Les campagnes anti-tabac sont nombreuses et variées, mais leurs effets restent minimes, car ils donnent rarement la parole aux principaux intéressés, ceux qui veulent se débarrasser de cette drogue sans y parvenir. Nous avons donc décidé de donner la parole à ceux qui tentent d'arrêter de fumer afin que leur entourage, mais aussi les médecins et les faiseurs de lois anti-tabac puissent prendre conscience de cette souffrance silencieuse, qui se résume souvent dans une seule phrase : « je veux arrêter de fumer, mais je ne peux pas ! » La première victime du tabac que nous avons rencontrée est une dame, la quarantaine, accro depuis une vingtaine d'années. Au bout d'une énième tentative de plusieurs semaines de sevrage volontaire elle avoue, comme s'il s'agissait d'un crime : « hier, j'ai craqué et j'ai allumé une cigarette ! Les premières bouffées étaient divines, mais depuis je ne cesse de culpabiliser... Au secours ! » Le secours, certains ont cru le trouver dans les fameux patchs qui donnent au corps sa dose de nicotine, tout en lui évitant les fumées néfastes. Mais les résultats n'ont pas toujours été à la hauteur des espérances. Une autre dame, fumeuse invétérée depuis l'adolescence, affirme « les patchs ne m'ont pas beaucoup aidé et je reste convaincue qu'ils ne servent qu'à enrichir l'industrie pharmaceutique. » Un argument que nous avons souvent rencontré au cours de nos entretiens avec les fumeurs et qu'un médecin explique en ces termes : « plusieurs facteurs entrent en jeu dans le sevrage tabagique... Il y a l'environnement : si on va tous les jours au café avec des amis qui fument, on sera vite tenté. Il suffit d'un moment de faiblesse. Il y a aussi ce que l'on appelle le geste, cette manie que les fumeurs ont de sentir leurs mains vides, alors que le manque est dans leur tête. Il y a aussi la personnalité du fumeur : arrêter de fumer demande une grande force de caractère... »
Chers les patchs Conclusion de notre médecin : « le patch aide, c'est prouvé scientifiquement, mais il ne résout pas tous les problèmes. » Un jeune informaticien témoigne : « j'ai utilisé les patchs et je trouve que ça aide, ça rend les choses plus faciles. Mais le coût de ces substituts reste élevé chez nous, autant sinon plus que les cigarettes elles-mêmes ! Il faut que les pouvoirs publics fassent un effort pour diminuer leurs prix s'ils veulent que les gens cessent de fumer dans les cafés et ailleurs. » Comment alors certains parviennent-ils à arrêter de fumer sans substituts ? Un étudiant en médecine, qui a arrêté sans aucune aide, nous a fait un cours sur les effets du tabac « la nicotine disparaît relativement de l'organisme : au bout de quinze jours maximum. Mais le cerveau va demander sa dose de nicotine, car certains capteurs restent actifs. Sentir l'odeur du tabac, c'est comme allumer ces récepteurs de nicotine dans le cerveau ! Il va crier famine comme un ventre vide... Le tabac nous obsède et nous empêche alors de penser à autre chose. » Un ancien sportif de haut niveau est tombé dans le vice du tabac à la fin de sa carrière. Aujourd'hui, devenu entraîneur, il tente de s'en débarrasser : « je pensais être fort et je me disais je vais en fumer juste une. Mais une cigarette en appelle une autre, un cercle vicieux qui fait que le lendemain je rachetais un paquet ! Alors j'essaye de m'occuper au maximum, histoire d'éviter d'y penser. Le plus dur c'est le soir... Mais je crois que pour cette fois, je ne vais pas tenir le coup, il y a trop de changements dans ma vie : boulot, maison, mariage, c'est trop de stress pour un seul homme ! » Multirécidiviste Le plus ancien fumeur que nous ayons rencontré a commencé dans les années soixante. Il a grillé des millions de cigarettes et a fait deux crises cardiaques, mais il ne s'est toujours pas arrêté de fumer. « J'adore la clope. Je ne supporte pas le sevrage, même si je sais que la prochaine crise cardiaque sera la dernière ! » Un contre exemple qui fait frémir, surtout lorsqu'il ajoute : « si je nettoie mes poumons, ils vont s'encrasser de nouveau avec la pollution, alors... » Une dame dont les enfants sont aujourd'hui grands, nous a avoué « d'habitude, les femmes enceintes détestent jusqu'à l'odeur du tabac, mais moi j'ai continué à fumer lorsque j'étais enceinte. J'avais peur d'avoir une grossesse compliquée, mais je ne pouvais m'en empêcher... Heureusement cela n'a pas eu de conséquences sur mes enfants. Mais je ne le conseille pas aux femmes, car si les enfants ont la moindre anomalie, on se le reprochera toute sa vie..» Le plus troublant dans les propos de tous ces fumeurs c'est le terme de « pulsions » qui revient régulièrement dans leurs propos, comme s'il s'agissait d'une force qui dépasse toute volonté et toute logique. Cette même dame reconnaît « j'ai rencontré un psy, mais je ne crois pas qu'il ai le pouvoir de résoudre l'ensemble des problèmes. Certes, j'ai résolu quelques complexes grâce à lui, mais je fume toujours.... » D'autres évoquent les problèmes parallèles du tabac : « depuis que j'ai arrêté de fumer, j'ai pris du poids, car je mâche du chewing-gum, je mange des bonbons, des fruits secs... Et mon frigo ne reste pas longtemps plein. » Une tendance à l'obésité qu'un nutritionniste nous a confirmée, mais il apporte un bémol : « cela arrive effectivement au début, mais avec le temps, le corps finit par se réguler et on retrouve son poids habituel, à condition de se surveiller... » Côté témoignages positifs, un couple nous a avoué « avoir retrouvé la flamme des débuts » depuis que tous les deux ont décidé d'arrêter en même temps. Il est loin le temps où il souffrait de l'apnée du fumeur, cette coupure de la respiration qui intervient la nuit. Et elle s'est enfin arrêtée de tousser, de se sentir essoufflée lorsqu'elle monte les escaliers. Dans leur couple, les rapports sont devenus plus fréquents, le désir a grandit et le plaisir s'améliore.. Un quadragénaire reconnaît : « c'est vrai je me sens délivré après ce combat contre moi-même qui a duré de longues années. Je me sens plus jeune, plus frais, surtout depuis que je fais du sport et j'ai l'impression que mes poumons ont envie de libérer la crasse qui traîne encore au fond d'eux...» Il ne veut même plus voir un paquet de tabac, car dit-il « acceptez une cigarette et les autres défilerons. » Il a même économisé de l'argent : « c'est comme si j'avais une augmentation de salaire de cent Dinars ! » Ces témoignages positifs ne doivent pas faire oublier l'oppression physique que l'on ressent au début du sevrage, ni les angoisses et l'énervement à la moindre contrariété. « C'est très inconfortable, mais c'est passager, il ne faut pas s'en inquiéter outre mesure. Il faut surtout penser au plaisir de retrouver le sens du goût et de l'odorat que l'on perd partiellement à cause du tabac », conclut le médecin.