• Ce n'était pas un homme de pouvoir faute d'avoir l'instinct du tueur La Fondation Temimi qui a pris son envol définitif et sans obstacles à la faveur d'une Révolution quasi improbable, a eu la louable initiative de célébrer, mercredi 4 juillet, le quarantième jour du décès du grand militant Hassine Triki. Pour mémoire, il faut rappeler que le défunt a brusquement quitté les siens suite à un accident de la circulation en mai dernier en Argentine. Le destin a ainsi décidé de lui réserver , à quatre-vingt-dix-sept ans, il est né au même quartier que Bourguiba, le 26 novembre 1915, un sort à l'image de son parcours itinérant : mourir loin de sa patrie car il revendiquait à juste titre plusieurs statuts, donc plusieurs patries. Cet homme dont le parcours a été délibérément occulté durant un demi-siècle n'avait de résonance que chez les vétérans de la vie politique en Tunisie. Et pour cause ! L'homme avait fait deux choix qui n'accordent aucun privilège à Bourguiba : il s'allie à Habib Thameur dès son engagement politique avec l'important épisode cairote au sein du Bureau du Maghreb arabe après la Seconde Guerre, puis penche davantage du côté de Salah Ben Youssef lors des négociations sur l'autonomie interne en 1954. Son sort national s'est donc « naturellement » scellé, mais l'homme ne s'avoue pas pour autant impuissant : anticipant des représailles, il fuit le pays à pieds, en janvier 1956, pour militer en faveur de la cause algérienne au point de constituer un atout de taille comme conseiller et interprète, impressionnant même le grand Abbès Farhat. Après un e escale à Madrid qui le familiarise avec l'espagnol, il Installe à Buenos Aires pour devenir le passage obligé de la diplomatie arabe en Amérique du Sud, avec même des fonctions officielles pour le compte de l'Algérie et de la Ligue des Pays arabes. Après l'indépendance de l'Algérie en 1962, il se consacre corps et âme en faveur de la cause palestinienne, laquelle est devenue sa raison d'être Absent malgré lui à la cérémonie, son ami Mustapha Filali, qui a bouclé hier ses quatre-vingt-et-onze ans, a brossé à l'endroit de Hassine Triki un portrait qui doit ramener les hommes politiques, toutes générations confondues, à leur juste dimension, s'il ne les renvoie pas à leurs chères études: « Hassine Triki a été un patriote doté d'opiniâtreté et qui ne se laissait jamais abattre par les nombreuses et combien décourageantes, voire méchantes, épreuves qu'il a rencontrées durant sa carrière politique. Il était en outre doué de perspicacité dans le domaine de la connaissance des hommes qui se vouaient à la cause publique. C'était un véritable homme d'Etat ayant le discernement, le sens de la mesure, joignant la parole à l'acte, et avait le génie d'établir des relations justes et adéquates avec les hommes susceptibles de servir le pays. En revanche, il n'était pas un homme de pouvoir, ce qui explique son parcours de militant pour plus d'une cause. » Que peut-on ajouter sinon que si Hassine Triki n'était pas un homme de pouvoir, c'était faute d'avoir l'instinct du tueur. Ce sont, Au contraire, ses ennemis qui cherchait à user de cet instinct pour l'éliminer. Mais ayant épousé des causes justes, il a survécu à tous ses adversaires, la production politique et intellectuelle en prime, et l'honneur sauf jusqu'au dernier souffle. Pourtant l'homme s'était contenté du certificat d'études primaires à l'école franco-arabe de Monastir, de métiers subalternes, en France lors de sa prime jeunesse de 1929 à 1933, puis à Tunis ( préposé à l'ascenseur à l'hôtel Claridge puis contrôleur à la carrière de Jebel Jelloud). Mais étant avide de connaissances et de militantisme, il se révélera à lui-même et à l'histoire comme un autodidacte exceptionnel. Hassine Triki, condamné à mort deux fois et traqué par le Mossad, est à lui seul une longue histoire tunisienne qui doit prendre la place qui lui revient dans la mémoire collective. Abdeljelil Temimi s' y attèle, Abdelfattah Mourou y contribue et son fils Omar s'y investit. Au demeurant la cérémonie sobre et a permis de recueillir des témoignages de ceux qui l'ont connu de près ou de loin – dont les ambassadeurs d'Algérie et d'Iran- pour permettre à l'assistance de repartir avec une plus large connaissance de l'homme, mais également avec le désir d'explorer davantage la personnalité de cet homme hors du commun. L'intérêt de certains pour le dernier ouvrage du défunt « voici la Palestine...le sionisme à nu » est un prémices prometteur. Il est vrai que Hassine Triki y a mis tout son génie pour éveiller la conscience de la jeunesse arabe, en guise de testament, afin de ne jamais sacrifier cette cause commune, celle qui a requis l'essentiel de son énergie et de son combat sans toutefois lui offrir la moindre lueur d'un dénouement honorable.