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Au-delà du scrutin
Notes libres
Publié dans Le Temps le 08 - 11 - 2011

Par Hélé Béji - La compétition électorale qui, pendant des mois, a oscillé entre les projections de chacun, les peurs, les imaginations, les contradictions, a dessiné enfin ses lignes d'arrivée. Pour cette première course olympique de la Tunisie démocratique, Ennadha a remporté la médaille d'or. Dans le monde du sport, après le moment où crépitent les émotions du stade et où s'humectent de larmes les visages des lauréats, les héros, redescendant les marches du podium, s'embrassent et se donnent l'accolade.
Passée l'émulation frénétique, le sport transforme la rage absolue de vaincre en élans de fraternité. Ceux qui se sont senti des surhommes brandissant à bout de bras la coupe étincelante, retrouvent humblement dans les vestiaires leur condition de mortels, essoufflés, sur les mêmes bancs ou perdants et gagnants quittent leur maillots scintillants. La victoire des uns n'ôte pas aux autres leur mérite combatif. Et les voilà qui partent tous ensemble festoyer, sans arrogance ni ressentiment, pour célébrer un exploit indistinct. La récompense est ici dans une communion qui exalte l'esprit sportif de tous, quand chacun s'est donné à cœur de fourbir la puissance de ses muscles, et de dépasser les limites de son corps.
La politique a quelque chose de ce jeu surhumain et fraternel, quand les équipes en lice ont accepté de se soumettre aux règles d'un jeu qui fixe les conditions de la bataille. La démocratie oblige perdants et gagnants à se vouer une considération mutuelle, en sachant que le meilleur score sera remis en jeu dans un prochain tour, pour sauvegarder le principe d'alternance. On s'incline à tour de rôle, et il est interdit de confisquer sa victoire pour l'éternité. Cela réconforte tout le monde que le fort ne le soit pas pour toujours, qu'il redevienne le faible au prochain acte, grâce au suffrage du citoyen ; ou que, inversement, le faible ne le soit pas à jamais, et que, dans un nouveau round palpitant, il puisse regagner à son tour la place du plus fort. C'est la seule ruse que le génie moderne ait inventé contre l'appétit absolutiste.
Ainsi, la démocratie échappe à la violence civile par un fairplay qui discipline l'instinct de puissance en un exercice de modestie et d'humilité forcées, où la société va se partager les rôles inverses de la responsabilité et de l'insolence, par un chassé-croisé soumis aux limites de la bienséance. Ceux qui perdent gardent l'auguste liberté de critiquer, d'interpeller et de contrôler. Et ceux qui gagnent portent le grave impératif de décider, d'agir, et de tenir leurs promesses. Mais au fond, leur engagement aux deux, si différent soit-il dans le jeu politique, a quelque chose de semblable dans l'épreuve de la chose publique : servir, par des méthodes complémentaires, la collectivité, dont aucune partie ne peut prétendre conserver l'exclusive. La démocratie se caractérise par cette participation de toutes les parties, majoritaires ou minoritaires, dans l'Etat ou en dehors, à une même force de négociation. Même lorsque le désaccord est total, ceux qui décident sont dans la lumière crue de ceux qui objectent, et ceux qui objectent auront toujours en vue le devoir d'assumer ce qui, tôt ou tard, leur reviendra s'ils parviennent à séduire les électeurs, et qui les mettra à leur tour sous les feux de leurs anciennes cibles. La démocratie moderne est tournante, c'est ce qui fait son attrait et sa dureté : personne n'échappe au lancer de flèches de la tribu adverse.
Chacune des parties donc, majorité ou minorité, devra être capable de sortir un peu de soi, d'être toujours un peu dans l'autre, ne serait-ce qu'en intelligence et en esprit, afin que la politique ne soit pas la division radicale de la société en ennemis irréductibles, en face à faces insurmontables. La démocratie n'est pas le terrain d'une guerre fratricide, mais un combat où les armes ne tuent pas pour de vrai, et sont plutôt un attirail forgé pour résoudre les soucis de la collectivité, dont chacun se dispute l'invention ou l'honneur. Et la Constitution est la garante de cet atelier ouvrier, qui déroule un tapis comme le sol élastique et doux sur lequel chacun est sûr de retomber, quelles que soient ses voltiges et ses cabrioles. Lorsqu'elle sera écrite, elle scellera définitivement, entre les citoyens les plus contraires, une entente sacrée que les divisions extrêmes ne sont pas autorisées à transgresser. Derrière toute pluralité démocratique, il y a toujours un pacte unique des consciences, qui ne souffre aucune contestation, et qui est la religion d'une nation, sa Constitution. C'est cette charte qui permet aux citoyens, dans leur existence civile, de se vivre comme les auteurs de ce texte perpétuel, écrit et voulu par tous, l'alphabet d'un langage unanime sans lequel la parole s'abîmerait dans le non-sens, et la liberté dans la cacophonie.
