• Textes sur mesure; contre-sens juridiques et bénédiction de l'administration Maldonne pour la friperie. A en voir les produits investir, partout, la consommation vestimentaire des Tunisiens on a l'impression que c'est une filière – depuis l'importation jusqu'aux détaillants en passant par les grossistes- absolument prospère et que chacun y trouve son compte. Et pourtant le secteur de la friperie souffre de problèmes structurels, nés d'une réglementation boiteuse et faite sciemment pour favoriser les prédateurs dans la logique, classique des temps de l'ancien régime, de « l'enrichissement sans cause », si ce n'est carrément de l'enrichissement illicite mais paradoxalement règlementé. Jusqu'à la promulation du décret 95-2396 du 2 décembre 1995 par les soins de l'ex-Directeur Général de la Douane (le défunt général Abdelkader Ammar) le secteur était règlementé par un cahier des charges fixant les conditions de création et d'exploitation de l'entrepôt industriel pour l'activité de triage et de transformation des sous-produits de la friperie. Ce cahier des charges visait essentiellement à « organiser et à moraliser le secteur pour l'insérer dans le cadre du développement général du pays pour lui faire jouer le rôle qui lui incombe ». Il visait aussi à « garantir un développement durable du secteur et à préciser les droits et obligations à la charge des bénéficiaires ». A cette époque, c'est-à-dire à l'époque du cahier des charges elles étaient à peine quatorze entreprises de friperie opérant sur le marché et assurant l'importation, la transformation et l'exportation… Massacre à la tronçonneuse Or, par la bonne grâce du décret infléchi – à propos- par le Général Ammar, il y a eu une prolifération sauvage d'entreprises – de l'ordre de 47 actuellement – et cette prolifération était pour ainsi dire la conséquence d'une chape de plomb qu'on dégage pour mieux verrouiller le système. Le Directeur Général de la Douane, trouvant que les Tunisiens ont assez de chaussures à leur pointure, décide d'interdire l'importation de la chaussure alors que la collecte comporte tout ce qui peut-être porté en habits. Et c'est dès lors le massacre à la tronçonneuse. Voici l'un des premiers coups tel que « sanctifié » dans l'article 11 du nouveau décret : « Les chaussures, les espadrilles, les jouets et les sacs à mains usagés importés accidentellement dans les bals de friperie sont considérés comme déchets et sont obligatoirement reexploités ». Il paraît que cet article comporterait des motivations « biologiques » : si l'importation de chaussures a été interdite c'est parce que, dit-on, le fils du défunt général serait associé dans une usine de fabrication de chaussures avec un Italien ! » Or, au-delà de ce fait anecdotique, cette interdiction est une erreur à deux vitesses. D'abord un smigard ne peut payer quatre paires de chaussures neuves à ses quatre enfants. Ensuite, cette interdiction a favorisé la prolifération du marché informel en la matière. Ceci pour le premier passage à la tronçonneuse. Le deuxième, contenu dans l'article 6 dudit décret enfonce littéralement le clou. Voilà ce qu'il stipulait : « L'importation de la friperie sous le régime de l'entrepôt industriel est réalisée sous couvert d'une autorisation annuelle d'importation délivrée par le ministre du Commerce après avis du ministère de l'Industrie et suivant des critères à fixer par arrêté conjoint entre les ministères de l'Industrie et du Commerce ». Jusque-là rien d'anormal. Mais il y a un Hic ! Le Hic justement est dans cette disposition qui dit que « toute nouvelle autorisation d'importation n'est délivrée que si l'établissement bénéficiaire de l'entrepôt industriel justifie de l'apurement d'au moins 50% de ses anciennes importations » Subterfuge en somme. Essayons d'ailleurs de schématiser : x a importé 1000 tonnes : il en met 500 dans la décharge publique et c'est ainsi que les ministères concernés lui délivrent l'autorisation d'importer 1000 nouvelles tonnes. Absurde. Le tournant désastreux de 2005 On en était encore à découdre avec les imperfections de décret de 95 et hormis les plaintes des membres de la chambre syndicale, l'estocade vient du décret 2005, encore plus désastreuse : le décret 05-2038 du 18 juillet 2005 et qui élime les articles 3, 10, 11, 17 et 19 du décret de 95 c'est-à-dire les articles qui étaient relativement doux. L'article 3 remet au goût du jour une nouvelle réglementation interne. L'article 10, lui, impose aux opérateurs de ne vendre sur le marché local que lorsqu'ils exportent les 30% des quantités importées et en transforment les 20%. L'article 11 rebondit pour sa part sur ces satanées chaussures stipulant que, désormais, chaussures, jouets, espadrilles, casquettes et articles non cités dans l'article 1 (extensif) désignés déchets ne sont plus obligatoirement à exporter, mais à mettre aussi en déchets. Donc on jette des devises ayant servi à l'importation, à la poubelle ! Les mafieux débarquent Jusque-là les sociétés en gros vendaient la marchandise directement aux détaillants. Or, le cheminement à coups de refonte depuis le l'ancien Directeur Général de la Douane à la place duquel se trouve actuellement Madame la Générale Henda Ben Hamida (le temple est entre de bonnes mains !), déblaye le terrain sur les chemins des inévitables prédateurs de l'ancien régime. Désormais, et en vertu de l'article 17 du décret de 95, il existe des intermédiaires entre importateurs et détaillants – lesquels voient leurs chiffres et marges substantiellement réduits. Or ces intermédiaires, c'est-à-dire les grossistes étaient pour la plupart des Trabelsi et des Ben Ali. Et encore les gouverneurs imposaient aux importateurs de relouer les licences des grossistes : cercle vicieux. Seul l'article 19 est resté lettre morte : il y est stipulé qu'en cas d'infraction c'est la fermeture systématique. Or depuis 2005, il n'y a aucune fermeture (de grossistes) ! Tel est donc l'état des lieux du secteur de la friperie. Trop d'enjeux, trop de charges en effet pour un secteur qui ne brasse que les 12% par rapport à la population nationale en neuf. Revendications Fethi Bezrati, secrétaire général de la chambre syndicale ne mâche pas ses mots : « Nous avons besoin d'une nouvelle réglementation qui rompe avec celle de 2005 et que, contrairement à 95 et 2005, les importateurs soient partie prenante dans l'élaboration des textes. Les gens du métier doivent être des intervenants effectifs parce que leur concours contribuera à nettoyer le secteur. Entre autres, il faudra envisager de lever l'interdiction qui frappe les chaussures car elle favorise la contrebande. En plus, nous préconisons de bloquer les importations à condition que l'opérateur en exporte les 30% et en transforme 30%. Et d'ailleurs la Direction Générale de la Douane veut que les sociétés paient les droits et taxes à l'importation alors que nous sommes appelés à importer la friperie à l'état original, à la retravailler avec de la main d'œuvre tunisienne, à en reexporter les 30% et à effectuer les travaux de transformation et tout ce que cela suppose comme frais de cette transformation. L'Etat nous restituera-t-il dès lors les droits et taxes des quantités importées ? Vous voyez c'est un cercle vicieux. Enfin permettez ce raisonnement logique : Si je paie les droits et les taxes au port, la marchandise devient de nationalité tunisienne et dès lors je la vendrai là où je voudrai ! » Raouf KHALSI
Chiffres significatifs - La friperie emploie 8000 employés directs et 30000 revendeurs - Elle brasse 12% de la population nationale en neuf - Chiffre d'affaires global : entre 80 et 100 millions de dinars - Exportation : 20 millions de dinars - Chiffre interne : 40 millions de dinars