Par Ali Chebbi, Professeur d'Economie à l'Université de Tunis - L'état actuel de la macroéconomie tunisienne est marqué par des déséquilibres macroéconomiques globaux (un déficit de l'épargne par rapport aux besoins d'investissement de 4,5% du PIB en 2010, un déficit budgétaire de 6%, contre 3% en 2009, et un taux de couverture de 74,5%). Ces déficits, ne cessant de se creuser, se traduisent par des tendances à accumuler la dette extérieure et intérieure à la lumière du profil de l'économie établi durant les vingt dernières années. Les taux d'endettement extérieur et public ont toujours atteint leurs niveaux maxima pendant les périodes où le déficit commercial était le plus large et le taux de croissance économique était le plus bas. Il s'agit de l'un des faits stylisés identifiant l'évolution de l'activité économique en Tunisie durant les vingt dernières années. Dans les conditions actuelles de ralentissement de l'activité économique, la dette et les tensions inflationnistes donnent lieu à la fragilité macro-économique et à des difficultés de concilier entre le court et de long terme. Cette contreperformance macroéconomique devient encore difficilement surmontable puisque les marges de manœuvre des politiques budgétaire et monétaire sont très réduites et l'environnement international est défavorable. En réponses aux revendications sociales, surtout en termes de transferts et de création d'emploi dans le secteur public, les dépenses budgétaires envisagées cette année sont élevées par rapport aux recettes fiscales anticipées ainsi efflanquées à cause de la baisse de l'activité. Concernant la politique monétaire, vers la fin de l'année 2011, les réserves en devises sont très réduites (113 jours d'importation), le taux d'intérêt directeur est à son plus bas niveau (3,5%) et le taux de réserves obligatoires est aussi à son niveau le plus bas (2%). N'ayant pas d'effet signifiant sur la relance de l'activité économique durant les trois premiers quarts de l'année, la révision à la baisse du taux directeur a visé, selon le CA de la BCT, la consolidation des capacités des banques à financer l'économie par leur manœuvre d'accumulation pour le provisionnement des créances compromises. Nous n'en voyons pas de pertinence particulière eu égard à l'aspect retardé de ses effets attendus d'une part et aux coûts de transactions conséquents d'une autre part. D'habitude, la hiérarchie des objectifs de la politique monétaire pendant la récession ne s'inscrit point dans cette perspective à l'instar des expériences dans le monde. S'ajoutent à ceci des crédits improductifs précédemment octroyés par le système bancaire, exigeant à son tour une revisite impérieuse d'ordre institutionnelle. Quant à la gestion du régime de change, la tendance à la dépréciation soutenue du dinar ne s'est pas accompagnée d'une amélioration de la position extérieure de la Tunisie (la baisse des recettes touristiques en est la principale origine) et la non amélioration de la compétitivité. Ces éléments fragilisent d'avantage le système bancaire et en général les mécanismes de financement de l'économie. La Tunisie a connu en 1986 une situation économique semblable. A l'époque, le gouvernement en place, sous impulsion du FMI, a adopté des mesures draconiennes faisant le package du plan de stabilisation (PS), ou de régulation conjoncturelle. Dans l'impossibilité d'agir immédiatement sur le côté-offre de l'économie, le (PS) est synonyme d'une gestion de la demande globale visant à absorber les déficits et donc de stabiliser les prix à travers des mesures rigoureuses. Une dévaluation du dinar était alors effectuée pour limiter les importations et relancer l'exportation. Un gel des salaires et un arrêt du recrutement ainsi qu'un licenciement ont été envisagés dans le secteur public dans une perspective d'austérité. Ceci était accompagné de mesures fiscales ciblées cherchant à maintenir les recettes publiques. Par ailleurs, une politique monétaire restrictive était aussi en consonance avec l'attitude assette prise par la politique budgétaire, ciblant ainsi de compromettre la demande de monnaie potentiellement génératrice d'inflation. Ces mesures prises dans un contexte de récession, étaient, par rapport à des situations comparables, efficaces en ce sens que dans un horizon de trois mois, l'activité économique en Tunisie était revenue à son rythme habituel et les déséquilibres macroéconomiques étaient globalement réduits. Mais la question qui se pose est de savoir si l'actuelle classe dirigeante est à même d'envisager un tel (PS). Certes, les symptômes de 2011 sont comparables à ceux de 1986, mais les origines n'en sont pas identiques. Alors que celles de 1986 étaient opprimantes, celles actuelles sont libératrices. Sur le plan économique, le tissu industriel de 2011 est suffisamment façonné à la lumière des nouvelles donnes nationales et internationales. Au plan de la politique macroéconomique, quelques instruments ne sont plus opérationnels tels que la dévaluation, puisque le dinar est partiellement convertible. Par ailleurs, la politique monétaire restrictive n'est actuellement pas commodément envisageable par crainte de défaut de crédibilité supplémentaire puisque dans le passé très proche, elle était expansionniste. Dans sa composante budgétaire, une conduite austère n'est pas aussi possible au vu des promesses de transferts sociaux annoncées par les autorités. Bref, une politique macro-économique est présentement nécessaire mais ne devrait pas être similaire à celle de 1986, bien que l'objectif de la stabilisation et des équilibres macroéconomiques soient urgents. Dans ce contexte, nous proposerions les recommandations suivantes pour une politique macro-économique d'urgence ou plan de stabilisation envisagé dans les termes les plus généraux : 1. Annoncer des messages de confiance restituant la crédibilité par l'annonce de mesures de politiques monétaire et budgétaire coordonnées. Les messages rendant compte de l'absence de coopération entre la BCT et le Gouvernement, tels qu'une indépendance de la BCT sommairement revendiquée et timidement médiatisée ou des limites annoncées au public par la BCT à propos du budget de l'Etat déjà adopté…, pourraient être pris pour une fracture institutionnelle donnant lieu à une réticence des investisseurs locaux et étrangers et fait anticiper l'inflation. 2. Etablir des priorités faisant l'objet de consensus : le chômage, l'inflation et les équilibres macroéconomiques semblent simultanément irréalisables. Nous estimons que l'objectif de l'inflation pourrait être momentanément relégué au second plan par rapport aux transferts sociaux et au démarrage d'investissements publics dans les régions déshéritées. 3. Cibler des interventions fiscales maintenant des recettes sans que le bien-être ne soit globalement altéré. 4. Revisiter, au moins momentanément, la déréglementation bancaire et procéder par des ‘'taux d'intérêts avec bonus additionnels'' en faveurs de l'épargne des ménages dans le but d'agir dans le sens de la compression de la consommation privée. 5. Inciter les entreprises à l'intéressement pour accroître leur autofinancement. 6. Envisager la tax Holiday pour les entreprises créatrices de nouveaux emplois. 7. Revisiter l'ancrage prépondérant du dinar dans l'euro, dans le sens d'une diversification gérant mieux le risque de change et ses fluctuations. Certes ces mesures ne se présentent pas comme une panacée durable, mais elles contribueraient à la relance de l'activité économique passant par le blocage que tout le monde connaît. Le déblocage ne serait à notre sens réalisable qu'à travers une ‘'Instance de Gestion de la Récession''. Cette dernière, constituée de macro-économistes et des commis de l'Etat les plus concernés (Gouvernement et BCT), aurait pour mission la proposition et le pilotage de mesures de politiques macroéconomiques idoines avant qu'il ne soit trop tard.