Le centre de gravité des expositions d'art moderne est habituellement parisien. Avec l'ouverture à Metz d'un Beaubourg bis il s'est déplacé vers l'Est, en Lorraine. L'heure est à la décentralisation des musées. Ils essaiment : Beaubourg-Metz est présenté comme une institution sœur de Beaubourg-Paris. Le Louvre se transportera à Lens, dans le Nord, en 2012 et à Abou Dhabi en 2013. Le concepteur du bâtiment est l'architecte japonais Shigeru Ban, connu pour privilégier les constructions souples et légères, associé à Jean de Gastines. Il a un air de grand chapiteau blanc excentré dont les bords ondulent. La structure est un vaste cannage de planches en hexagone recouvert d'une membrane textile qui diffuse la lumière naturelle du jour. Le point commun architectural avec le Beaubourg parisien est la tuyauterie extérieure. A Paris, les architectes Renzo Piano, Richard Rogers et Gianfranco Franchini avaient pris le parti de dégager les espaces d'exposition en déportant sur les façades, les réseaux et les appareillages. Ce qui fit baptiser le Centre Pompidou de raffinerie ou d'usine à gaz. A Metz, l'immeuble, lui aussi, a déjà un surnom : le chapeau chinois. Comme à Paris, il faudra voir comment avec le temps le bâti s'inscrit dans le paysage. Il faudra du temps encore pour que l'identité de cette institution d'un nouveau genre se précise. En effet, elle est autonome, il ne s'agit donc pas d'une antenne mais ce n'est pas non plus un musée puisqu'elle n'a pas de collection propre ni vocation à en constituer. En fait, ce sont des arguments concrets qui sont principalement avancés pour motiver l'installation à Metz : Tout d'abord, l'intérêt d'espaces de grandes dimensions pour mettre en valeur des œuvres monumentales. Ainsi, Metz pourra accueillir le rideau de scène réalisé par Picasso pour le ballet Parade, à la demande de Diaghilev, en 1917. Ensuite, l'abondance des réserves du fonds parisien - la plus grande collection d'art moderne et contemporain en Europe - environ 65 000 tableaux, sculptures, dessins. A Paris, seules quelques milliers de pièces peuvent être exposées en même temps. Beaubourg a décidé d'adopter pour son exposition inaugurale, intitulée «Chefs-d'œuvre ? » une thématique que l'on croyait reléguée dans les oubliettes de l'histoire de l'art. Le point d'interrogation marque la prudence comme si le Centre-Pompidou-Metz proposait d'interroger la notion de chef-d'œuvre et laissait, avec prudence, les visiteurs choisir. La plus part des œuvres présentées, près de huit cents au total, sont célèbres. Et elles composent un assortiment étonnant où voisinent Braque, Brancusi, Ben, Cartier-Bresson, César, Klein, Annette Messager, les Delaunay, Pollock, Miró, Brassaï, Méliès, Dali... Mais les artistes créent-ils encore sciemment des chefs-d'œuvre ? A l'âge classique, le chef-d'œuvre était la pièce de réception que l'apprenti présentait pour accéder au grade de maître. La notion s'est défaite avec la fin des académismes. Pourtant, elle ressurgit périodiquement comme par une sorte d'alchimie où se mêlent la passion de l'artiste, l'avis de la critique, les résultats des ventes et l'approbation du public. Un récent sondage fixait le palmarès des œuvres d'art plastique du XXe siècle. Viennent, en tête Les Demoiselles d'Avignon de Picasso, puis Le Quadrilatère noir de Malevitch, La Roue de bicyclette de Duchamp, La Danse de Matisse... Au fond, l'idée de chef-d'œuvre à quelque chose de rassurant et de confortable. Surtout face à des réalisations artistiques qui veulent surpasser l'expression et la figuration. Le Critique d'art de la nouvelle de Dino Buzzati avait à sa manière réglé la question du chef-d'œuvre. Face à des œuvres non conventionnelles dont il ne sait que dire, il écrit, à la manière de son sujet, une critique non conventionnelle. A œuvre abstraite, critique abstraite.