Pascal Guénée, président du Réseau Théophraste « La clé de la liberté, c'est la compétence journalistique » Pascal Guénée, président du Réseau Théophraste, (le réseau francophone mondial des centres de formation au journalisme) parle dans cette interview des enjeux qui se présentent aux journalistes tunisiens après la Révolution. Il s'agit de la formation initiale ainsi que celle continue qui doivent être assurées pour améliorer le paysage médiatique en Tunisie. La compétence des journalistes est d'après lui la clé de la liberté de la presse.
Le Temps : Le réseau francophone mondial des centres de formation au journalisme, Réseau Théophraste a choisi comme thème de sa rencontre en Tunisie cette année, le journalisme à l'épreuve de la liberté. Pourquoi ce choix ? Pascal Guénée : Avec le réseau Théophraste qui est le réseau francophone mondial des centres de formation au journalisme, nous avons décidé au moment des printemps arabes de nous engager avec la Tunisie sur un dispositif à réaliser sur trois ans. Nous nous sommes réunis il y a un an et nous avons décidé l'année dernière de choisir ce thème, c'est-à-dire de voir comment les journalistes vont saisir cette nouvelle liberté, de telle manière aussi que nous puissions à travers la francophonie apporter nos propres expériences et les partager avec les journalistes tunisiens. Le paysage médiatique a changé après la Révolution du 14 janvier. Mais beaucoup reste à faire dans le domaine. -Je crois que le véritable enjeu est celui de la formation. A la fois la formation initiale parce qu'on va évidemment préparer l'avenir, et aussi la formation tout au long de la vie. On voit bien d'après ce qu'on entend ici qu'il s'agit d'une véritable interrogation sur les pratiques professionnelles, les pratiques collectives plus que sur les genres journalistiques. Les questions qui sont soulevées sont de nature éthique, de nature de charte de rédaction, est donc je pense que s'il y avait des dispositifs à mettre en place ça serait des dispositifs de formation sur ces questions là. C'est-à-dire au fond, quelle est ma responsabilité entant que journaliste, comment je peux élaborer une charte ou un code de rédaction et comment est ce que je peux travailler collectivement. Parce que c'est vrai que le journaliste est toujours un individualiste dans l'œuvre collective, mais là, cette dimension collective on sent qu'elle est encore à construire ici et que des dispositifs de formation pourraient sans doute aider. Quels sont selon-vous les modes d'appropriation de la liberté de la presse dans un contexte de transition dominé par des tiraillements politiques ? C'est compliqué. Parce qu'évidemment, dans cette position les journalistes vont être témoins mais également acteurs. Ils vont devoir rapporter l'information, mais aussi, ils étaient un élément de la révolution, et donc de trouver le juste endroit, le juste positionnement quand, également pendant des années il n'était pas question de traitement éditorial indépendant, c'est très difficile de trouver cette position là avec probablement aussi des positions individuelles et des intérêts individuels qui sont très différents. Dans cette dimension là avancer tous ensemble c'est vraiment un enjeu important parce qu'on a bien compris aussi que les équipes rédactionnelles n'étaient pas développées de façon massive et donc le temps de la réflexion est toujours ôté au temps de travail de préparation du travail quotidien. Je crois qu'il faut garder à l'esprit que la question du contrat de lecture de la ligne éditoriale doit être quelque chose sur lequelle la rédaction doit travailler prioritairement. Si ce document n'existe pas, il faut le formaliser. C'est quoi notre ligne éditoriale ? C'est quoi notre charte ? Et chaque fois qu'on rencontre un problème on peut le résoudre de manière très simple. Voilà, on est confronté à une telle situation, quel type de comportement faut-il adopter et ça peut être sur une question très simple, notamment la relecture d'une interview pour vérifier les chiffres ou quelque information...Il importe d'élaborer un petit guide des usages de la rédaction et être bien précis sur la ligne éditoriale. Parce que c'est vrai que chacun a ses opinions mais quand on est journaliste on l'est dans une rédaction. Une rédaction c'est une ligne éditoriale et pourquoi ? Parce que ça a un impact sur les lecteurs qui lorsqu'ils achètent un tel journal, ils attendent quelque chose du journal et pas quelque chose des individus qui y travaillent. Dans ce sens là, il faut que ça soit bien clair dans la ligne éditoriale. Selon vous le journaliste tunisien, comment doit-il travailler dans un contexte très dynamique marqué par la diversité de courants idéologiques et politiques pour qu'il ne soit pas attaqué d'une part ou d'autre ? Je pense que du côté politique c'est la faute aux médias et ça n'existe pas uniquement en Tunisie. On trouve ça partout. Et là on est à la différence entre ce qui peut être de l'ordre de la communication et de l'information. Lorsqu'un parti politique a envie de faire passer un message, lui, il est dans une démarche de communication, à partir de ce moment là on va veiller à faire passer son message et donc accuser systématiquement les médias de ne pas prendre compte non pas de la réalité mais finalement du message qu'ils veulent faire passer, c'est-à-dire de la vision de la réalité sous l'angle qui est le sien. Je crois que cette accusation on va la retrouver partout dans le monde et à ça nous avons opposé finalement des règles de traitement journalistique. Pour autant évidemment encore faut-il avoir traité les informations. Effectivement on est passé de cette posture où on était nourri d'un certains nombre d'informations qui arrivaient spontanément à la rédaction et puis d'être sur le terrain à l'écoute et retranscrire de ce qui se passe dans la société. Un des acquis de la Révolution c'est la liberté d'expression. Comment le journaliste tunisien doit-il procéder pour préserver cet acquis et le consolider davantage, selon vous. La clé de la liberté c'est la compétence journalistique. Il faut être irréprochable sur son traitement journalistique. Plus on sera compétent sur le plan de l'exercice journalistique plus à ce moment là il sera difficile pour les autres aussi de nous opposer ce qui a été fait parce qu'on sera en posture d'expliquer comment on a réalisé ce qui a été fait.