Il n'y a donc pas de démocratie sans l'adoubement préalable de tous par une autorité souveraine qui se gravera d'une encre indélébile, non seulement dans les articles de la Constitution, mais dans le serment que les représentants du peuple, devenus nobles pairs, prononceront solennellement devant la nation toute entière. Il ne leur sera pas seulement réclamé une adhésion entière à la hauteur des grands principes auxquels ils auront donné un assentiment définitif, mais une foi absolue dans la nature d'un contrat supra-étatique, supra-individuel, supra-partisan, supra-confessionnel, supra-idéologique, par lequel le nouveau corps politique reçoit sa pulpe nourricière, comme la sève qui gonfle le ramage des arbres dont la variété plonge ses racines dans le même limon. Ainsi de la future Constitution. Elle sera cette alchimie dont toutes les molécules (les dires et les actes des Constituants) se combineront en un fluide unique, qui pénètrera les institutions publiques comme la pluie féconde les cultures de la terre, leurs épis dorés poussant par le miracle d'un humus irrigué par l'onde d'une source.
Les Constituants, tous sans exception, boiront le calice dont le philtre n'a qu'une vertu : l'amour de la Tunisie. Ici fusionneront toutes les tendances, tous les cœurs, toutes les opinons, tous les caractères, animés par la volonté de transcender leurs particularismes pour fonder leur universel à eux, celui où ils se tournent les uns vers les autres, mêlant leurs regards et leurs propos, pour mieux se pénétrer des valeurs de chacun, les transformer sous une haute température morale où la résistance des plus récalcitrants fond devant la flamme, afin qu'il n'y ait plus ni modérés, ni radicaux, ni centristes, ni extrémistes, mais bien plus que tout cela, la persévérance d'être tout simplement tunisien.
La finalité de la Constitution en réalité n'est pas politique, n'est pas civile, n'est pas juridique. Elle est morale, en ce qu'elle lie chacun d'un pacte inviolable de réciprocité, d'une perfection de l'union qui n'admet pas le relatif, mais le seul absolu qui sera l'alliage incorruptible contre l'absolutisme. Il faut de l'absolu avant de construire du relatif. Il faut du sacré avant de donner le champ libre aux croyances ou au non croyances. Il faut une religion civile avant de permettre au corps social la fantaisie de ses membres. Il faut une loi sanctifiée avant d'ouvrir aux droits humains les portes de leur liberté. Il faut un ordre incontesté afin que les désirs ne répandent pas le désordre. Il faut une autorité intangible pour que les volontés aient un effet tangible. Il faut un socle indestructible qui sera à la vie politique ce que la loi de la pesanteur est à la gravitation des particules, le centre d'attraction des valeurs.
Dans cette perspective, nos Constituants, au-delà de leur nombre, auront la densité que leur confèrera leur force d'argumentation et de raisonnement individuelle. Un seul esprit, convaincant et rationnel, même solitaire, peut obtenir plus de résultats que cent diatribes échevelées. Ici, le nombre ne fait rien à l'affaire. Une vérité générale peut sortir de la bouche d'un seul, et convertir une multitude. L'arithmétique des partis, capitale pour compter les résultats électoraux et les forces en présence, sera beaucoup moins cruciale dans une enceinte où la parole distinguée et forte peut emporter l'adhésion de ses adversaires mêmes, et bousculer les chiffres. Grâce au don d'éloquence et à la clarté de l'esprit, de nombreuses barrières, de nombreux préjugés peuvent tomber. Certains se mettront au-dessus de la mêlée. On verra peut-être un libre-penseur donner sa voix à un islamiste, et un islamiste donner sa voix à un libre-penseur, si chacun des deux sait exercer sur l'autre son art de la persuasion. La volonté générale peut parfois s'identifier au rêve irrésistible d'un petit nombre, à condition qu'il soit bien énoncé, bien pensé, bien senti. La vérité de la parole sera déterminante dans la future assemblée, plus que les étiquettes de parti. Le triomphe du bon sens émerge toujours, non pas du galimatias confus de tel ou tel groupe qui, par un accord artificiel, tirera vers le plus bas dénominateur les illusions de chacun, mais au contraire de la limpidité soudaine d'un orateur authentique qui aura su traduire sans chicanes la sensibilité de tous. La Constituante sera l'agora primordiale de cette démocratie directe, la scène charnelle, vocale, gestuelle où les acteurs ne devront jamais rien improviser, sous peine de défaire dans le dilettantisme ce que le labeur colossal de leur candidature a obtenu par l'énergie. Mais le travail qui les attend est encore plus herculéen.
