«La loi doit protéger à la fois, le citoyen et l'agent de sécurité», selon Ali Lâarayedh Services de renseignements : les textes restent muets La réconciliation de l'agent de sécurité avec le citoyen, les réformes à introduire afin que notre police puisse devenir républicaine et honnêtement et avec civilité serve le citoyen et non se plier et être les bras longs des partis politiques ou du régime en place quel qu'il soit, sont à l'ordre du jour après la Révolution de la Liberté et de la Dignité. Comment réconcilier et assimiler liberté et sécurité sans empiéter sur les droits de l'homme, comment protéger l'agent de sécurité dans l'exercice de ses fonctions ? Sont des questions d'une importance accrue et centrale dans le débat sur la réforme du système de sécurité. La réforme des textes juridiques règlementant l'exercice du travail des agents de sécurité se trouve au cœur des réformes à engager pour assurer la réconciliation entre l'agent de sécurité et le citoyen. Devant un parterre composé de cadres du ministère de l'Intérieur, de représentants de la société civile, Ali Lâaraiedh, ministre de l'Intérieur, a précisé, hier lors du séminaire consacré à la réforme du corpus juridique règlementant l'exercice de la sécurité, que « la réforme est un processus qui touchera progressivement les structures du ministère, de façon à les amener à être au diapason des exigences d'un régime démocratique que nous tâchons de consacrer pour réaliser les objectifs de la Révolution ». En attendant, beaucoup de réformes ont commencé dans le volet sécuritaire, comme la refonte de l'entraînement et de la formation, pour garantir une sécurité républicaine, loin de toute hégémonie ou instrumentalisation par les partis. « La sécurité, comme la justice et l'armée doivent être républicaines », dira en substance le ministre. La législation régissant la sécurité doit être réformée pour en faire une sécurité républicaine, opérationnelle et respectueuse des Droits de l'Homme. « La loi doit protéger à la fois, le citoyen et l'agent de sécurité », dit-il. Une avancée a été enregistrée dans la réforme de la loi N°4 de 1960 régissant l'intervention de l'agent de sécurité pour rétablir l'ordre public. « La sécurité doit faire l'objet de suivi et de contrôle par les structures civiles comme le pouvoir législatif et la société civile. Nous n'avons rien à cacher, sauf ce qu'exige la loi par souci d'intérêt public », poursuit le ministre. Il considère que les syndicats ont leur rôle à jouer. La réforme doit toucher les méthodes et les moyens de travail. Ce sont là plusieurs chantiers de réforme. Adaptation et réorientation nécessaires Arnold Luethol, Directeur de l'Afrique et Moyen-Orient au Centre de Genève de contrôle démocratique des forces armées, un centre qui rayonne depuis 12 ans, précisera que 64 Etats sont membres du centre. Ils ont affirmé leur confiance en la Tunisie qui possède « les ingrédients de la réussite ». Il avance que 1700 textes législatifs légifèrent la sécurité en Tunisie qui ne part pas de zéro. Il s'agit plutôt d'adapter l'édifice juridique à la nouvelle époque. Le secteur de la sécurité doit s'aligner sur les standards internationaux, pour être au service de la population et non du régime. Dans les 1700 textes, « beaucoup de choses sont bonnes », assure-t-il. Toutefois, si quelques domaines sont très bien couverts par la législation, par contre d'autres comme les services de renseignement ne le sont pas. Il existe différents niveaux de textes, de la Constitution aux lois et règlementations faites en dehors du processus législatif normal. « Cet édifice nécessite une adaptation et une réorientation. Il faut atteindre la simplification. Un équilibre est à concevoir entre la liberté et les limites de la liberté », dit-il. Le conférencier consent que le contexte ait changé, qu'il y ait une grande ambition pour le changement et que le Gouvernement manifeste une volonté d'apporter des réformes. Il rappelle qu'une « société qui passe à la Démocratie se réjouit de sa liberté. Certains excès pourraient apparaître. La liberté est une chose, mais l'Etat a le droit d'imposer la loi. Toutefois, ce n'est pas une une autorisation blanche. La