr au mondial africain et fait très important, aller en Afrique du Sud avec les plus méritants pour y réussir une excellente épopée et non pas faire figure de comparses, de seconds couteaux. Entretien conduit par Mohamed Sahbi RAMMAH
