Le cinéma Mondial a projeté, vendredi dernier, dans le cadre des JCE, un documentaire algérien de 23 minutes « J'ai habité l'absence deux fois » de Drifa Mezeneer. La réalisatrice filme sa famille et son quartier d'Alger, Kouba que l'un de ses frères a quitté pour l'Angleterre d'où il n'est jamais revenu. Le temps passé marqué par le terrorisme et la vie aujourd'hui dans un quartier plein d'effervescence. Un quartier marqué aussi par l'absence-présence de ce frère parti trouver du travail en Angleterre. Dans le jardin familial, la réalisatrice interroge son père qui trouve des difficultés à lui donner des réponses sur l'Algérie contemporaine (« quand la colère m'aura quitté, je te raconterai » dit-il), son regard qui la fuit, fait sentir les blessures qu'ont laissé en lui les deux guerres que sa génération a subies. C'est une conversation entre un père et sa fille, ce qui est rare dans les pays arabes où le conservatisme est de retour. Un échange émouvant d'un homme qui a vu tant d'épreuves défiler dans sa vie et sa fille, une jeune femme, dont la jeunesse a été volée, suite à un évènement survenu en 1992. Cette dernière provoque son père à parler de son histoire, de l'Histoire de l'Algérie, de la décennie noire. Mais lui préfère rester muet et garder ses souvenirs pour lui-même. Briser le silence Le silence de la mère rend poignante la douleur qu'est la sienne en l'absence de ce fils. Les propos du grand frère apportent un éclairage subjectif, pertinent, parfois ironique, sur ce qu'il en est de la vie à Alger aujourd'hui, un appel à une renaissance qu'il sait difficile. Ce film, maîtrisé à tous les niveaux : cadre, son et montage est une confession intime sur une famille, un quartier, un pays, une époque, une cinéaste qui sait parler à la première personne. Réalisé dans le cadre des ateliers de la 10ème Rencontre cinématographique de Bejaïa, manifestation fondée en 2007 par l'association algérienne Cinéma et Mémoire, en partenariat avec l'association française Kaïna Cinéma, Le thème principal de « J'ai habité l'absence deux fois » est l'absence et ses séquelles sur une famille brisée affectivement. Le film reflète une dure réalité, partagé par un grand nombre de familles algériennes : le départ du fils à la recherche d'un meilleur avenir. Double réflexion Sofiane, le frère de la réalisatrice réagit par une lettre dans laquelle il raconte ses souvenirs, ses aspirations, ses désespoirs. Il parle également de sa nouvelle vie, tandis que Drifa n'a rien à lui révéler : "Je ne sais plus ce qui s'est passé depuis tout ce temps. Ma mémoire a été refoulée", confie-t-elle. « J'ai habité l'absence deux fois » propose une double réflexion sur l'absence : l'absence d'un vécu, d'une vie normale en raison de la décennie noire et l'absence d'un proche. Le regard lucide de la réalisatrice affronte le passé et nous confronte à une réalité qui nous place dans le malaise, car il est question de refoulement et d'enfermement. Un film poignant et beau à tous les égards.