« La violence actuelle peut être maîtrisée, si... », affirme Abdessattar Sahbani, sociologue « L'instance judiciaire n'est pas en train de faire face à la violence », affirme Lotfi Azzouz, directeur exécutif de la section de Tunis d'Amnesty International « La violence a touché toutes les catégories et tous les milieux », dit Jilani Hammami, porte-parole du Parti des Travailleurs « Mettre fin à la violence est la responsabilité de tous, mais cela incombe principalement au pouvoir », clame Khémaies Ksila dirigeant à Nida Tounès Agression subie par Abdelfattah Mourou, vice-président du Mouvement Ennahdha à Jemmal, vagues de profanation de 37 mausolées de Zaouias. D'autres intellectuels ont été agressés comme Youssef Seddik. Des journalistes attaqués dans l'exercice de leur métier. Réunions de partis politiques attaquées. Lotfi Naguedh de Nida Tounès passé de vie à trépas à Medenine, suite à une violente bastonnade... La violence politique commence à se banaliser. Qu'est-ce qu'il y a derrière ce phénomène ? Quelles sont ses raisons ? Comment y remédier ? Abdessattar Sahbani, sociologue, clarifie et relativise les choses. « Toutes les sociétés reposent sur la violence et la gestion de la violence. Il se trouve actuellement que la violence a dépassé les limites parce que nous vivons la déconfiture du social. Nous avons à faire à trois ou quatre projets de société, ceux des Salafistes, des Fondamentalistes, des Modernistes, ceux qui croient à l'idéal de l'unité arabe...Il y a une incapacité à gérer ces conflits. L'Etat n'a pu résoudre un petit problème de remaniement ministériel depuis des mois. Cette violence n'est pas nouvelle. Elle était latente par le passé. Si les choses continuent ainsi, d'autres formes de violence surviendront. La violence actuelle peut être combattue et maîtrisée. Nous ne sommes pas encore dans la logique de l'utilisation des armes et des cartouches. Nous avons une société très fragile et fragilisée par la crise, la cherté de la vie et l'insécurité. A ce train là les choses peuvent prendre une autre tournure grave ». En dépit des problèmes, le sociologue se montre optimiste. « La société civile a son mot à dire. Il faut compter avec. Jusque là, la société civile est en phase de construction. Elle n'a pas les moyens de ses ambitions. Le cadre juridique ne suit pas. Elle peine. Elle n'est pas en mesure de prendre les choses en main. La société politique assume en grande partie la responsabilité de la violence. Il y a un problème de communication. Même les émissions télévisées incitent à la violence. La violence est un peu partout. Les rumeurs sont une forme de violence, l'insécurité aussi ainsi que l'attente. Depuis 6 mois, on attend un nouveau gouvernement. Les rapports sont très tendus entre l'Etat et l'UGTT. Le Mouled un rituel religieux, d'habitude source de joie, est une devenu une source de conflit. Il y a conflit entre visions et projets, ainsi qu'une incapacité de s'asseoir et discuter ensemble ». Qu'en pensent les militants des Droits de l'Homme ? Lotfi Azzouz, Directeur exécutif de la section de Tunis d'Amnesty International, pense que « la violence s'est propagée à cause de la faiblesse des structures de sécurité. En plus les discours des responsables politiques sont compris par les citoyens comme des appels à la violence contre les personnes. La violence contre les journalistes a été encouragée par certaines forces. La violence des forces de sécurité pour faire face aux revendications pacifiques est à mettre en relief. La violence s'explique par l'absence de la culture du consensus. Le peuple tunisien est de nature non violent. Actuellement, la violence est pratiquée par des personnes, des groupes et le pouvoir. Des dirigeants politiques n'ont pas transmis de messages clairs et nets contre la violence. Les discours de justification donnent un feu vert pour la violence. Les forces de sécurité ne sont pas craintes, vu qu'elles manquent de moyens. L'instance judiciaire n'est pas en train de faire face à la violence avec l'efficacité et la rigueur qu'il faut. A plusieurs reprises, les agents de sécurité procèdent à des arrestations. La justice s'arrange quand même pour les élargir. Les instances judiciaires sont promptes à sévir quand il s'agit de limiter la liberté d'expression des journalistes ou des