Il a fallu du temps pour que les choses se décantent. Mais la mémoire « silencieuse » n'exclut pas le travail de mémoire. Comme elle n'empêche pas l'Histoire de continuer son cours, à rebrousse-chemin, quand une chape d'oubli a recouvert comme un linceul, des vérités qui dérangent. Et ne font pas que déranger. Jusqu'à ce que quelqu'un ait le courage de prendre d'une main de fer, le taureau par les cornes, pour lever le silence. Quelqu'un qui serait investi des pleins pouvoirs, pour avoir l'autorité de le faire, et déclencher en cela le processus de reconstruction. D'une mémoire, et d'un pan d'Histoire chauffé à blanc. A deux reprises au moins, et toutes proportions gardées, Chirac s'y est attelé. Pour les victimes de la tristement célèbre « Rafle du Vel d'Hiv », et pour ces soldats « indigènes » qui se sont battus pour la France, et que la France a oublié. Il l'a fait, quand il était encore en fonctions, pour engager, non seulement sa personne, mais l'Etat tout entier parce que c'était ce qui comptait. Pour que ceux qui avaient été spoliés du devoir de vérité à leur égard, puissent retrouver avec cette reconnaissance, leur dignité bafouée. La souffrance durera… Avant-hier soir sur France2, et à l'occasion de la sortie dans les salles de cinéma, du premier film, jamais réalisé sur la « Rafle du Vel'd'Hiv », la lumière fût jetée sur une page sombre de l'histoire de la France de Vichy, à travers un débat qui a réuni nombre de personnalités qui furent les témoins directs de cette tragédie, ou leurs descendants, pour témoigner de « l'innommable ». Débat qui fut suivi d'un documentaire intitulé « La traque des nazis », se basant sur des archives audiovisuelles, d'une importance capitale, pour montrer, même si le plus souvent les images étaient insupportables et très dures, jusqu'à quel degré d'inhumanité, des hommes et des femmes se sont laissés aller, participant à l'horreur avec une frénésie incroyable, au-delà de ce que les mots peuvent exprimer. En oubliant que l'histoire, la grande, ne pardonne pas. Et qu'un jour ou l'autre chacun sera appelé à payer son dû. Wiesenthal en appellera à la justice, mais pas à la vengeance, et Serge Klarsfeld ainsi que Beate, sa femme allemande qui a épousé sa cause, traqueront eux les criminels sans répit, jusqu'aux coins les plus reculés du monde. Car pour Klarsfeld dont le père a été déporté et n'en n'est pas revenu, il n'est pas question d'attendre une justice qui peut tarder, quand des tortionnaires courent toujours. Et peu importe les moyens pour ce faire, les coupables doivent payer. Et ce n'est jamais assez. Une image, une seule, filmée d'ailleurs par un soldat allemand, montre un soldat SS, qui tente de séparer un tout petit enfant de sa mère, avant que cet enfant ne soit abattu. Sous les yeux de sa mère. Il n'y a pas à faire de la surenchère sur l'horreur, ni sur les images qui ont témoigné de l'horreur. Et entre Resnais et Ophuls, il n'y a pas de différence de focales, -ce qui relèverait de « l'abjection » selon les mots de Rivette-, car ce qui compte, ce sont ces images que tous les « faussaires » de la mémoire ne peuvent effacer. Et cela aussi : que l'évocation de l'horreur, et de l'inhumanité des hommes qui hélas, ne connaît pas de frontières, nous renvoient immanquablement à d'autres horreurs, d'autres injustices perpétrées aujourd'hui. Souvent par ceux qui furent les victimes d'hier. Comme si la mémoire était sélective. Ou qu'il fallait absolument qu'elle soit morcelée. Pour absoudre des vérités qui dérangent. Avi Mograbi avait titré un de ses films : « Pour un seul de mes deux yeux ». Le mythe de Massada est toujours riche d'enseignements…