Il est tendre et attachant, farfelu et fantasque, tête en l'air et joyeux drille, maladroit et fonceur, il nous fait rire jusqu'aux larmes quand il s'emmêle les pinceaux, accumule les gaffes, le nez en l'air, et la tête dans les nuages, toujours un tempo décalé sur tout le reste. Et c'est peut-être pour cela et en cela qu'il demeure éternel… La pipe au bec et la démarche hasardeuse, comme encombré par sa très haute silhouette, il semble avoir du mal à maîtriser sa gestuelle, et pourtant il est précis à sa manière, comme une horloge suisse déréglée et anachronique, mais une horloge suisse quand même puisque le bonhomme a ses rituels, son code intérieur comme une sorte de code d'honneur qui fait feu de tout bois quand il s'agit de refuser de s'aligner sur un modèle. Car justement il n'est pas du genre à « s'aligner ». Ni à se laisser aliéner pour ne pas être mis en marge. Et tant pis si cela lui coûtera une certaine part de solitude et de mélancolie diffuse, lesquelles transparaissent subrepticement d'une œuvre l'autre, à mesure que le récit déroule son fil, combien même il s'entêterait à jouer les clowns d'un soir ou les saltimbanques d'un jour à la poésie délurée et sur le fil –de la dentelle- puisqu'il demeure attaché à son idéal, et que cet idéal qui a beaucoup à voir avec l'humanité des hommes en nous, reste sa marque de fabrique. Comme la part d'enfance que l'auteur de « Mon Oncle » cultive joyeusement, presque à son corps défendant serait-on tenté de dire, s'il ne s'agissait d'un cinéaste : en l'occurrence Jacques Tati (Monsieur Hulot…), réputé pour être d'une exigence et d'une rigueur rares, au point d'y laisser un jour sa « chemise » et ses dernières forces, rien que pour avoir donné un jour chair et corps à ses rêves de cinéaste. Et aux rêves tout court… Dans le but de clore l'année cinématographique en beauté, l'IFC (Institut Français de Coopération) a choisi de programmer, les 24 et 25 juin courant, deux œuvres majeures de Jacques Tati : « Playtime » et « Les vacances de Monsieur Hulot », en plein air et sur grand écran à la Médiathèque Charles-de Gaulle. Un cadeau de taille et un rendez-vous à ne rater sous aucun prétexte ! Sauf que si le premier (playtime) sorti en 1967 n'a pas porté bonheur au réalisateur de « Jour de fête », le second, en fait son premier long-métrage, sorti en 1953 (en noir et blanc) a assis très vite sa popularité de cinéaste génial et d'acteur truculent au charisme singulier, dont l'œuvre n'a pas pris une ride. Et a traversé les générations sans rien perdre de sa force ni de son charme acidulé, dans la forme et dans le fond, rendant ainsi le plus juste hommage à un artiste et réalisateur qui vient de l'univers du music-hall, adore le cirque et les gags, à la manière de Pierre Etaix qui a beaucoup collaboré avec lui à ses débuts, et a compris très tôt, bien avant que le nouveau siècle se mêle de disséquer les dérives et les dangers de la globalisation, que le salut était dans l'Homme. Et dans l'Homme tout court. Et que le reste, les faux semblants comme le tintamarre inutile, sont tout juste bons à nourrir la bande-son, d'un arrière fond, de préférence à peine audible, l'essentiel étant ailleurs, à capter au cœur des images, toniques et vibrantes, comme le bruit d'un moteur vrombissant ou une porte qui claque, dans un film de Jacques Tati à déguster sans modération. Une station balnéaire qui étire son ennui face à la mer, avec ses estivants au long fleuve tranquille est chamboulée par l'intrusion virevoltante et primesautière d'un personnage qui traverse le paysage, et la vie sans se lester de plomb, et qui n'en n'a cure dans « Les vacances de Monsieur Hulot ». Un Paris futuriste et froid, à l'architecture rectiligne et démesurée qui ne laisse aucune place viable au rêve, et à l'amour, sauf par effraction grâce à l'opiniâtreté tenace d'un M. Hulot, perdu dans les dédales de couloirs qui lui ressemblent, fut-il ici démultiplié à l'infini, dans un « Playtime » visionnaire et merveilleusement bien orchestré. D'autant qu'on ne sait jamais si une soirée d'inauguration au « Royal Garden », censée être huppée et soft, ne va pas s'achever dans une hécatombe, avec bruit et fracas, au petit matin gris et hagard, n'était-ce qu'on est dans un film de Jacques Tati, que le burlesque et l'humour nous guettent à chaque tournant, au point que le spectateur, pris dans le vertige d'un tourbillon dont il n'est pas pressé d'émerger, se prend à rêver qu'au bout du chemin, quand tout cela se sera décanté, il retrouvera une aire de repos, une clairière, un coin d'ombre, ou tout simplement des murs à hauteur d'Hommes pour s'abriter, à l'ombre de Monsieur Hulot, et retrouver la paix de l'âme…