société leur donne ce cadre. La société veut se sentir en sécurité ». Le conférencier n'omet pas de parler des limites d'une réforme de la législation. « On peut attendre beaucoup de la législation, pas tout. Quelque chose doit la précéder. Comment va fonctionner cette législation dans un cadre tunisien ? Il revient à la Tunisie de répondre à cette question. L'acte législatif arrive en deuxième temps. Le débat doit précéder…Le risque, si la législation est confiée à une seule composante, est qu'elle reflète les intérêts de cette composante. Il faut un partenariat d'apprentissage. Toutefois, le conférencier constate un besoin de dynamisation qui va se faire progressivement. Le processus a été lancé, sans risque de retour aux anciennes pratiques. Commencer par le plus urgent Slaheddine Dhmiri, rappelle que le corpus juridique concerne la sécurité et la police nationales, la Garde nationale et la Protection civile. Des textes concernent l'intervention des forces de sécurité pour maintenir l'ordre et arrêter les manifestations et les réunions qui outrepassent leur caractère pacifique et de liberté d'expression. « Les attroupements ou rassemblements non autorisés, sont partout considérés comme des crimes. Les lois permettent d'user de l'emploi de la force au cas où les manifestants passent aux actes de violence ». Il est nécessaire de réformer les textes caducs pour les adapter aux évolutions nationales et internationales. « Au moment de la Révolution, les défaillances sont apparues eu égard aux revendications de la société civile et la conscience des agents de sécurité », dit-il. Vu le grand nombre de textes, il faut commencer par les plus urgents. Il est difficile d'achever toutes les réformes tout à la fois. Une commission a été créée au sein du ministère de l'Intérieur pour proposer les réformes des textes régissant la tâche qui incombe aux agents de sécurité, avant d'aborder d'autres volets. Le travail de cette commission a commencé en février dernier. Elle propose de réviser la loi N°4 de 1960 en avançant des projets de lois, l'un sur le droit de réunions et de manifestations et l'autre sur les attroupements. La distinction est faite entre les réunions et manifestations relavant des libertés publiques et les attroupements considérés comme un crime. Ainsi, il est proposé d'abroger totalement la loi du 24 janvier 1960. Il est recommandé de respecter les règles internationales. La commission se penche sur les cas d'utilisation de la force. Il est aussi question d'élaborer un projet de loi pour la protection des sièges et des agents de sécurité. Une autre priorité sur la table : la protection des intérêts professionnels des agents de sécurité intérieure, la définition de leur cursus professionnel, les dédommagements …. Instrumentalisation des textes juridiques Heykel Ben Mahfoudh qui a travaillé sur les textes juridiques organisant le travail des agents de sécurité, précise que le recensement des textes est « une première étape pour les réformes à introduire. Le nombre élevé de textes reflète l'ancienneté de l'expérience juridique en Tunisie. Sur les 1700 textes recensés de 1956 au 31 décembre 2011, 1200 sont en application, sans compter les circulaires. Ils sont organisés de façon pyramidale. Le premier texte est la Constitution. Un site web est crée :www.legislation-securite.tn. Il contient tous les textes y compris les amendements introduits. « Lorsque la volonté politique est claire, le travail juridique servira les Droits de l'Homme et les Libertés ». La production de textes juridiques a été pléthorique aux moments des crises, comme en 1968, en 1987… « Le pouvoir politique utilisait l'outil juridique pour réaliser ses objectifs, parfois en contradiction totale avec les Droits de l'Homme ». Le conférencier remarque que l'aspect organisationnel a occupé une bonne place dans les textes juridiques promulgués au détriment de tout ce qui concerne les prérogatives et des missions. C'est ce qui ouvre la voie aux dépassements. Concernant les services de renseignements les textes juridiques restent relativement muets. La priorité est de sauvegarder les libertés fondamentales, clef de la Démocratie. Hassine BOUAZRA