Je suis l'un des tunisiens chanceux qui ont vécu les deux époques contemporaines de l'histoire de la Tunisie: l'ère Bourguiba, et l'ère Nouvelle. Durant la première en tant qu'élève et durant la deuxième dans la vie professionnelle. Dans le contexte de la commémoration par la Tunisie de la 9ème année de la disparition du président Bourguiba, plusieurs souvenirs me reviennent à l'esprit. Etant enfant, mon défunt père me parlait beaucoup de Bourguiba, le leader, le militant et le sauveur. En regardant ses discours à la télé, sans rien comprendre, j'étais émerveillé par cet Homme qui gesticulait beaucoup et parlait avec ferveur et dynamisme. Je sentais dans cet Homme une énergie qui pourrait soulever la terre. Jusqu'au jour ou j'ai pu voir ce «combattant suprême» et le toucher aussi. C'était à l'occasion de l'inauguration du métro Monastir-Mahdia, et le président Bourguiba est descendu saluer la grande foule qui s'entassait pour le voir. J'étais un des jeunes scouts, dans les premières lignes, et il m'a tendu la main et j'ai pu le toucher. C'était inoubliable et surtout plein d'émotions. De l'ère Bourguiba, je retiendrais surtout la clairvoyance d'un Homme stratège, l'intelligence d'un politicien hors norme et d'un diplomate chevronné. C'est aussi un grand réformateur qui a lancé les plus audacieux des projets, au plus jeune âge de la République tunisienne. Certains étaient contre la politique de Bourguiba, mais que l'on veuille ou non, cet Homme est une partie intégrante de cette Tunisie. C'est un des constructeurs de la Tunisie du 20ème siècle. Avec le changement du 7 Novembre 1987, qui était évident à l'époque, vu l'état de santé d'un Homme épuisé par les années ; beaucoup ont cru à un scénario de rupture totale et de négation. Or le président Ben Ali a sauvé une Tunisie au bout du gouffre, sans nier les efforts d'un Bourguiba amoureux de sa patrie. Jusqu'à sa mort, le «Zaîm» a bénéficié de l'intérêt présidentiel dont il était digne et de la reconnaissance qu'il méritait. Un comportement auquel les pays en développement n'étaient pas habitués. Pour des raisons professionnelles, j'ai eu encore une fois la chance de voir le président Bourguiba trois mois avant sa mort. Entouré d'appareils et de médecins, le «combattant suprême» se livrait à son dernier combat contre la mort. Dans ses plus grands moments de faiblesse, Bourguiba était fort. Dans ses pires moments de maladie, mon respect pour cette icône de la Tunisie n'a pas été altéré. Je voyais dans ses yeux brillants une forte détermination et un grand amour à la vie. Le jour de ses funérailles, j'étais dans les premiers rangs de ceux qui lui ont adressé le dernier hommage, et ont tiré la révérence à un Homme qui a marqué les esprits et imprégné l'histoire. Durant ses derniers jours à l'Elysée, le président Mitterrand disait à un journaliste «Je suis le dernier des Mitterrand». Dans la même catégorie, nous commémorons ces jours la disparition du «dernier des Bourguiba». Paix à son âme. Les jeunes d'aujourd'hui ont aussi le devoir de mémoire.