Ce n'est pas un nouveau marché du côté de Bab el Fella ou de Bab Dzira, ce n'est non plus pas un marché ou on vend des produits de consommation à bas prix, ou un nouveau marché aux puces. Pour les non initiés c'est un marché ou on vend du « carbone CO2 », c'est-à-dire le gaz nocif à l'environnement, tel que celui qui se dégage des voitures ou des usines. Etrange, n'est ce pas ? A l'occasion de la journée mondiale et nationale de l'environnement, et qui a vu l'inauguration par le Président de la République d'un grand projet environnemental à Jradou (Zaghouan), le marché de carbone se présente comme un projet international à double facette environnementale et économique. L'Expert, de part sa spécialisation, va s'intéresser au deuxième volet, c'est-à-dire le volet économique, à travers la discussion d'un rapport intéressant publié récemment par la Banque Mondiale, et voir les initiatives tunisiennes dans ce secteur. Qu'est ce que le marché de Carbone ? Le protocole de Kyoto a contraint les pays développés à limiter leurs émissions de six gaz à effet de serre (CO2, CH4, N2O, FS6, PFCs et HFCs) durant la période 2008-2012. Ces objectifs peuvent être atteints par le biais de politiques de réductions domestiques ou en ayant recours aux mécanismes de flexibilité définis dans le protocole. L'achat de permis d'émission permet aux pays signataires de combler la différence entre leur objectif de réduction et leur réduction effective en première période d'engagement. Plus clairement, il s'agit de répartir l'émission de gaz à effet de serre dans le monde entre les différents pays. Si un pays, dépasse le quota sur lequel il s'est engagé, à cause de la croissance de son économie et pour les besoins de son développement industriel, il est contraint d'acheter des quotas de pays en développement et qui ont un excédent dans le quota qui leur est permis de dégager. Ce sont les fameux « crédit carbone ». Il existe aujourd'hui des bourses pour le carbone et des contrats de gré à gré entre les pays ou entre les entreprises. Les principales bourses mondiales du marché carbone sont : le Chicago Climate Exchange, Euronext (Powernext), l'European Climate Exchange, ainsi que l'Intercontinental Exchange. Pour faire simple, le marché de carbone est l'ensemble des mécanismes d'échanges et de transactions à travers l'achat du droit de dégager des gaz à effet de serre par des entreprises ou des pays qui veulent dégager encore plus ; de pays ou entreprises qui ont le droit de dégager, mais préfèrent vendre ce droit parce qu'ils n'ont pas besoin.
Un marché de 126 milliards de dollars : Le marché du carbone continue son expansion malgré la crise financière. En effet selon le Rapport 2009 sur l'état et les tendances du marché du carbone publié par la Banque mondiale ce marché a doublé d'importance et atteint aujourd'hui 126 milliards de dollars. Environ 92 milliards de dollars de cette valeur globale est représenté par les transactions de quotas et dérivés dans le cadre des Emissions Trading Scheme (EU ETS) pour la conformité, la gestion des risques, d'arbitrage, et de trésorerie. Le deuxième plus grand segment du marché du carbone a été le marché secondaire pour des réductions d'émissions certifiées qui est un marché financier à terme et des options de transactions de plus de 26 milliards de dollars soit cinq fois plus en valeur et en volume par rapport à 2007. La demande pour les allocations de carbone a fortement baissé à la fin de 2008 et au début de 2009, puisque la récession réduit la production économique, d'où beaucoup moins d'émissions que ce qui avait été prévu. Moins réjouissant est le recul des transactions effectuées pour financer des projets actuels liés à la réduction des émissions. Ces transactions, qui enregistrent une baisse de 12%, ont représenté quelque 6,5 milliards de dollars en 2008. Cette baisse est le résultat d'un ensemble complexe de facteurs, dont la difficulté d'obtenir des fonds permettant la mise en œuvre de projets écologiques durant la crise financière, les retards dus à des questions de réglementation et l'incertitude quant à l'avenir de ce marché. Celui-ci dépendra en effet du nouvel accord mondial sur le changement climatique, qui devrait entrer en vigueur en 2012. Selon le rapport Stern publié en 2006, le marché du carbone est en mesure de couvrir 25 % des actions nécessaires pour stabiliser les émissions. Il pourrait être utilisé de manière stratégique en vue de favoriser le développement à grande échelle et à long terme d'une économie à faible émission de carbone. Selon les estimations de la Banque Mondiale: - 82 % du volume des transactions effectuées sur le marché du carbone en 2008 a concerné des projets liés aux énergies renouvelables, au passage à d'autres combustibles et à l'efficacité énergétique. - 70 % des nouveaux projets en 2008 ont été consacrés au développement des énergies hydraulique, éolienne et de la biomasse ainsi qu'à l'efficacité énergétique de la production d'électricité. - C'est la Chine, avec 84 % de part de marché en 2008, qui est à l'origine du plus grand nombre de transactions confirmées sur le marché primaire du Mécanisme de développement propre (MDP). - Plus de 4 500 projets, concernant environ 80 pays (dont un nombre croissant de pays d'Afrique subsaharienne) sont en préparation dans le cadre du MDP. La crise économique mondiale n'a pas épargné ce marché. En effet, le prix des crédits carbone sur le marché secondaire a baissé de 50% en six mois, passant de 20 à 10 euros, la tonne équivalente CO2.
