«La route est sombre et triste. Mais, si je ne me consume pas, si tu ne te consumes pas, qui éclairerale chemin ?» Che Guevara Qui poussera la muraille de nos renoncements, de nos désillusions, de cette peur qui étreint la gorge, nous tétanise, pétrifie rêve et espérance ? Qui répondra à l'appel du large, cette voix qui résonne en nous, insistante, pour mettre les voiles et voguer vers la délivrance ? Qui dissipera l'obscurité qui voile la splendeur du jour, le miroitement d'une étoile qui guide nos pas vers ce pays que nous enfantons dans la douleur, balloté par le roulis d'une déferlante, endolori et éclaté ? Qui dira le chemin torturé, envahi de ronces, les pieds en sang, nos errances ? Qui dira le désarroi de ces voix muselées, les slogans gaulés, les protestations bâillonnées, les yeux aveuglés, la chair martyrisée ? Qui taira les vociférations haineuses, les discoureurs de la discorde, les prêcheurs de la rancune, les orages houleux, les appels aux meurtres ? Qui taira leurs voix rauques et éraillées qui incendient la cité, leurs mots-épines, les clameurs terrifiantes, le grondement annonciateur d'un règne sanglant ?Qui taira les réquisitoires de feu, de haine, les cris tonitruants et le bruit des sabres ? Qui taira le vacarme de leur trépignement sur nos pavés qui se souviennent de l'empreinte de nos pas, un jour de gloire ? Qui arrêtera le déluge des ténèbres qui déferle sur nos rivages, envahit villes et villages, emporte l'espoir d'une saison ? Qui arrêtera la fureur de l'orage qui assèche nos terres, tue la sève nourricière et l'arbre verdoyant ? Qui arrêtera les imprécations guerrières, les hurlements des loups, la barbarie des hyènes se jetant sur la chair meurtrie ? Qui arrêtera la course des heures amères et la voracité des gnous ? Qui racontera nos exils torturés, étrangers, hors de nous-mêmes, isolés et éclatés ; La colère pour survivre et un rêve pour être, la tragédie de vivre et le drame de naitre ? Qui racontera l'enfer de l'enfermement des nuits, le bleu d'une rive pour résister ? Qui dira nos silences apeurés, les années de mutisme, les hurlements des geôles, l'attente hébétée, les réveils blêmes et nos matins blafards ?Qui dira la froidure des hivers, le tonnerre des mots creux et le ciel bas et lourd, l'amertume des regards et les jours hagards ? Qui chantera le jour auréolé de lumière, les gorges déployées, le torrent des mots, la source ressuscitée, le bonheur d'être ensemble, de nous sentir unis par la magie d'un mot qui érigea un soleil dans la nuit. Qui réveillera Babylone, la majesté de Damas, le chant d'un muezzin, les ors d'une mosquée ? Qui déclamera les poèmes de Qabbani qui pleure la décadence et l'amour perdu ? Qui réveillera les roses et les vers de Khayam ? Qui gardera l'âme de Derwich, la tombe de Cheikh Imam ? Qui dansera tel un derwich tourneur pour atteindre l'extase ? Qui glanera tous les poèmes des maudits ? Qui se souviendra de l'éclat du passé, de la geste des chevaliers et des chants soufis ? Qui réveillera les princesses :Elyssa, Kahéna, Cléopâtre et la Reine de Saba ? Qui réveillera nos mages endormis, l'hymne de Chebbi et les mots de Hached ? Qui allumera le réverbère, éclairera le chemin rocailleux, ramassera nos brisures pour en faire un miroir ? Ils n'arrêteront jamais la course d'un rêve ailé, emporté par la colère d'une vague. Nous l'enfermerons dans nos regards, bien loin de leur tintamarre hideux. Nous y déposerons une étoile pourprée, la magnificence d'un clair de lune, les talismans, dons des ancêtres, de l'antimoine pour nos yeux fatigués, un chapelet de mots parfumés de merveilles, des mots étincelles de lumière, des poèmes gravés au fer rougi sur nos fronts, les parchemins de notre Histoire, des chants à ensanglanter l'aurore, les comptines des enfants, des battements à l'unisson et des cris de victoire, des éclats de rire pour le jour béni et de multiples splendeurs et de l'encens pour la délivrance. Nous atteindrons la rive, matin de l'espérance.