Abdelmajid El Bekri est né en 1942 à Gabès. Il travailla dans l'enseignement dès 1967 qu'il abandonna plus tard pour se consacrer totalement à la peinture et à l'art plastique en général. Distingué surtout dans la calligraphie et le patrimoine arabo-islamique pour lesquels il porte un grand intérêt. Cette tendance à faire valoir la tradition artistique berbéro-arabo-musulmane est d'ailleurs très manifeste dans une bonne part de son œuvre picturale, il s'est néanmoins aventuré aussi passionnément dans d'autres styles artistiques différents, le figuratif, entre autres. Il organisa des centaines d'exposition en Tunisie et à l'étranger. Il était le seul artiste tunisien à participer en 2008 à la 3è Biennale des Arts de Pékin. Il expose actuellement dans deux galeries: une exposition personnelle à Dar Bouassida à Radès et une autre collective à la galerie Bel Art à El Menzah. Il prépare sa prochaine exposition pour laquelle il a choisi comme titre : « Exposition rétrospective de peinture » qui aura lieu en avril prochain et où il présentera le fruit de cinquante années d'expérience picturale. Nous avons rencontré l'artiste qui nous a entretenu sur le métier du peintre, ses préoccupations artistiques et son opinion sur l'art de l'après-Révolution. Entretien : Le Temps : comment définiriez-vous, en quelques mots, votre métier ? Abdelmajid El Bekri : parfois, on y vient par hasard, en découvrant sa vocation qui fleurit et qui grandit petit à petit. On est hypnotisé par cette palette à laquelle on consacrera beaucoup de temps et qui devient une passion, une aventure. C'est que l'appétit vient en mangeant. Le peintre engage un dialogue continu avec sa toile et la création d'un tableau ne se limite pas par le temps, le souci du créateur étant comment créer et non pas quand créer ! La beauté existe partout, l'artiste sensible est celui qui la découvre le premier et qui sait comment la faire valoir. * L'artiste-peintre, peut-il vivre, aujourd'hui, de ses œuvres ? - Cela dépend de la manière dont vous vous adonnez au métier ! Pour vivre de son art, il faut qu'on soit du métier, qu'on ait assez d'expérience dans le domaine. Personnellement, j'étais enseignant quand j'ai découvert ma passion pour l'art ; alors j'ai quitté l'enseignement pour me consacrer complètement à mon art, devenu ainsi mon gagne-pain. Tout dépend donc de ce que vous produisez, de ce que vous mettez en vente ! * Après la Révolution pas mal d'artistes-peintres ou photographes sont nés. Quels conseils donneriez-vous à un peintre amateur ? - D'abord, il ne faut pas oublier que l'art est une thérapie médicale. On ne peut jamais empêcher quelqu'un de faire de l'art si cela lui rend service physiquement, moralement ou spirituellement. Mais on peut toujours séparer le bon grain de l'ivraie ! Toujours est-il que chez les nouveaux artistes, on peut déceler de multiples talents qu'il faut encourager. Le berger qui joue de sa flûte n'est ni Chopin ni Beethoven et pourtant il a l'art de faire endormir ses brebis ! A tout débutant, je dirais que pour atteindre le succès, passion et patience sont indispensables ! * Selon vous, un tableau est classé en tant que chef-d'œuvre lorsque l'esthétique y est travaillée à fond ou lorsqu'il y a un véritable sens de la peinture ? - La bonne peinture, c'est celle qui est faite à partir de lois esthétiques, mais aussi à partir de laquelle on extrait d'autres lois ! Un beau poème est celui qui est composé suivant des règles de versification rigoureuses ! Pourtant, il y a toujours cette empreinte personnelle, particulière dont l'artiste marque son ouvrage. On peut être un grand connaisseur en rhétorique sans pour autant être bon orateur ! Un chef-d'œuvre n'est considéré en tant que tel qu'après avoir effectué un certain recul, car il faut toujours le relier à son contexte historique.et social. On n'a pu apprécier les tableaux relatifs à la Révolution française qu'après tant d'années. Un tableau jugé négativement avec les critères du présent pourrait l'être positivement plus tard, et inversement. * Peut-on être peintre sans être obligé d'être systématiquement placé dans un registre ou un mouvement artistique déterminé ? - Pas forcément ! Toutefois, on peut naviguer dans plusieurs mouvements. Cela n'empêche qu'il soit au courant de toutes les écoles de l'art, ne serait-ce que pour satisfaire sa curiosité artistique. Et c'est avec le temps qu'on se forge peu à peu son propre style. Il faudrait cependant avoir de l'expérience, cet engouement et ce plaisir dans l'art. L'artiste est toujours en quête d'une vérité quelconque et qui disparaît parfois comme un mirage ; mais il s'obstine à atteindre cette vérité. * Comment voyez-vous l'avenir des arts plastiques après la Révolution ? - Le temps est venu où le secteur des arts plastiques en Tunisie doit être reconsidéré ; pas mal de choses doivent être repensées. Nous avons des comptes à rendre à ce domaine qui a toujours été négligé, marginalisé. La création d'un musée de l'art est aujourd'hui une nécessité. On doit procéder à des renouvellements à tous les niveaux (galeries, commission d'achat…) Cependant, il y a lieu d'avoir des appréhensions quant à l'avenir de l'art avec la recrudescence de certains extrémistes religieux qui accusent une certaine aversion pour les arts. Mais les artistes ne vont pas rester à la merci d'une minorité qui ignore tout sur la notion de beauté et sur la philosophie de l'art ; ils ne baisseront pas les bras eux qui ont toujours cru en un avenir florissant. On est assez fort pour convaincre les ennemis de l'art de la noblesse de notre métier ! Propos recueillis par Hechmi KHALLADI