C'est bel et bien l'heure des grandes réformes dans le monde des affaires. Une réaction naturelle et très attendue qui se poursuit au fil de deux années bourrées par les mauvaises nouvelles de la crise financière et économique à tel point que certains n'ont pas hésité à crier à la faillite du système capitaliste. Alors que la première génération de réformes a été essentiellement d'ordre institutionnel, vu qu'on cherchait des effets immédiats, l'on se tourne actuellement vers le volet règlementaire. Le 16 mars 2009, la Tunisie a adopté une profonde réforme de son droit de sociétés commerciales. L'apport de cet amendement a été au cœur d'un Séminaire scientifique organisé, hier, à la Maison de l'entreprise, par le Centre des études juridiques et judiciaires (CEJJ) et l'Institut arabe des chefs d'entreprise (IACE). Au cours de cette manifestation, il semble qu'un consensus s'est dégagé quant à la portée de l'amendement : il s'agit d'une « vraie » réforme. M. Ahmed Ouerfelli, juge - président de groupe de travail au CEJJ, a bien expliqué cette qualification. Selon lui, La réforme de 2001 s'est contentée d'ajouter au Code des sociétés commerciales un chapitre (relatif aux groupes de sociétés) qui est « tombé » de la version initiale. Celles de janvier et de juillet 2005ont touché des aspects épars qui ne reflètent pas une vue d'ensemble ou une idée de base. Celle d'octobre 2005 a porté sur un aspect fondamental mais limité qui est l'audit comptable. Enfin, celle de janvier 2009 s'est limitée à un point de détail très particulier. Cela étant, la loi du 16 mars 2009 se distingue nettement par la largeur de sa portée, même si ce sont surtout les sociétés structurées qui y ont été visées. Le seul article qui ne concerne pas d'ailleurs les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés anonymes et qui a été modifié est l'article 55 relatif à la mise en faillite personnelle des associés en nom, en cas de faillite de la société en nom collectif. Quant aux autres textes affectés par l'amendement, les articles 3 et 15 font partie des dispositions communes à toutes les sociétés. Toutefois, la question des pactes parallèles aux statuts -objet de ces articles- concerne principalement les sociétés anonymes en pratique. Outre le fond, l'innovation a été aussi bien ressentie au niveau de la forme, notamment à travers les nouveautés touchant la manière de rédaction, la forme des textes et la terminologie juridique utilisée. En effet, ceci revient notamment au souci du législateur tunisien de diversifier ses sources matérielles d'inspiration, au point que certains spécialistes sont allés jusqu'à affirmer une ouverture sur « les systèmes les plus évolués » et un dépassement du « carcan du modèle français ». A cet égard, la consécration de certaines notions, comme celle du « conflit d'intérêts », et la présence des empreintes de la fameuse « soft law », toutes d'inspiration anglo-saxonne, s'avèrent assez significatives. A vrai dire, la crise économique ainsi que les analyses qui ont décrypté ses raisons ont laissé des traces indéniables sur certaines dispositions de la nouvelle loi. Il en est ainsi de la question des prérogatives des dirigeants qui démontre une certaine prudence législative traduite par une limitation des pouvoirs de la direction générale. Cette orientation est accompagnée d'une responsabilisation accrue des dirigeants qui va de pair avec la réorganisation des opérations entre ces derniers et la société, sous l'égide du principe de la transaction équitable et l'appel des dirigeants à éviter tout conflit entre leurs intérêts personnels et ceux de la société. Dans ce même cadre, la rémunération des dirigeants a été également dans le collimateur du législateur (article 200 nouveau CSC), en instaurant une procédure de contrôle des rémunérations successives. Ce qui n'est pas sans rappeler le dossier des « parachutes dorées » qui a fait couler beaucoup d'encre ailleurs. Du coup, cela montre que la nouvelle loi ne manquera pas de susciter quelques difficultés d'interprétation et d'application ! Toutefois, il serait erroné de lire la loi du 16 mars 2009 exclusivement à la lumière de la crise économique et financière mondiale. Cette loi est loin d'être conjoncturelle. Elle n'a pas été conçue pour faire face aux répercussions de la crise. La preuve en est qu'elle ne contient aucune disposition visant à aider les sociétés en difficulté ou à assouplir la responsabilité des dirigeants. Bien au contraire, elle est venue raffermir les devoirs et responsabilités de ces derniers, démontrant par là même qu'elle est plutôt porteuse de choix durables et fondamentaux.