blogueurs qu'à neutraliser les auteurs de violence. La Justice est cool face à la violence. Dans des réunions publiques on parle beaucoup de violence que ce soit au nom de la légitimité religieuse ou la protection de la Révolution. Des mesures coercitives doivent être prises contre les personnes qui utilisent la violence. Une autre mesure préventive doit être prise à travers la diffusion de la culture de la tolérance et du dialogue en s'éloignant le plus possible de l'exclusion ». Quant aux hommes politiques de l'opposition ils ne cessent de prôner le dialogue et de dénoncer la violence. Jilani Hammami, porte-parole du Parti des Travailleurs, déclare au Temps que « la violence est une des expressions de la crise générale dans le pays. La crise de l'insécurité apparaît avec la propagation du phénomène de violence exercée par l'Etat contre les mouvements sociaux pacifiques. Le deuxième acteur de la violence est la nébuleuse salafiste. Elle apparaît comme une force de réserve du mouvement Ennahdha, avec un partage vicieux des rôles. Chaque fois où Ennahdha rencontre des difficultés, elle incite de façon indirecte les salafistes à agir, pour détourner l'attention des citoyens des vrais problèmes qui érodent le pays. Ainsi, la violence devient une source pernicieuse de soucis et les citoyens oublient leurs problèmes. La violence a touché toutes les catégories et tous les milieux : artistes, intellectuels, membres de la Constituante, journalistes... Il y a eu un mort à Tataouine. Aujourd'hui, des salafistes s'attaquent aux mausolées et aux lieux Soufis, au nom d'une certaine vision de la Religion. Ce sont des attaques contre l'imaginaire collectif du peuple. Leurs auteurs ne sont pas sanctionnés. C'est un phénomène grave que le Gouvernement traite avec beaucoup de souplesse et de tolérance. Une troisième source de violence : les Ligues de protection de la Révolution, le bras violent d'Ennahdha, qu'elle utilise contre ses adversaires politiques comme Nida Tounès, le Front populaire et l'UGTT. Ces Ligues sont liées à Ennahdha qu'elle manipule pour semer la peur et la terreur. On dirait qu'Ennahdha se prépare aux prochaines élections en renforçant ces groupes pour s'imposer. Les ministères de l'Intérieur et de la Justice ainsi qu'Ennahdha doivent assumer leurs responsabilités. Les signaux sont graves. Les armes circulent dans le pays. La Tunisie pourrait basculer dans un champ de lutte armée. C'est le plus grand danger qui guette la Révolution. Nous considérons que ce plan qui est très grave, ne passera pas. Nous ne baisserons pas les bras. Il y a une grande tendance populaire, partisane et associative à faire face à la violence. L'espoir est grand pour juguler ce phénomène que le Gouvernement l'admette ou non ». Khémaïes Ksila, dirigeant à Nida Tounès affirme au Temps : « si chaque Révolution ou changement radical, s'accompagne de perturbations, une certaine anarchie et violence, la situation en Tunisie a connu durant les derniers mois, la diffusion de la violence politique. Elle a dépassé la violence verbale avec l'incitation, la diffamation, le dénigrement, pour atteindre la violence physique, l'attaque des réunions, la visée des symboles politiques, sociaux et civils ». Khémaïes Ksila étale les exemples, comme l'assassinat de Lotfi Naguedh, un des symboles de Nida Tounès. Les milieux artistiques, syndicaux, intellectuels et médiatiques ont subi la violence, comme Youssef Seddik, Nouri Bouzid et Abdelfattah Mourou, à deux reprises. D'autres évènements graves ont eu lieu, comme l'attaque de l'ambassade américaine et ce que nous connaissons, ces derniers jours comme profanation des mausolées des ‘ Awlya Salehine'. Les Tunisiens doivent s'unir et considérer comme priorité la dénonciation et l'arrêt de cette violence. Un fil unie tous ces actes de violence. Ils ont la même nature, le même objectif et les mêmes instigateurs. Ce sont des groupes qui attaquent les autres d'apostasie, ou agissent dans le cadre de ce qu'on appelle les comités de protection de la Révolution. La tolérance dont ils bénéficient du côté du Gouvernement et parfois la complicité du ministère de l'Intérieur, sont la principale raison de la propagation de ce phénomène. Mettre fin à la violence est la responsabilité de tous, mais incombe principalement au pouvoir ».