Notre chevauchée dans "la mémoire du Temps présent" s'arrête à l'auberge d'un auteur majeur le philosophe et journaliste éditorialiste émérite, du célèbre quotidien français "le FIGARO" Raymond Aron. Nous avons en mémoire la botte de livres qu'il a déposée un jour sur la table d'honneur du collège de France pour être acclamé debout, après cette insolite soutenance, par une assistance des grandes maîtres de la pensée moderne. Parmi ces libres je cite : "L'opium des intellectuels", "Dix-huit leçons sur la société industrielle", "Les étapes de la pensée sociologique", "Démocratie et totalitarisme", et qui restent d'une grande actualité. Cet auteur visionnaire mais si aimable et si humble avait une table au "café du Gay Lussac" au quartier latin où quelques disciples et étudiants, il faut le dire bien peu nombreux à l'époque, s'asseyaient à ses côtés admiratifs et fiers d'écouter le Maître disserter sur l'évolution du monde, des idées et des civilisations en général. Pourtant à la même époque et juste avec la révolution des jeunes de 1968 à Paris, le "Héros" et la légende étaient ailleurs : qui d'autres que Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir qui tenaient boutique tantôt au "Deux magots" tantôt au café "Flore", en face du "Mabillon" le resto universitaire universellement connu par des générations d'étudiants du monde entier, pouvaient attirer la ferveur des jeunes de l'époque. Sartre le philosophe de l'existentialisme tenait la vedette et pour cause : son immense charisme et sa personnalité hors du commun étaient inimitables. Il brillait aussi par sa trilogie "Les chemins de la liberté" et transcendait par son "Huis clos" toutes les scènes théâtrales du monde. Simone de Beauvoir, quant à elle avec "Le deuxième sexe" et "Les mémoires d'une jeune fille rangée" faisait éclater les structures et les mentalités de la bourgeoisie française et européenne "bien élevée". Sartre distribuait lui-même flanqué de sa pipe célèbre, de son cache-col et son costume velours côtelé "La cause du peuple", diffusant l'idéologie ultra révolutionnaire chinoise de Mao Dzé Toung. Les idées de gauche étaient au zénith, le marxisme triomphait de toutes les autres idéologies et les publications de l'éditeur "Maspero" faisaient tabac. Même les élites intellectuelles maghrébines et arabes : Abdallah Al Aroui, Samir Amine, Anouar Abdelmalek s'étaient ralliées à cette vague immense... un véritable Tsunami ! Et pourtant... Raymond Aron qu'on traitait de penseur "Bourgeois" et non sans mépris de "contre révolutionnaire de droite" s'accrochait tel un naufragé à sa planche de salut : "Le néo-libéralisme". Aux idées marxistes et au concept de lutte des classes passant par la dictature du prolétariat et la révolution permanente, il opposait la sacralité de l'individu, sa liberté, sa dignité et son rôle moteur dans l'histoire et la civilisation... pour lui le sens de l'histoire n'est pas la révolution et son aboutissement violent sanguinaire et finalement injuste mais la réforme aux dimensions humaines à la source de tous les changements durables... et bénéfiques parce que pacifiques. Raymond Aron trône aujourd'hui sur le débat des idées politiques... son héritage a été repris par l'ensemble de la science politique moderne et surtout américaine avec des auteurs majeurs comme Talcott Parsons, David Easton, Edward Shills et Samuel Huntington. Aujourd'hui l'idéologie révolutionnaire bat en retraite, elle a du plomb dans l'aile et les révolutions qu'elles soient sociales ou messianiques ont presque toutes et universellement engendré le despotisme pour ne pas dire le totalitarisme... Raymond Aron l'enseignait déjà dans les années soixante alors qu'il était terriblement seul. Aujourd'hui l'évolution du monde lui donne raison et "La cause du peuple" elle-même a changé de cap ! Voyez la Chine après Mao, elle a enfourché le cheval de Deng Siao Peng le néo libéral et voici qu'elle s'apprête à occuper le toit de l'économie du monde... en attendant la suprématie politique et stratégique. Belle revanche que celle de Raymond Aron... méritée, parce que l'histoire honore toujours les visionnaires et leur rend hommage et justice alors même qu'ils ont souffert les martyrs de leur vivant. Salut... maître... je ne vous ai pas oublié !