Introspection, autocritique et, surtout, des réformes pour l'avenir Durant les derniers jours du « règne » de Ben Ali, les journalistes tunisiens, en majorité, eurent à vivre leur pire période depuis qu'ils ont entamé leur carrière. Il y avait parmi les journalistes ceux qui ont persisté jusqu'au dernier moment à soutenir le régime, à cacher les réalités et à accuser de voyous et de pilleurs les révoltés. Ceux là ont eu droit aux médias nationaux et ont fait de l'ombre à des dizaines de journalistes qui secrètement envoyaient les informations à leurs collègues étrangers afin de permettre leur médiatisation ailleurs et à des journalistes qui entre vingt lignes écrites essayaient de passer discrètement une ligne contenant une des sombres réalités ayant poussé le peuple à se révolter. Subtiles et discrets, ils ont fait de leur mieux. Puis il y a également ceux qui obligés de mentir devant les caméras ou derrière les micros pleuraient plus tard leur frustration et cette humiliation qu'on leur fait subir aux dépends de leur propre peuple. Et il y a eu des journalistes qui jour par jour ont suivi les révolutionnaires et protestataires, désertant les bureaux, sachant qu'ils n'auront pas le droit de passer l'information, ils se faisaient un devoir de se la procurer, peut-être que plus tard ils seront appelés à témoigner de cette période sanguinaire de l'histoire de la Tunisie, ils ne s'imaginaient pas alors que ce jour surviendrait aussi vite que prévu. Quelques dizaines de journalistes ont fait des manifestations, des sit-in, des grèves, ont crié leur indignation qu'on leur interdise de parler des maux de leur peuple, mais leurs voix ont été étouffées ou se sont perdues dans le vacarme des médias officiaux. Cela dit, Ben Ali est parti et le souvenir qu'a gardé la mémoire populaire des journalistes et celui des quelques uns cités en premier, ceux-là qui jusqu'au bout ont soutenu une cause perdue… Aujourd'hui, les journalistes essayent de tourner la page de 23 ans d'interdiction, de frustration et de marginalisation. Ils veulent passer de porte-parole du gouvernement, statut dans lequel on a voulu les confiner, pour devenir maintenant porteurs d'information honnête et objective. Tout comme les autres citoyens et « patriotes », ils veulent participer à la construction de la Tunisie et être utiles à la transition démocratique. Seulement, c'est dur de gagner une confiance qu'on ne leur a jamais accordée et qui, par-dessus le marché a été perdue à cause de quelques-uns du domaine en question. Il est dur également quand on voit que quelques journalistes passent de la flatterie de l'ancien régime à celle de la révolution quels que soient les torts de l'un ou de l'autre. Qu'ils insistent à répéter « régime pourri » et révolution bénie, tout comme dans le passé ils insistaient à répéter changement béni pour parler du coup du 7 novembre, qui alors était pour eux le « régime sage ». Il est également difficile de travailler quand le gouvernement aura désigné quelques « noms » qui auront l'exclusivité de toutes les informations, tandis que les autres continueront à peiner pour les arracher d'un côté ou d'un autre. Sur un lieu de reportage, des citoyens peuvent très bien empêcher le journaliste de travailler, voir l'agresser parfois et son crime est qu'il n'ait pas « parlé » des temps de Ben Ali. Dans un évènement officiel, le journaliste pourrait très bien être repoussé à l'entrée, car son nom ne figure pas sur la liste ou alors s'il réussit à entrer, il voit sa question « zappée » car on n'est pas encore prêt à donner l'information crue et crash au peuple. Quel rôle pourrait alors jouer le journaliste dans la transition démocratique par ces conditions ? Quelles sont les réformes imposées ? Que peut changer le journaliste en lui-même et dans son milieu pour mériter la confiance du peuple d'une part et s'imposer du côté du gouvernement et des politiciens ? La purge, on sait quand elle commence, mais jamais quand elle finit Une conférence s'est justement tenue pour discuter du rôle du journaliste dans la transition démocratique. Organisée par le Centre d'études et de documentation internationales de Barcelone, l'United Nations University, l'International Institute for the Alliance of Civilizations et l'Instance Nationale Indépendante pour l'Information et la Communication, la conférence a permis de parler des expériences espagnoles et polonaises, notamment le rôle du journaliste dans les deux révolutions. Et si l'expérience de l'Espagne fût similaire à celle de la Tunisie, Lluis Bassets, directeur adjoint, El Pais – Madrid – soulève par ailleurs « souvent nous sommes passés par des périodes de doute où nous avons cru que jamais nous ne réussirons notre transition ». Aujourd'hui en Tunisie, le doute persiste, voire le pessimisme et c'est le rôle des médias justement d'éclaircir la situation et de préciser le chemin à suivre soulevant les « fausses routes » et les erreurs que l'on peut commettre. Quant à l'expérience polonaise, la presse a dû se faire clandestine selon Jaroslaw Kurski, Rédacteur en chef adjoint de la « Gazeta Wyborcza » à Varvosie. Il souligne que c'est grâce aux « tracts » distribués en cachette et à une presse imprimée et distribuée clandestinement que l'information ait pu arriver. En Espagne, en Pologne et tout comme en Tunisie, les médias nationaux étaient au service de la dictature. La question sur la purge qu'il faut faire ou pas s'est posée durant la conférence. Selon certains intervenants, on ne peut faire du nouveau avec du vieux, selon d'autres, on peut très bien équilibrer les deux afin de présenter un domaine de média capable de par l'expérience des anciens et la « fraîcheur » des jeunes de servir la transition démocratique. Quant à Kamel Labidi, président de l'instance, il a insisté sur le rôle de l'organisation dans l'élaboration de lois garantissant la liberté de la presse et les droits des journalistes, mais aussi de la société civile et des citoyens ayant affaire au domaine. Il a également parlé des ateliers organisés depuis la formation de l'instance, dans lesquels ont été invités des experts conseillés par les organismes internationaux de droits de l'Homme. Les invités, journalistes, personnes de la société civile, présents à la conférence ont insisté sur l'importance de l'arrêt de la chasse aux sorcières dans le domaine du journalisme, bien que certains « grands patrons » devraient bel et bien laisser leur place. Ils ont soulevé par ailleurs que la purge, une fois commencée, n'aura plus de limites et causera plus de torts que de bien. Ainsi, et à part les grosses têtes des médias de l'ancien régime qui sont englouties jusqu'au cou dans le maquillage des crimes commis à cette époque, il faudra plutôt donner la chance aux journalistes tunisiens, les faire participer et leur permettre de jouer leur rôle dans la transition démocratique, car cette dernière ne peut se faire sans l'apport d'une information juste et objective. Les formations professionnelles et les moyens techniques sont également nécessaires pour que le journaliste puisse présenter un travail de qualité.