C'est l'histoire d'un homme brillant, qui a réussi ses études très tôt et qui a obtenu ses diplômes avec beaucoup de facilité, devenant enseignant à la fac.. Un haut responsable le distingue alors et l'invite à intégrer son équipe, afin d'y apporter ses compétence et son dynamisme. Il s'est alors engagé dans une aventure qui allait briser sa vie... Les premiers mois furent difficiles, car il était peu habitué aux combines des grandes entreprises et aux coups bas légendaires des administrations centrales. Au début, il faisait son travail sans se soucier des vagues qu'il créait en voulant tout rénover, tout révolutionner. Mais il ne s'apercevait pas que son attitude ferme et sa ligne dure dérangeaient nombre de ses collègues, habitués au train-train quotidien. Les combines et les coups bas allaient dès lors se multiplier... Jusqu'au jour où il fut convoqué par le big boss pour se voir retirer de ses prérogatives et se retrouver au placard, également appelé frigo, pour des raisons déraisonnables et surtout peu convaincantes. La veille, il s'était opposé à un projet qu'il trouvait trop onéreux et inutile, mais que le patron tenait à finaliser coûte que coûte. Depuis, il se rend tous les matins à son bureau pour lire les journaux et siroter un café dont le goût devient un peu plus amer chaque jour...
L'attitude des collègues Des cas comme celui-ci ne sont pas rares, même si leur nombre est en baisse ces dernières années. Des centaines de cadres expérimentés et énergiques sont écartés du cercle de décision, car ils ont osé s'opposer au patron, convaincus que leur point de vue est juste et honnête. Une rigidité qu'ils payent très cher, allant parfois jusqu'à se noyer dans l'alcool et la dépression. Un ancien cadre usé par ce type de situation et profondément abattu nous explique : « Le pire dans cette situation, c'est que mon ancienne secrétaire ne me dit plus bonjour, alors que j'avais contribué à sa promotion. Il y a aussi l'attitude de mes collègues et leurs regards qui fuient lorsqu'ils me croisent dans les couloirs, alors qu'auparavant, ils étaient tous sourires et courbettes et ils m'invitaient chez eux... Un homme à terre, personne ne veut plus le fréquenter. » Son tort c'est d'avoir élevé la voix lors d'une réunion et d'avoir tenu tête à son patron sur la stratégie de l'entreprise pour les années à venir. Il avoue : « Je suis un impulsif et tout le monde le sait... J'ai déjà eu plusieurs brouilles à cause de ce caractère, mais je suis incapable de me taire quand je vois ou que j'entends des absurdités. Je m'énerve trop, mais c'est toujours pour la bonne cause, lorsque je sais que j'ai raison... » On nous a également parlé d'un ancien directeur qui est en dépression profonde depuis la fin des années soixante-dix à cause d'une ambition trop grande. Un ancien collègue à lui a bien suivi l'affaire : « Il voulait être Calife à la place du Calife, comme dans la bande dessinée Iznogoud. Et lorsque son patron de l'époque a découvert ses combines, il a été mis très sèchement sur la touche. Mais il n'a pas supporté son éviction et depuis cette lointaine époque, il se promène dans les rues de la ville, portant des tenues bizarres et tenant un discours incohérent... » Les petites guéguerres au sein des administrations ne sont pas chose nouvelle. Elles ont toujours existé, avec plus ou moins d'intensité. Un psychologue nous éclaire sur ce monde sans pitié : « il y a trop d'ambitions, trop d'intérêts pour que tout se passe dans la convivialité et dans la sérénité entre collègues. Par instinct, l'homme est dominateur. Et il le fait savoir aux autres par des moyens détournés, dans un langage codé et adapté à la vie en société. La violence est alors dissimulée, mais chacun marque son territoire de façon indirecte. Quoiqu'on dise, on n'est pas très loin de nos ancêtres et on garde encore de nombreux instincts sauvages... »
Avancement bloqué L'une des plus grandes frustrations lorsqu'on se retrouve dans le placard, c'est de voir son avancement bloqué ou retardé et ses primes baisser, alors que les autres continuent à en bénéficier. Les revenus baissent alors ostensiblement, avec tous les problèmes qui en découlent. Plusieurs témoins ont évoqué des baisses de revenus de 20% en moyenne depuis qu'ils sont en froid avec leur patron. Et les journées sont longues dans un frigo pour un homme énergique habitué à une activité intensive. Un « placardé » témoigne : « je lis les journaux alors qu'auparavant je regardais à peine les titres. Je fais les mots croisés dont je suis devenu un champion. Je téléphone sur mon propre portable aux rares personnes que j'intéresse encore. J'écoute la radio en sourdine pour qu'on ne me dénonce pas au chef et je rêvasse jusqu'à l'heure de la sortie... C'est vraiment pénible ! » Mais le pire semble être la situation familiale qui se crée alors et qui ne manque pas de toucher l'épouse et les enfants. La ligne du téléphone direct est coupée. La voiture de fonction est parfois retirée ou changée pour une autre, moins neuve, moins confortable. Les voyages qui permettaient de ramener des cadeaux disparaissent en même temps que les frais de mission. On entre alors dans le cycle infernal de la dépression et de ses aléas, avec parfois le divorce et la dislocation de la structure familiale au bout du chemin. Mettre quelqu'un au placard, c'est priver le pays de son expérience et de son rendement. On peut ne pas être d'accord avec l'un de ses subalternes, mais il faut éviter de l'isoler, car cela nuit à sa santé et à l'ambiance générale de l'entreprise. Tout le monde devient stressé et méfiant, ce qui bloque tout esprit d'initiative et toute innovation. On se dit « pourquoi vais-je me créer des problèmes avec des propositions pertinentes ou m'opposer au patron, alors que je peux rester tranquille dans mon coin... » Et là, on ne sert pas son entreprise, ni son pays...