Le Chant de l'aube qui s'éveille est un premier roman évocateur et sensible. A travers le récit d'une passion amoureuse tragique, ce livre met en scène les paradoxes de l'île Maurice, ses tensions, ses préjugés sociaux. Et si la nation arc-en-ciel était le symbole de la désunion des peuples ? Brigitte Masson est une figure incontournable de la vie culturelle mauricienne. Héritière d'une famille d'origine française établie à l'île Maurice depuis 1953, fille du peintre national Hervé Masson, nièce de Loys et André Masson qui ont marqué l'histoire littéraire de l'île, elle est elle-même éditrice (fondatrice de la maison d'édition La Maison des Mécènes) et écrivain. Elle s'est fait connaître en publiant des nouvelles. Le Chant de l'aube qui s'éveille publié en fin 2012, mais lancé pendant le salon du livre de Port-Louis, est son premier roman. Un livre émouvant, à mi-chemin entre l'autobiographique, l'historique et l'initiatique, éblouissant d'intelligence de cœur et d'écriture. La maîtrise et l'économie dont il témoigne annonce la naissance d'une plume à laquelle il conviendra d'être attentif. «Les années de braise» Brigitte Masson est à la fois l'auteure et la narratrice de son récit. Elle parle à la première personne, expliquant dès les premières pages que l'Histoire, qui est omniprésente dans son livre, n'est que cadre et prétexte pour reconstituer les souvenirs de son passé personnel, en particulier celui de la passion amoureuse qui a marqué son entrée dans la vie adulte. « Ce que je retenais de cette histoire, écrit-elle, ce n'était pas l'Histoire, c'était mon histoire à moi, celle de mon éveil à l'amour et celle de ma révolte. Peut-être est-ce pour cela qu'est né ce livre. Ni roman, ni récit, ni journal, ni autobiographie. Je ne sais pas ce qu'est ce texte exactement, mais je prends grand plaisir à l'écrire et à laisser vagabonder mes pensées au gré de mes états d'âme et de ma folie intérieure. » Le livre ressuscite les événements du début des années 1970, la grève des dockers qui sont rejoints par les employés des centrales électriques et autres sous-prolétaires mal-payés, vivant sous le seuil de la pauvreté. La famille de la romancière était étroitement impliquée dans ce mouvement, son père ayant pris fait et cause pour les grévistes. Le gouvernement issu de l'indépendance survenue en 1968, emploie les grands moyens pour réprimer la révolte, embastille les têtes pensantes du mouvement dont Hervé Masson, envoie l'armée pour déloger les grévistes : le drame est évité de justesse sous le regard de l'opinion internationale mobilisée par les amis de Maurice en France et dans le monde. Il n'en reste pas moins que ces « années de braise » ont profondément marqué la conscience collective mauricienne. C'est sur fond de cette explosion sociale que se déroule le drame personnel que raconte Brigitte Masson. Elle était une adolescente de dix-sept ans au moment des événements. Fraîchement débarquée de Paris où elle est née et où elle a vécu jusqu'au retour de ses parents à Maurice en 1970, la jeune fille est arrachée à sa découverte de l'île ancestrale par la révolte prolétarienne qui secoue tout le pays. Elle participe aux côtés de sa mère au mouvement de solidarité qui s'organise pour venir en aide aux familles des grévistes. Elle fait la connaissance de Diego, leader syndicaliste. Bien qu'il soit beaucoup plus âgé qu'elle et marié, elle tombe amoureuse de ce trentenaire, beau comme un dieu africain ! Une faute contre l'Histoire Consumés par une passion réciproque, les deux amants se jurent fidélité et amour éternel et rêvent de vivre leur passion au grand jour. Mais c'était sans compter avec la réalité sociale. La société mauricienne n'était pas encore prête pour accepter un couple aussi disparate : « Trop de différences combinées dont la plus visible de toutes, la couleur de peau, écrit la romancière. Le pays étant ce qu'il est, on comprendra à demi-mot ce que je veux dire par couleur de peau. Bien évidemment, ce n'est pas simplement une question de noir et blanc, mais tout ce que ces deux couleurs charrient socialement et culturellement : un ti kréol, c'est-à-dire pour que les choses soient claires, un homme noir foncé, d'origine africaine, descendant d'esclaves, au plus bas niveau de l'échelle sociale avec tout ce qui s'en suit comme représentation bien de chez nous : ne parlant pas français, tout juste alphabétisé, vivant dans une cité et travailleur de force… » L'affaire fit grand bruit, chez les « bien-nés » comme chez les « mal-nés », et faillit même de compromettre l'action syndicale en cours. La faute commise par le couple contre la morale et contre l'Histoire, ne pouvait que déboucher sur la tragédie. Il y a du incontournable Paul et Virginie, mais aussi du Bouts de bois de Dieu et de L'Amant de Lady Chatterley, dans ce roman qui mêle avec brio l'Histoire avec un grand « H » et la transgression sociale. La prose de Brigitte Masson est souvent poétique, surtout quand elle raconte la découverte de l'amour et ses limites. Son intelligence narrative réside dans l'alternance du subjectif et du collectif, de l'autobiographique et de l'historique, de la fiction et des commentaires sociologiques, qui structure le récit, sans que le lecteur perde jamais le fil de l'intrigue principale. Il se souviendra aussi du portrait sombre et perspicace que Masson brosse de la société mauricienne bloquée, prisonnière de ses complexes et préjugés. (RFI)
Le Chant de l'aube qui s'éveille, par Brigitte Masson. Paris, La Maison des Mécènes, 2012.