Nicolas Bouzou, économiste français et auteur de l'ouvrage « Le capitalisme idéal » au Temps : « Le boom des marchés émergents est structurel, et il est lié à la qualité de la politique économique qui y est menée. » • «Le développement des marchés émergents va continuer. La Tunisie ne fait pas exception. J'y attends une croissance d'environ 4% cette année. » Directeur des études à la Law et Management School de Paris II Assas, où il enseigne en MBA, Vice-président du Cercle Turgot, membre du conseil scientifique de la DFCG, expert APM sur le thème « Comment les entreprises peuvent profiter du contexte économique «, chroniqueur sur plusieurs chaînes de télévision et de radio ; membre de l'association des conférenciers professionnels, auteur pour la Fondation nationale pour l'innovation politique, directeur de la collection « Le capitalisme en mouvement « chez Eyrolles,il estl'un des économistes français les plus demandés en conférence en France et en Europe. Economiste et directeur du cabinet d'analyse économique et financière Asterès, Bouzou est l'auteur, aux éditions Eyrolles, de Petit Précis d'économie appliquée à l'usage du citoyen pragmatique (2007) et de Krach financier (2009). Il dirige la collection « Le capitalisme en mouvement «. Il vient de publier un dernier ouvrage intitulé «Le capitalisme idéal» riche voyage a travers l'histoire de l'économie qui s'appuie sur un constat simple: si le capitalisme a survécu à la crise économique 2008-2009, il continuera toujours d'exister et ne cèdera plus. Du coup, il faut «améliorer le capitalisme par le capitalisme».En analysant les réponses apportées à la crise de 2008-2009, cette étude invite les acteurs à de plus grandes responsabilités. Selon l'auteur, tous les individus peuvent contribuer à améliorer le modèle économique du capitalisme, pour éviter toute dérive. Du nouveau visage de l'économie de marché. Si le capitalisme est un système imparfait, il n'en est que plus perfectible. Ne le renions pas, mais n'en nions pas les injustices. Aussi appartient-il à chacun de mettre en œuvre un capitalisme contemporain plus éthique, plus solidaire, plus juste. Pourquoi une crise financière ? Pourquoi celle-ci ? Pourquoi une telle ampleur ? Est-ce une crise de l'économie de marché ? Les crises sont des périodes d'ajustement nécessaires qui viennent corriger des déséquilibres. C'est vrai des récessions comme des crises financières. La fin des années 1990 et les années 2000 ont été marquées par une forte croissance mondiale, mais aussi par des politiques monétaires trop laxistes, avec des taux d'intérêt trop bas, et par un envol pas toujours maîtrisé du crédit au secteur privé. Il existe en principe une supervision bancaire et financière, mais elle a mal fonctionné. Est-elle différente de celle de 1929! Je crois. Il y a au moins trois différences. La première : les Etats ont plutôt bien réagi à la crise, en permettant au système financier de continuer d'alimenter l'économie réelle. On n'a donc pas eu de rupture brutale dans l'offre de crédit. Deuxième différence : nous sommes au début d'une révolution industrielle qui va des nouvelles technologies de l'information au vivant en passant par l'énergie. Il y a là un formidable réservoir de croissance. Dernière différence : il y a aujourd'hui un véritable boom économique dans les pays émergents, y compris en Afrique du Nord. Je crois que ça va durer. La crise actuelle sonne-t-elle la fin du modèle de croissance observé ces vingt dernières années? Tout dépend ce qu'on entend par modèle de croissance. Ce n'est bien entendu pas le capitalisme qui est en cause, ni la croissance en elle-même. En revanche, il est clair que les politiques monétaires doivent être plus strictes, que les préoccupations de long terme doivent reprendre le dessus sur le long terme, que le développement durable doit être intégré aux stratégies économiques des acteurs privés comme publics. Certes, nous allons dans ces directions, mais lentement. L'industrie financière a-t-elle, selon vous, tirée les leçons de la crise ? Pas entièrement. Le fait que Bâle 3, qui visait à renforcer la réglementation bancaire en matière de liquidité et de fonds propres, ait été un peu vidé de sa substance m'inquiète. Je suis le premier à défendre les banques qui ont un rôle central dans une économie de marché. Mais tout le monde a intérêt à ce que le système financier soit plus stable. Les banques bénéficient de la garantie implicite de l'Etat en cas de problème. Elles doivent donc avoir un comportement exemplaire. Pensez-vous que cette crise a freiné la croissance ? Quelles sont ses conséquences ? L'histoire montre que des crises financières de cette ampleur affectent durablement la croissance économique. Le système financier n'a pas encore repris sont fonctionnement normal partout dans le monde et les bons chiffres de croissance observés récemment viennent largement du soutien public et d'un phénomène temporaire de restockage. Je pense donc que, dans les pays de l'OCDE au moins, la croissance va rester faible ces prochaines années. Que pensez-vous de la gestion de cette crise par les Etats ? Les Etats ont bien rempli leur rôle pendant la crise, en revanche, ils ont aujourd'hui du mal à réduire leur endettement. Il leur faut pourtant absolument fixer des objectifs de réduction de dette publique à moyen terme pour rassurer leurs créanciers, mais sans sacrifier la croissance. C'est compliqué mais c'est possible. Pensez-vous que les pays émergents ont plus ou moins résisté à la crise ? Absolument. Certains comme la Pologne ou le Brésil n'ont même pas connu de récession. Le boom des marchés émergents est structurel, et il est lié à la qualité de la politique économique qui y est menée. Leur développement va continuer. La Tunisie ne fait pas exception. J'y attends une croissance d'environ 4% cette année. Doit-on s'attendre à une montée de la Chine face au déclin des traditionnelles puissances économiques notamment les Etats-Unis? C'est déjà en partie le cas. Mais quand vous regardez attentivement les chiffres, vous vous rendez compte que la part croissance des pays émergents dans l'économie mondiale ne pénalise pas les Etats-Unis, mais plutôt l'Europe occidentale qui, en dehors des pays scandinaves et de l'Allemagne, a du mal à se réformer. Etant français, j'en sais quelque chose ! Vous parlez du capitalisme idéal. Peut-on refonder le capitalisme... pour mieux le consolider et retrouver la croissance « durable « ? Absolument. Comme je le montre dans mon ouvrage, la croissance vient de la confiance et la confiance vient de l'éthique. Respecter l'environnement, voire à long terme, développer la démocratie, faire une grande place aux femmes, c'est encourager la croissance économique. Doit-on s'attendre à un retour fort de l'Etat dans la gestion de l'économie ? Pas dans les pays développés. Les Etats sortent financièrement exsangues de cette crise. Pour des raisons financières, leur poids va donc plutôt être amené à diminuer ces prochaines années. Propos recueillis par Kamel BOUAOUINA