Chez nous, on a pris l'habitude de déplorer que les enseignants, leurs élèves et leurs étudiants passent mal leurs vacances scolaires. Les trois premiers mois de la Révolution qui, pour beaucoup, ressemblèrent plutôt au long congé d'été, ont tout de même fourni diverses destinations à ce public de « vacanciers ». La plus attendue fut la capitale Tunis qui accueille depuis une quinzaine de jours un nombre considérable de familles de l'intérieur. En effet, de tels arrivages ne surprennent personne en période de vacances; mais cette année l'originalité réside dans les nouveaux objectifs de ce genre de tourisme intérieur: on se rend à Tunis non pas pour les soldes d'hiver, mais pour vivre la grande animation politique et sociale que la Révolution y a introduite, pour se prendre en photo au cœur d'un sit-in ou à côté d'un graffiti révolutionnaire, pour participer à un rassemblement de l'Avenue Bourguiba, pour découvrir la Place de la Révolution et l'avenue Mohamed Bouazizi (qui n'ont changé que de noms), pour assister à un meeting de son parti politique nouvellement autorisé, pour être interviewé par les journalistes de la presse et de la télévision, peut-être aussi pour rencontrer une de ces désormais fameuses « personnalités nationales », membres de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution…! Les hôtes permanents de Taïeb Baccouche D'autres « vacanciers » de cette Révolution ont choisi un seul endroit pour passer un séjour plus ou moins long : le siège du ministère de l'Education fut ainsi la destination favorite d'une quarantaine de diplômés du Supérieur, encore au chômage. Avec leurs tentes de fortune plantées contre les murs de l'institution, ils rappellent aux passants et aux riverains du Boulevard Bab Benat les modestes estivants de la plage de la Goulette aux mois de juillet et d'aout. Pour s'occuper, ces jeunes chantent, font des tours en Médina, descendent jusqu'à l'Avenue Bourguiba pour prendre part à une manifestation, téléphonent, consultent Internet, s'informent de tout, papotent avec les militaires qui les surveillent, expliquent et réexpliquent leurs revendications aux badauds du coin. Mais ils ne sont pas les seuls à avoir opté pour le ministère de l'Education comme destination unique des vacances de printemps : Le Syndicat du secondaire prit le même choix. En effet, les allées et venues des représentants des professeurs sont quotidiennes entre la Place Mohamed Ali et les bureaux de Taïeb Baccouche et ceux de ses collaborateurs. Une fois ils y vont pour réintégrer les révoqués, une autre fois pour limoger un proviseur de lycée et nommer son successeur, ou encore pour embaucher des maîtrisards, exiger des bourses aux enfants d'enseignants, revendiquer le départ d'un fonctionnaire indésirable, protester contre une mesure du Ministre etc. De Ras Jedir à Lampedusa Les élèves et les étudiants ont trouvé à leur tour un moyen de remplir utilement les vacances de printemps : déjà, bien avant le congé de Mars, ils ont commencé à organiser ou à participer aux diverses caravanes et collectes de soutien en faveur soit des villes et des régions déshéritées, soit aux réfugiés sur nos frontières avec la Libye. En voitures de louage, en cars, en minibus, en camionnettes, ils se rendent qui à Bouzayane, qui à Erregueb, qui à Metlaoui, qui à Ras Jedir, qui à Dhehiba. Le voyage prend souvent l'allure d'une excursion du genre qu'organisait autrefois « la jeunesse scolaire » des lycées, sauf que là c'est plus « engagé » ; car il y est de bon ton d'entonner l'hymne national, les chants de Abna el Manajem, Ouled Boumakhlouf, Cheikh Imam, Marcel Khalifa et les airs enflammés composés et appris à l'Université. Quand ils arrivent à destination, ils accomplissent leur devoir de solidarité et immortalisent leurs gestes sur d'innombrables photos prises en compagnie de mineurs gafsiens, de jeunes révolutionnaires kasserinois, de réfugiés somaliens, de membres du Croissant rouge et bien sûr avec des militaires tunisiens. Car il faut rentrer avec ces belles images pour les montrer à la famille, aux voisins, aux amis et aux camarades de classe. De plus en plus d'élèves et d'étudiants s'envoient sur face-book leurs photos de vacances militantes. Pour beaucoup d'entre eux, ce type de volontariat leur confère une responsabilité sociale et agrandit considérablement la dimension de leur participation à la vie communautaire. C'est mieux, vous diront-ils, que de raser à longueur de journée les murs de la ville et d'esquinter avec son postérieur les chaises des cafés. C'est sans doute aussi une meilleure solution que de « brûler » vers Lampedusa, puisqu'il y a toujours avant d'atteindre ce bel îlot italien, le risque de passer de bien plus longues vacances au fin fond de la Méditerranée !