Une activité énergique pour la Tunisie dans le marché de carbone : La protection de l'environnement en Tunisie est depuis longtemps un enjeu stratégique et un défi national à relever. En effet, notre pays a signé la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques dès son adoption, à Rio, en 1992 et l'a ratifiée en juillet 1993, et a adhéré au Protocole de Kyoto en juin 2002. Dans le cadre de la mise en œuvre de ce protocole, plusieurs actions ont été initiées par la Tunisie pour assurer les meilleurs conditions d'exploitation du potentiel d'atténuation d'émissions de gaz à effet de serre et de développement de projets dans le cadre du Mécanisme de Développement Propre. Notre pays a cherché depuis longtemps à améliorer son positionnement sur le marché du carbone et faire la promotion de toutes les opportunités de projets MDP en Tunisie. Le ministère de l'Environnement et du Développement est très énergique dans l'identification des projets MDP. Cette identification concerne plusieurs domaines d'actions tel que la maîtrise de l'énergie, la promotion des énergies renouvelables, la gestion des déchets, du transport, les procédés industriels et du boisement/reboisement. A titre d'exemple, selon une étude réalisée par le Ministère, une réduction potentielle des Gaz à Effet de Serre estimée à 17 millions de Tonnes équivalent CO2 est réalisable en Tunisie sur la période 2007-2016. Grâce à l'élaboration des projets par le biais des MDP, la Tunisie pourra gagner en fait plus de 220 millions de dinars. Dans le même cadre une délégation tunisienne vient de participer récemment au carbone expo à Barcelone, et a pu constater les dernières nouveautés et les idées de projets présentés dans cette exposition internationale. Répartition sectorielle des objectifs de Tonnes équivalent CO2 évitées et de revenus générés par des projets MDP sur la période 2006-2011
Horizon 2011 Cumul sur la période 2006 - 2011 Cumul sur la période 2012 - 2016 1000 Téq CO2 1000 DT 1000 Téq CO2 1000 DT 1000 Téq CO2 1000 DT Energie 1 328 13 810 5 371 55 863 8 428 109 564 Déchets 1 455 15 128 5 593 58 163 5 982 77 772 Forêts 63 653 145 1 507 430 5 588 Procédés industriels 333 3 465 1 597 16 613 2 100 27 303 TOTAL 3 178 33 056 12 706 132 147 16 940 220 227 Source : Ministère de l'environnement
Dans le cadre de la réduction des émissions de gaz, et pour améliorer sa position dans le marché de carbone, plusieurs projets MDP ont reçu l'approbation de l'autorité nationale désignée. Voici un échantillon de ces projets, qui sont très intéressants et dont certains concernent des grands groupes tunisiens : - Installation d'un cogénérateur dans l'usine de production de pâtes et couscous RANDA, - Eclairage public-variateurs, - Installation d'éoliennes pour la production d'électricité dans la Cimenterie de GABES - Installation d'éoliennes pour la production d'électricité dans la Cimenterie d'Oum el Kélil, - Electrification rurale et d'approvisionnement en eau par de l'énergie solaire photovoltaïque en Tunisie - Amélioration de l'efficacité énergétique par la diffusion de 2 millions de Lampes Basse Consommation (Office du Commerce de Tunisie (OCT) - Substitution des produits pétroliers par le gaz naturel (projet Gafsa et Jammel/Zeramdinne et Menzel Hayett) - Installation de cogénérateurs dans 5 entreprises du Groupe Poulina (SNA, Al Mazra, TEC T'PAP, STIBOIS, GIPA) - Installation de cogénérateurs dans 4 entreprises du Groupe Poulina (Ceramique Sfax, Complexe Sidi Saleh, MDF, STIBOIS -Bir Kasaa, Couvoirs Cédria) - Production d'éléctricité à partir de grignons d'olives - Biomass Power Generation(40 Mw) - Projet de récupération des huiles végétales usagées et leur transformation en biodiesel (Société Tunisienne de Production de Biodiesel (STP-B) - Décharge de Djebel Chakir
A côté des enjeux de développement durable et de santé, l'environnement est avant tout de l'économie. Le rapport de la banque Mondiale qui fait état d'un chiffre de 126 milliards de dollars en 2008 pour le marché de carbone, démontre bien les enjeux financiers de ce nouveau type de marchandises. Les pays en développement, dont la Tunisie, ont beaucoup à gagner dans cette dynamique économicon-environnementale.