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Le Tunisien face à ses démons
PARADOXES
Publié dans Le Temps le 11 - 01 - 2010

L'insoutenable télescopage spatial et temporel des contraires
Au centre ville, une foule de fidèles prie sur le trottoir de la mosquée bondée. Non loin de là, tout aussi nombreuse, une multitude, bigarrée, encombre la chaussée, face au débit de boissons alcoolisées. Ainsi, à la rue Ali Dargouth, les fidèles aux paradis artificiels arrêtent leur voiture devant le point de vente, bloquent le passage et entrent acheter le prohibé.
La fébrilité, les regards furtifs, la fausse décontraction et les bouteilles cachées aux regards inquisiteurs exhibent l'ambiguïté, ou l'ambivalence des attitudes adoptées envers un breuvage à la fois illicite et convoité.
Quelques-uns, rares, commencent à tituber, sans, pour autant chavirer, tout à fait. Ici, les vapeurs éthyliques embaument l'atmosphère de l'embouteillage provoqué par le sans-gêne immodéré.
Observée à l'échelle de la société globale, cette conjonction, paradoxale, du vin et des louanges adressées au divin hante, aussi, l'esprit de chacun, ou, plutôt, de quelques-uns.
A table, un convive cuve sa bière, entend, soudain, l'appel du muezzin, quitte le cercle d'amis réunis autour du gai festin, rejoint le tapis étalé, tout près, à terre, et accomplit sa prière.
Là où mon regard, perplexe, voit l'insoutenable télescopage, spatial et temporel, des contraires, lui, ne perçoit, semble-t-il, rien de si extraordinaire. Son expression intriguée par mon air étonné pointe vers le seuil à franchir entre le profane, ou l'illicite, et le sacré.
"Chaque chose à sa place" fut l'unique réponse donnée à ma question posée. En guise d'une possible interprétation, un carrousel d'explications accourut au secours de ma cogitation. Futé, Marcel Mauss écrivait "les tabous sont faits pour être violés".
A propos de l'irrépressible aiguillon, remué par le désir omnipotent, Freud incriminait "le retour du refoulé" Pascal, n'en déplaise à l'éthos où baignent les soutanes, lègue à l'exploration psychanalytique ce paradigme à la fois crucial et génial : "qui veut faire l'ange fait la bête".
Ces trois propositions, parmi d'autres, le montrent, les grands esprits se rencontrent.
L'attrait fatidique de la pomme
Le trio des religions monothéistes, lui aussi narre l'histoire de l'homme piégé par l'attrait, irrésistible et fatidique, de la pomme. De multiples manières, et par une série de médiations, le socialisé produit sa propre adversité. Une observation afférente à l'autodestruction et au cursus léthal suffit à illustrer la dramaturgie paradoxale. Programmé par le bourreau de lui-même, le cancer tabagique pousse le jeu avec la mort vers sa forme d'expression extrême. Mine de rien, avec le tabac, l'humanité inventa l'un de ses plus redoutables assassins.
Petit pays, la Tunisie produit, tous les ans, neuf mille cancers supplémentaires. Mais, par leur anonyme froideur, les chiffres, si élevés soient-ils, peinent à suggérer le vécu existentiel de l'horreur.
A Kerkennah, je fus mandaté, par le ministère de l'Environnement, à diriger une recherche appliquée aux ressources halieutiques de plus en plus surexploitées. L'un de mes coéquipiers, natif de l'île aux trésors naturels, convia le petit groupe d'étude à honorer, sans façon, l'invitation de ses parents.
Ici, le don, sans contre don, n'a pas encore divorcé avec la trame des relations.
Dès l'arrivée, la famille, entière, à l'exception du père, nous accueillit d'une manière si l'hospitalière que nul n'aurait osé assumer l'indélicatesse de refuser l'offre, généreuse, du gîte et du couvert.
Nous bavardâmes, longuement, avec la mère et les enfants.
Mais, en dépit de l'ambiance chaleureuse et de l'allégresse, je subodorai, dans l'air, une espèce de pudique détresse. Un, je ne sais quoi soufflait, derrière les mots enjoués, ceux, non dits, de l'effroi. Vers la fin du repas, copieux, l'aînée des frères et sœurs nous confia cet aveu :"Mon père est là. Il viendra vous dire bonjour, tout à l'heure ; mais il ne pouvait manger avec nous. Il fume plus d'un paquet, par jour, depuis trente ans. Malgré notre insistance et toute notre affection, il n'a jamais voulu arrêter".
Quand le père vint, enfin, j'ai tressailli, sans broncher, avant même de saisir le sens de l'absence et la raison de l'immense chagrin. Enroulé autour du cou, un large bandage masquait le trou, béant, de la gorge perforée pour venir à bout du cancer avant la métastase de sa phase dernière.
