Même si l'heure n'est pas aux plaisanteries, nous aimerions commencer par cette blague connue quasiment de tous et qui rapporte le calvaire d'un enseignant du primaire balloté durant plusieurs années entre diverses villes tunisiennes dont le nom commence par «BIR» (synonyme de puits). N'en pouvant plus de ces mutations répétées d'un «bir» à l'autre, notre instituteur résolut d'envoyer une plainte au Ministre de l'Education pour lui rappeler ainsi qu'à ses différents directeurs de services qu'il était enseignant et pas «seau» ! Au fond, cette histoire résume sur un ton drôle le martyre d'un grand nombre de fonctionnaires de l'Etat qui passent leur carrière professionnelle de mutation en mutation tandis que tant d'autres parmi leurs collègues- des privilégiés de leurs employeurs ou du syndicat qui les défend- jouissent très tôt de la stabilité sinon dictent leurs caprices à plus d'un responsable pour se faire affecter là où bon leur semble et souvent là où il fait bon vivre et travailler. Le cas tragique du professeur de français Mohamed Maher Harrar, décédé il y a quelques jours, en partie par la faute de l'Administration et du syndicat, (lire Le Temps du 4 Octobre 2011) devrait au moins faire réfléchir les agents du Ministère de l'Education chargés des affectations ainsi que les responsables syndicaux qui étudient avec eux les demandes de mutation des enseignants.
Les «chouchous» d'abord !
Certains de ces fonctionnaires et de ces syndicalistes reconnaissent dans les cercles privés que, du côté de l'Administration comme du côté du Syndicat, l'examen des dossiers présentés s'effectue dans certains cas sur la base de critères très suspects d'un point de vue moral. Il arrive ainsi que la demande (pas du tout prioritaire) d'un « ami » ou d'une « amie » du Ministère ou du Syndicat passe bien avant les autres. Mais comme les « amis » des deux parties sont chaque année un peu plus nombreux, les enseignants dont les dossiers sont parfaitement défendables et qui ne sont « les chouchous » de personne voient leurs demandes soit rejetées (cas fréquent) soit mal satisfaites (cas plutôt rare). Certes, le flux de demandes de mutation submerge chaque été les bureaux du Ministère et les locaux des syndicats et, parmi les dossiers, il y en a beaucoup qui ne répondent pas aux critères fixés et très rares sont ceux qui appellent une satisfaction urgente de la demande. D'autre part, tout le monde veut maintenant travailler à Tunis, dans sa banlieue sinon sur la côte, depuis Bizerte jusqu'à Zarzis. Cependant, en dépit de la saturation de ces zones sur-sollicitées, les membres des commissions mixtes (ministérielles et syndicales) mettent toujours quelque chose de côté pour les « proches » et les « amis » avec qui les miracles deviennent aisément possibles. Si, par malheur, les non pistonnés protestent, on leur sort l'argument patriotique : quand on aime son pays, on accepte de travailler à n'importe quel endroit du territoire national. Osez, après une telle réponse, opposer la moindre objection à votre affectation dans les patelins les plus reculés du Nord-ouest, du Centre, de l'Ouest ou du Sud ! On risque aussi de vous rétorquer que, dans le contexte actuel où l'emploi se fait de plus en plus rare, il vaut mieux s'accrocher à son poste plutôt que de se mettre en danger de le perdre à tout jamais ! Et pendant que vous méditez ce conseil gracieux dans votre sinistre collège de province, des « collègues » à qui personne ne parle de patriotisme se font dorloter dans un établissement d'El Menzah, de la Marsa, de Nabeul, d'Hammamet ou de Sousse ! Badreddine BEN HENDA
Un «petit» drame à Ibn Charaf
C'est dans ce même ordre d'idées que nous rapportons le supplice d'un professeur universitaire (M. Mounir Saïdani, maître de conférences en sociologie) qui éprouve en ce moment toutes les peines du monde pour se faire muter de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sfax à l'Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis (ex-Lycée Ibn Charaf) et ce, après 11 années passées à faire la navette entre Tunis et la capitale du Sud, odyssée hebdomadaire qui lui coûtait beaucoup d'énergie, de temps et d'argent. Néanmoins, dans son cas à lui, ni le Ministère de l'Enseignement Supérieur, ni l'Université d'El Manar, ni la Direction de l'Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis, ni même le Syndicat du Supérieur ne s'opposent à sa mutation. D'après le long rapport qu'il nous a remis et dans lequel il rend compte de toutes ses démarches pour parvenir à un accord concernant sa nomination à l'Institut Ibn Charaf, ce sont des motifs plutôt subjectifs qui ont présidé à la non satisfaction de sa demande. Mais, d'autres sources nous assurent que les raisons dudit blocage n'ont aucun caractère personnel et que le rejet de la demande de M. Saidani fut approuvé par un collège des enseignants du département de sociologie et ce, au cours d'une réunion tenue le 4 de ce mois. En tout cas, M. Saidani décida après cette mesure, à ses yeux, injuste et injustifiée d'entamer à partir de mercredi dernier un sit-in à l'intérieur de la salle des professeurs de l'Institut Ibn Charaf. Plusieurs enseignants de l'établissement lui ont exprimé leur soutien. Une professeure de musicologie exerçant à Gabès, Mme Leila Habbachi, est également venue le supporter : depuis quelque temps elle milite, elle aussi, pour obtenir sa mutation de Gabès à Tunis, mais l'Administration n'a pas encore répondu favorablement à sa demande malgré tous les dossiers et les arguments plaidant en faveur de sa cause. Pour en revenir à M. Saïdani, nous avons appris qu'hier, jeudi, aux environs de midi, celui-ci eut un malaise soudain et perdit connaissance sur le lieu même de son sit-in qu'il décida de suspendre juste après avoir repris ses esprits. Nous n'en savions pas plus au moment de la rédaction de ce papier, mais il paraît que le déblocage de la situation de ce professeur risque de prendre encore du temps.