Parmi les rares responsables assumant actuellement de grandes charges dans l'appareil de l'Etat, figure précisément ce Premier ministre sur les épaules duquel reposent toutes les tâches ingrates et sur le gouvernement duquel on jette allègrement l'anathème. Il est certain aujourd'hui que le courant ne passe plus au sein de la Troïka, tant Ettakatol et le CPR vivent une crise identitaire à cause de l'obséquieuse allégeance vis-à-vis de ce Leviathan en gestation qu'est Ennahdha, surtout celle qui échappe au contrôle doctrinaire de Rached Ghannouchi. Hamadi Jebali aura vite fait de comprendre qu'il doit manœuvrer tel un funambule, qu'il est donc sur la corde raide et qu'il doit surtout réussir une espèce de saut mortel pour éviter d'être ballotté de charybde en Scylla. Il est donc face à un choix cornélien : s'assumer comme chef d'un gouvernement souverain, guère dépendant du Président de la République et nullement assujetti aux lubies de la Constituante ; c'est-à-dire en définitive faire cavalier seul… Ou se laisser domestiquer et accepter dès à présent d'être le bouc émissaire tout désigné, si les choses continuent de dégénérer. Cheikh Rached a choisi de se laisser habiter par une transcendance messianique. Mustapha Ben Jaâfar en est réduit à faire comme un maître d'école dans une classe bruyante et indisciplinée. Moncef Marzouki assouvit un fantasme : le Palais de Carthage. Et alors, tant qu'à faire, Hamadi Jebali, que beaucoup de Tunisiens trouvent sincère, prend la gouvernance du pays. Il ne délègue plus. Hier, sa visite inopinée à la douane, là où il a crûment dit que les conteneurs arrivent encore au nom des Trabelsi et sont détournés sous de fausses identités, prouve qu'il a compris que la pieuvre est toujours là et il lui a déclaré la guerre. En tant que Chef de l'Exécutif dans un régime transitoire mais à connotations parlementaristes, il n'a de compte à rendre à personne. Et d'ailleurs c'est ce qu'attendent de lui les Tunisiens.