L'ambiant familial, si amical, contrastait avec la tonalité introduite par l'apparition de l'homme sans voix ni joie. Il ne demeura, près de nous, qu'un bref moment.
Deux signaux, contradictoires, fusaient, l'un de ce temps raccourci, et l'autre de la durée consentie par le cercle de la famille réunie sans l'exclu malgré lui. A travers ma projection, spontanée, dans sa position, je supputais le sentiment de culpabilité sans doute campé au premier rang de ses démons.
Inspecteur des finances et propriétaire terrien, ce père assurait aux siens une réelle aisance matérielle.
Sans le plus insidieux des monstres hideux, il paraissait avoir tout pour être heureux, quand bien même les voies de l'inconscient brouillent une certaine vision de la raison.
C'est pas toujours la faute aux cartels
Pour l'année 2008, 7,6 millions de personnes endurent, jusqu'au trou, la mort lente. Est-ce la faute aux profits, colossaux et criminels, des sinistres cartels ? Mais l'évidence pèche, le plus souvent, par son côté superficiel. Par-delà nos recherches, naïves, du pourquoi, il reste à franchir la frontière du pire. Le passage, difficile, quitte le champ du banal et aborde le continent du subtil. D'une part, le cigare traumatise les voies respiratoires et de l'autre il démoralise la maisonnée du matin au soir.
Mais, selon l'épouse et les enfants, le fumeur impénitent demeure sourd face aux supplications.
Le mariage de l'état de grâce à l'état de siège
L'interprétation classique, et véridique, de l'addiction relève de l'investigation psychophysiologique. La nicotine désamorce la tension et procure le plaisir par l'entremise de la dopamine. Soit, mais après ce pas, notoire, en avant, les biologistes préfèrent s'en tenir à trois pas en arrière. Comment expliquer ce lâcher du manche après la cognée ?
Ici, frappe à la porte l'interdisciplinarité. En effet, l'incomplétude éprouvée par les drogués plonge ses racines souterraines dans un manque plus profond, radical et impossible à colmater. Nous entrons là dans le domaine des sciences humaines et de leur unique observation sûre et certaine. La vie n'a pas de sens et nous tâchons de combler la béance de cette absence pas nos donations de sens. La pose de ces repères nous procure l'illusion de maîtriser le chaos. Trois ou quatre indications suffiront à illustrer la problématisation.
A sa naissance, l'enfant n'a pas de nom et nous mettons à contribution ce vide pour lui coller une appellation. De même, par une espèce de sortilège, le mariage, code régulateur des rapports sauvages, aménage le passage de l'état de grâce à l'état de siège. Et pour socialiser la mort, invisible, nous regardons un tombeau.
Quant aux frontières, elles aussi arbitraires, Israël commence par les tracer, sur la terre usurpée, avec le sang des Palestiniens attaqués puis, évacués, avant d'imputer ces limites à je ne sais quelle sacralité. Nous imposons des codifications artificielles et nous les donnons à voir pour des œuvres divines ou naturelles. Paradoxe fondateur de tous les paradoxes, l'absence de sens assignable à l'existence creuse la béance où baigne l'inhumaine condition humaine. De cet appel du vide provient l'attraction de l'autodestruction.
Eu égard, à ce gouffre sans fond, le stress dû au train-train quotidien n'est rien.
Ces considérations paraissent outrepasser la règle de l'empiricité par quoi la sociologie prétend différer de la philosophie. Mais pareille distinction demeure à relativiser. Née en Grèce, au siècle de Périclès, et morte en Allemagne, à l'ère de Heidegger, la grande philosophie cède le terrain, certes, aux sciences dites sociales, mais sans, pour autant, jamais cesser à la fois de les enrichir et de les surplomber. Pour le disciple de Socrate, le commun des mortels, reclus dans la caverne perçoit l'ombre du réel.
Et maintenant, nous le savons la réalité sociale n'existe pas hors de nos représentations. Face à cette vacuité cachée, boire et prier associent la vision religieuse du monde à l'autre moyen de conjurer la terreur éprouvée aux abords de l'impensé.
Tous les humains ont à voir avec l'égalité devant le rire, narquois et terrible, du rien. A France - Télécom, ou ailleurs, pour passer de vie à trépas, les cadences imposées par la hiérarchie et la concurrence ne suffisent pas. Dans l'explication, dernière, de la tentation suicidaire, l'influence du social finit là où l'incidence du méta social commence.
Eu égard à ces conditions générales, toutes les sociétés sont paradoxales. La vie n'a pas de sens, et le tueur de lui-même en tire l'ultime conséquence. Quelque part, il nous ressemble, surtout quand vient la mélancolie des mauvais soirs !


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