Madame Lilia Laabidi, ministre des Affaires de la femme a choisi de ne pas faire dans la dentelle : « Avez-vous évalué la réintégration des enfants dans des centres spécialisés avant de demander à augmenter le nombre du personnel y exerçant ? » Une enfance menacée et son corollaire : une famille déchirée et un personnel souffrant. Désormais on ne peut plus parler d'une enfance en danger sans pour autant évoquer les variables d'une équation que les instances de tutelle n'ont pas encore résolue. Qu'est-ce qui se fait au niveau de l'admission des enfants dans des centres intégrés ? Quel avenir réserve-t-on aux institutions de prise en charge de l'enfance ? Faut-il vraiment opter pour leur fermeture et travailler plutôt sur des unités de vie qui prennent en charge l'enfant en difficulté dans sa famille comme l'a suggéré Wafa Ammar, psychologue exerçant au Centre intégré de la jeunesse et de l'enfance CIJE de Radès? Enfance abandonnée, enfance maltraitée Ces questions et bien d'autres étaient au centre même d'une conférence nationale organisée par le ministère de la Femme pendant deux jours, clôturée hier à Tunis. Le thème de la rencontre était « La prise en charge alternative des enfants sans soutien familial : réalités et perspectives ». Sauf que la réalité est bien plus compliquée qu'on le croit. Car la question revient à se positionner par rapport à ce sujet, en évaluant la réintégration des enfants dans leurs familles biologiques après leurs passages dans des centres intégrés pour pouvoir contourner les obstacles et les balayer. Chose qui n'a pas été faite jusque-là pour laisser la place libre à des défaillances de tout un système de prise en charge qui accueille les enfants en difficulté mais fait abstraction des problèmes qu'ils ont endurés dans leurs familles. « L'admission d'un enfant dans un centre devrait se préparer à l'avance en faisant le plus gros travail avec sa famille. » commente Wafa Ammar qui exerce au CIJE de Radès. Notre interlocutrice rejette le comportement du personnel dans les centres d'accueil, lequel tend à culpabiliser les parents et à les écarter dans la prise de décision quant au placement de leurs enfants. « Un parent alcoolique et violent ou une mère souffrante sont mis à l'écart de la discussion sur l'avenir de leur enfant. » dit-elle. Wafa Ammar laisse entendre que beaucoup de facteurs font vouer à l'échec la réintégration d'un enfant dans un centre d'accueil, à savoir les placements répétitifs sans préparation psychologique de l'enfant à l'avance. Cela revient aussi à l'incapacité du personnel à répondre aux besoins spécifiques des enfants en mal d'affection. La violence verbale, physique et même les abus sexuels sont à prendre en considération dans le traitement de cette question épineuse de la relation entre le personnel traitant et les enfants en difficulté. Chose qui selon Wafa Ammar accentue encore plus le problème. C'est dire aussi remuer le couteau dans la plaie pour montrer du doigt la nécessité de désinstitutionalisation des institutions de prise en charge des enfants. Les questions de la ministre des Affaires de la Femme Lilia Laabidi, ministre des Affaires de la femme qui a assisté aux discussions, a pris la parole pour poser ses questions, chose qui n'arrive pas tous les jours, il faut dire, étant donné que nos ministres se contentent de donner le coup d'envoi à des manifestations pour s'éclipser tout de suite après. Mme la ministre a choisi de ne pas faire les choses dans la dentelle en abreuvant de questions les intervenants « Quand je fais des visites dans les centres intégrés on me demande d'augmenter le nombre de l'effectif. Mais est-ce que vous avez effectué une étude pour évaluer la réintégration des enfants abandonnés pour justifier les salaires des gens qui travaillent déjà dans les CIJE ? » dit-elle en rappelant que les centres de réintégration des enfants ont joué un rôle important depuis 1959 puisque des intellectuels y ont fait leurs passages et occupent aujourd'hui des postes de décision. « La pauvreté n'est pas une tare. Avant Les parents pauvres ne pouvant subvenir aux besoins de leurs enfants étaient obligés de se faire aider par ces centres intégrés. Ce n'est qu'à partir des années 80 que ces centres ont commencé à dévier de la ligne de conduite fixée au début. Et si l'on considère que 25 % est le taux de la pauvreté dans notre pays, allons-nous placer tous les enfants des pauvres dans des centres intégrés ? » se demande la ministre qui a relevé la nécessité d'embaucher des pédopsychiatres qui participeront à la prise de décision pour placer un enfant dans un CIJE. Mais qui sont aujourd'hui ces enfants abandonnés ? Il va sans dire qu'aujourd'hui une famille équilibrée même si elle est dans le besoin ne confiera pas son enfant à une institution ou encore moins ne le livrera pas à son pauvre sort en l'abandonnant dans la rue et ses affres. Les spécialistes diront que les enfants abandonnés sont généralement des enfants de mères célibataires, en tous les cas de mères souffrantes. Concubinage, mères célibataires Insaf Zitouni, psychiatre à l'Institut national de la protection de l'enfance a parlé d' « un nouveau profil de célibataires qui devient de plus en plus visible. Il est celui des femmes adultes qui choisissent d'être mères célibataires malgré la précarité de leur situation matérielle et sociale. » A cela s'ajoute, bien entendu d'autres profils classiques : des adolescentes, fragilisées par leurs situations familiales et les femmes aux besoins spécifiques ayant subi un cas de viol ou autres. Dans la foulée, on a évoqué la question du concubinage terme relativement nouveau adopté dans le jargon des spécialistes, puisque la législation tunisienne reconnaît les droits d'une femme qui vit en couple avec son consentement, en dehors du mariage. « Preuve en est, la possibilité de donner le nom de famille du père à l'enfant naturel. Même si le lien de parenté reste compliqué à prouver puisqu'il faut passer par une décision du tribunal. » Commente Hafedh Laabidi juge ayant parlé des enfants nés sous X au regard de la loi et de leur droit à ne pas être considérés en tant que tels.