Khémaïes Ksila : «Celui qui sera derrière un éventuel blocage prouvera qu'il ne veut pas qu'il y ait d'élections» Nadia Châabane : «Le consensus est nécessaire pour ne pas bloquer le processus démocratique»
Les longs et laborieux débats au sein de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC) concernant le projet de loi créant l'Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) ont franchi hier soir la dernière ligne droite. Il s'agit de discuter, décortiquer et voter enfin article par article, le projet de loi. Déjà jeudi, les différentes interventions dans le débat général ont révélé certaines divergences, une chaude mêlée qui a quand même ouvert finalement la voie à un consensus sur certains points. Le blocage enregistré lors du débat sur l'instance provisoire de la magistrature, sera-t-il évité ?
Concernant la transparence, la publication des résultats par bureau, un consensus a été dégagé.
Des divergences sont apparues à propos de la commission de sélection des candidatures, l'élection du président de l'Instance, son autonomie financière, les critères et compétences exigés pour ses membres, la durée du mandat, les modalités de vote...
Plusieurs propositions d'amendements devront être présentées pour étoffer le contenu du texte. L'instance devra être constitutionnalisée par la suite. Nadia Châabane, membre de la Constituante du groupe démocrate, affirme sur sa page facebook que « cette instance a besoin d'un consensus pour ne pas compromettre le processus démocratique et les prochaines élections».
Dans une déclaration au Temps, Khémaies Ksila, membre de la Constituante et dirigeant à Nida Tounès, affirme que « le projet présenté est la synthèse de plusieurs autres projets préparés par la société civile, l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), le Conseil de l'Ordre des Avocats, La Ligue Tunisienne de Défenses des Droits de l'Homme (LTDH), le Parti Républicain, l'Association ATIDE... ». La première remarque de notre interlocuteur est que « le projet présenté par la Commission de législation générale comporte plusieurs points positifs. Il révèle un désir réel de consensus ». Toutefois, plusieurs insuffisances sont à relever. Elles concernent l'indépendance de l'Instance par rapport à l'administration et au Gouvernement. Khémaïes Ksila affirme qu'il y a « une ruse dans la composition de l'instance qui cache l'intention d'affaiblir ses membres élus devant l'administration. Le Directeur exécutif qui sera recruté veillera à l'exécution de l'opération électorale avec l'administration ». Les membres de la Constituante appartenant à Nida Tounès ont présenté une vingtaine de propositions d'amendements en collaboration avec le Parti Républicain, Al-Massar et quelques indépendants pour mettre l'accent sur des questions de principe dans la composition de l'Instance, comme celle de la parité. « Nous sommes conscients des difficultés, mais nous voulons imposer par la loi, que la parité soit respectée au moins pour les candidatures et qu'il y ait après le vote au moins 25% de présence féminine, ou masculine. Par ailleurs, nous refusons toute répartition sur des bases partisanes».
A propos de la colonie tunisienne à l'étranger, qui représente 10% de notre population, le dirigeant de Nida Tounès, pense qu'elle est sous-représentée au sein de l'Instance, avec un seul membre. « Il faut que toutes les spécialités soient ouvertes aussi bien pour les Tunisiens résidents dans le pays qu'à l'étranger », dit-il. Les Tunisiens à l'étranger n'ont que faire d'une représentation de façade.
Pour les aspects techniques, la transparence, l'indépendance et l'efficacité de l'Instance, Khémaïes Ksila estime qu'il faudra « reconduire une partie des membres de l'instance actuelle. Leur expertise est nécessaire. On ne va pas partir de zéro, d'autant plus que le projet reconnaît l'importance de l'expertise en proposant le renouvellement de la moitié des membres en cours de route. Ce qui vaut pour l'avenir, vaut pour le présent », dit-il. Plusieurs membres de la Constituante comptent appuyer l'idée de la reconduction non seulement du président de l'instance, mais davantage. L'expertise dans les régions est à capitaliser et exploiter. « Il y a une tendance à affaiblir le rôle du président dans le projet présenté. Nous proposons qu'il ait un véritable rôle, qu'il soit un président effectif. Il lui revient de présider non seulement l'Instance, mais aussi l'administration exécutive. C'est le seul porte-parole de l'Instance. Nous avons présenté des amendements pour que la direction exécutive agisse sous l'autorité de l'instance élue.
Le directeur de l'administratif ne doit pas être le directeur exécutif. Le président de l'instance doit présider tout le processus électoral dans toutes ses étapes et ses différents aspects ».
Les rapports entre l'Instance d'un côté, l'administration publique et le Gouvernement de l'autre posent un problème. L'ISIE qui avait organisé les élections du 23 octobre avait trouvé la collaboration et la compréhension totales auprès du Gouvernement de Béji Caïd Essebsi. L'administration était collaborait entièrement. Un ministre avait toutes les prérogatives pour aplanir toutes les difficultés en mettant à la disposition de l'ISIE tout ce dont elle avait besoin. A l'époque les membres du Gouvernement n'étaient ni impliqués ni, raison de plus intéressés par les élections. « Ce n'est plus le cas, aujourd'hui. Nous avons un Gouvernement dont tous les membres sont concernés par les prochaines joutes électorales. Nous avons des appréhensions et des doutes quant à leur neutralité. Ils peuvent intervenir et agir. Nous comptons améliorer l'article 22 pour rendre obligatoire la mise à la disposition de l'Instance de tout ce dont elle a besoin », précise notre interlocuteur.
Optimiste quant à la possibilité d'arriver à un consensus, Khémaïes Ksila lance un appel pour que le blocage apparu lors du débat sur l'Instance provisoire de la Magistrature, ne se reproduise pas. « Celui qui sera derrière cet éventuel blocage, aura à assumer ses responsabilités. Il prouvera qu'il n'a pas l'intention de tenir des élections». Attendons de voir.