Il va falloir que chacun accepte, non pas le sacrifice de ses croyances, mais leur soumission à la forme publique autorisée, qui sera la même pour tous. C'est la condition pour que nous n'entrions pas dans ce que les démocraties modernes sont en train de vivre, la tyrannie extravagante que notre vie intime se croit obligée de répandre sur la scène publique, qui est source de brutalité, d'offense et de haine croissantes. Aujourd'hui, les médias modernes violent les consciences de chacun en les contraignant à s'épancher et à s'exhiber de manière obscène, et les médias tunisiens sont en train de leur emboîter le pas. Les Constituants devront veiller jalousement à ne pas tomber dans ce travers hideux du spectacle lamentable des psychodrames télévisuels, sous peine de se discréditer.
C'est pourquoi, je crois que la Constituante est déjà l'antichambre lambrissée des passions naissantes et subtiles de la réconciliation, car ceux et celles qui vont y siéger ne sont plus investis des seuls mots d'ordre de leur parti, mais de la liberté qu'ils ont, individuellement, de donner à leur cause une résonance qui est à la fois un renoncement partiel, et un élargissement impartial. Chaque cause n'aura plus sa propre cause à défendre, mais par une élévation inhérente aux sièges des Constituants, ceux-ci porteront dans leur fonction identique le même habit, digne, élégant, chamarré d'une distinction intérieure dont l'éclat ne brillera que dans le reflet de tous. Chaque cause devra, par étapes, par paliers successifs monter à la rencontre des autres, gravir les pentes sinueuses d'une montagne escarpée, dont chaque halte est une poignée de mains, chaque pause la respiration d'un même oxygène, de plus en plus pur, et, comme ces alpinistes unis par une même cordée, chacun pensera à la chute des autres autant qu'à la sienne, car chaque glissement, chaque faux-pas peut entraîner la cordée toute entière au fond de l'abîme.
Mais, si les yeux sont fixés à la fois sur celui qui est au-dessus et sur celui qui est en-dessous, empreints de cet instinct de secourir qui ranime même les plus indifférents, quant leur vie est en danger avec celle des autres, et qui décuple l'énergie d'une tension quasi-surnaturelle, si le regard sur le compagnon de cordée est indissociable de la fermeté avec laquelle je lie mon sort et le sien, alors la chaîne des Constituants les conduira sans accident mortel au sommet de la montagne, sur laquelle ils planteront, le visage hâlé d'un soleil bienfaisant, le parchemin de la Constitution, flottant dans la brise souriante des sommets, comme une couronne caressée par le ciel, sculptée à la roche par le burin de la liberté à la force de leurs poignets, les plus frêles noués aux plus costauds dans les cordages de la démocratie, que les Constituants ne rendront possible que par une fraternité gagnée sur l'hostilité.
Hélé Béji
6 novembre 2011

A propos de la Constitution (extrait de Nous, décolonisés, Arlea, Paris, 2008)
«Il ne suffit pas qu'elle (la Constitution) soit rédigée avec les meilleures intentions du monde, inspirée de ces droits universaux que personne aujourd'hui ne s'aventure à contester – mais qui restent suspendus dans un ciel trop haut au-dessus de nos têtes. La Constitution est comme un meuble neuf qu'on vient d'acheter, dont nous sommes fiers, mais qui n'est pas d'un usage aussi familier que le vieux mobilier de nos grands-mères, qui participait à la danse feutrée de nos souvenirs intimes. Empruntée au modèle moderne, elle n'est pas devenue ce bréviaire sacré, ce devoir intérieur, transmis par le dogme républicain de ses pères, que chacun récite pieusement dans son cœur, comme la prière du matin et du soir. Elle est une chose vague, qui ne s'est pas incorporée aux ressorts de notre vie morale. Elle est un membre artificiel de notre vie politique, dont le fonctionnement trop subtil reste hors d'usage. Elle est, dans le temple de l'Etat, une icône qui brille dans un tout petit coin, pour quelques fidèles discrets et silencieux. Elle n'éclaire pas l'ensemble.» (Extrait de Nous, Décolonisés, chap. IV)
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