«La loi numéro 5 de l'année 2016, en date du 16 février 2016, amendant et complétant le Code des procédures pénales : les garanties, les problèmes juridiques et les entraves d'application », tel est le thème d'une réunion d'information tenue, vendredi 20 mai, à Tunis, à l'initiative de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), avec la participation de nombreux juristes, enseignants de droit, magistrats et avocats. Présentant le cadre de la réunion, la présidente de l'AMT, Raoudha Karafi, a indiqué que les nouvelles garanties accordées par la loi du 16 février 2016 aux suspects en garde à vue dans les postes de police sont importants et constituent un acquis mais, cette loi présente des failles et des points obscurs qui risquent d'entraver la mise en application des nouvelles dispositions dans de bonnes conditions et les vider de leur substance, si rien n'est fait, dans ce but, par l'autorité de tutelle en l'occurrence le ministère de la Justice. Elle a demandé plus particulièrement la mise en place d'un guide d'application et des circulaires explicatives propres à combler les failles constatées, signalant que depuis le mois mars, l'AMT a attiré l'attention du ministre de la Justice sur ces failles et points obscurs. Cependant, a-t-elle affirmé, aucune mesure n'a été prise à cet effet, jusqu'à présent alors que la loi entre en vigueur à compter du 1er juin 2016, soit dans une dizaine de jours. Cet intérêt et ces démarches de la part de l'AMT, a-t-elle dit, procèdent de la mission dont sont investies les instances judiciaires par la nouvelle constitution tunisienne, désignées comme étant les protecteurs exclusifs des droits et libertés et c'est justement dans le but de les consolider que la loi du 16 février 2016 a été, en principe, conçue et adoptée. Des communications sur les nouvelles garanties et les failles qui risquent de rendre leur application difficile et annihiler leur effet, ont été faites par des juristes et des magistrats dont une communication introductive par l'avocat et professeur de droit Mohamed Ajmi et une autre communication intitulée la loi du 16 février 2016 et les garanties d'un procès équitable, par le vice-président du Tribunal de première instance de Sfax et membre du bureau exécutif de l'AMT, Mohamed Ben Letaief. Le professeur Mohamed Ajmi a qualifié cette loi d'occasion historique pour consacrer l'indépendance du pouvoir judiciaire à l'égard de l'administration et du pouvoir politique en général, s'agissant notamment du parquet et du procureur de la République dont la dépendance à l'égard du pouvoir exécutif représenté par le ministère de la Justice est moins une dépendance consacrée par les textes qu'une dépendance ancrée par les habitudes, les pratiques et une certaine mentalité de travail qui prévalait depuis longtemps Il a affirmé, à ce propos que la loi du 16 février 2016 place toute la procédure de garde à vue (décision et prolongation, entre autres) sous l'égide et la supervision directe du procureur de la République territorialement compétent et lui offre ainsi l'occasion de montrer et d'exercer son indépendance. Passant en revue les failles, le magistrat Mohamed Ben Letaief a noté que les nouvelles dispositions ont réduit la durée de garde à vue, en la ramenant à 48 heures pour les délits de type pénal et correctionnel, contre 3 jours auparavant, mais elles n'ont pas précisé à quel moment commence, au juste, la garde à vue, alors que dans la législation française par exemple, il est mentionné que la garde à vue commence dès l'interpellation du suspect. Au même moment, a dit le magistrat Mohamed Ben Letaief, et contrairement à la loi française par exemple, la loi tunisienne justifie la garde à vue par une notion générale et sujette à toutes les interprétations, à savoir la nécessité de l'enquête, sans spécifier les cas précis qui justifient la garde à vue, comme le fait d'empêcher le suspect de contacter ses complices ou de détruire des preuves. Cependant, en cas de prolongation de la garde à vue, le procureur de la République doit justifier cette prolongation. Des exceptions à la supervision du procureur de la République sont prévues, sans autre précision, c'est-à-dire que dans certains cas exceptionnels devant être toutefois mentionnés par des textes de lois, la police judiciaire peut ordonner la prolongation de la garde à vue, sans se référer au procureur de la République, ou encore le procureur de la République peut décider de retarder l'assistance d'un avocat au suspect en garde à vue, de 24 heures, mais d'après le magistrat Mohamed Ben Letaief, ces cas exceptionnels intéressent les accusations en rapport avec le terrorisme. Toutefois, selon la présidente de l'AMT et les autres intervenants, les nouvelles dispositions exigent le déploiement de moyens matériels et humains supplémentaires, comme l'organisation de permanences le week end, vu que les services judiciaires et les tribunaux ne fonctionnent pas samedi et dimanche, et des permanences de nuit, constituées de staffs au complet, procureurs de la république ou substituts, juges d'instructions, secrétaires...ainsi que des espaces appropriés et dument équipés pour mener à bien le travail.