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A la recherche d'une nouvelle croissance: Acte 2 : Les Défis d'une nouvelle croissance
Publié dans L'expert le 06 - 08 - 2010

En 3 sous-thèmes, notamment « l'Europe est-elle condamnée à la stagnation ? », « Institutions, confiance et croissance », « Quelles nouvelles formes de financement pour une nouvelle croissance ? » L'acte 2 s'articulera autour des défis d'une nouvelle croissance. La nouvelle stratégie de croissance en Europe devra tenir compte de la forte dégradation des finances publiques en Europe durant la crise : comment conduire les dépenses de recherche à 3% du PIB dans un contexte de réduction des dépenses publiques ? Comment relever la pression fiscale sans peser sur le potentiel de croissance ? Comment les institutions et le « leadership » émergent-ils ? Dans les pays en développement, de quels instruments la politique publique dispose-t-elle pour orienter le développement institutionnel dans un sens favorable à la croissance et au développement ? Quel est l'avenir des partenariats publics privés ? Sont les principaux questionnements de ce dossier.
I) L'Europe est-elle condamnée à la stagnation ?
Lors du Conseil européen de Lisbonne (mars 2000), les chefs d'Etat ou de gouvernement ont lancé une stratégie dite « de Lisbonne » dans le but de faire de l'Union européenne (UE) « l'économie la plus compétitive au monde » et de parvenir au plein emploi avant 2010. Face à des résultats décevants, le Conseil européen de mars 2005 a révisé la stratégie en la recentrant sur deux objectifs : croissance et emploi. Hélas, en 2008, le PIB par habitant de l'UE27 était encore 33% en-dessous du niveau américain (en parité de pouvoir d'achat), et le taux de chômage était de 7% de la population active, contre 5,8% aux Etats-Unis. Entre 1999 et 2008, la croissance de la zone euro a été inférieure au rythme américain de 0,6 point de pourcentage par an. Quant aux pays hors zone euro (Royaume-Uni, Etats baltes…), la crise a montré la non-soutenabilité de leurs modèles de croissance.
Au printemps 2010, le Conseil européen devrait prendre une décision sur l'avenir de la stratégie de Lisbonne. La nouvelle stratégie de croissance en Europe devra tenir compte de la forte dégradation des finances publiques en Europe durant la crise : comment conduire les dépenses de recherche à 3% du PIB dans un contexte de réduction des dépenses publiques ? Comment relever la pression fiscale sans peser sur le potentiel de croissance ? Comment financer la poursuite du rattrapage dans les nouveaux Etats membres sans créer de nouveaux déséquilibres ? Finalement, n'est-ce pas tout le modèle d'intégration européen - un marché intérieur, une monnaie unique mais pas de budget fédéral, pas de coordination fiscale - qui est remis en cause non-seulement par la crise, mais aussi par la difficulté à mettre en œuvre la stratégie de Lisbonne ?
Pour essayer de répondre à ces questions, voici la contribution d'Agnès Bénassy-Quéré du « Cercle des Economistes »
La crise profonde que traverse la zone Euro depuis l'automne 2009 n'est pas seulement un effet secondaire de la crise mondiale. Certes, celle-ci a eu un fort impact sur les ratios dette publique sur PIB des différents pays, en gonflant les numérateurs et en faisant baisser les dénominateurs. Mais les germes des difficultés de la zone Euro sont à chercher dans sa structure elle-même : une union monétaire sans fédéralisme fiscal et avec une faible coordination gouvernementale. A cet égard, trois éléments s'avèrent fondamentaux :

•D'abord, l'attitude permissive de certains partenaires européens à l'égard des déséquilibres macroéconomiques accumulés par quelques Etats membres. Et ce malgré de nombreux avertissements faisant valoir le potentiel déstabilisateur de l'union monétaire dans les pays à forte inflation dans lesquels des taux d'intérêts réels bas, voire négatifs, incitent le secteur privé à faire jouer l'effet de levier.
•Deuxièmement, l'incapacité du Pacte de Stabilité et de Croissance à promouvoir des régimes fiscaux soutenables. Dans certains Etats membres, cet échec est à relier au laxisme budgétaire, lui-même encouragé par des taux d'intérêts très bas. Dans d'autres, une discipline budgétaire existait mais s'est avérée partiellement défaillante parce qu'elle reposait sur des recettes gonflées par la surchauffe de l'économie et la bulles du prix des actifs, mais négligeait totalement les dettes hors-bilan, telles que les garanties explicites ou implicites étendues aux banques.
•Enfin, l'absence, dans le Traité, de clauses s'appliquant en cas d'insolvabilité d'un Etat membre. Les auteurs du Traité avaient clairement conscience que l'insolvabilité d'un membre mettrait en péril l'ensemble de l'Union monétaire parce que les obligations souveraines étaient destinées à être disséminées à travers un système financier européen intégré et que, pour éviter une crise financière, il y aurait une forte pression sur les Etats membres pour qu'ils viennent au secours du partenaire insolvable et sur la Banque centrale pour qu'elle fasse marcher la planche à billets. Pour éviter ces deux options, différents articles du Traité les interdisent. Mais aucune clause n'a été prévue pour expliquer ce qu'il faut faire en cas d'insolvabilité d'un Etat : ce cas de figure serait soit disant rendu impossible par l'application du Pacte de Stabilité et de Croissance.
Après des mois d'incertitude, les marchés ont été impressionnés par le plan de relance annoncé le 9 Mai 2010. Le plan mobilise 750 milliards d‘euros, ce qui lui permet potentiellement de couvrir tous les besoins financiers du Portugal, de l'Espagne et de l'Irlande pour les deux années et demi à venir. Cela laisserait le temps à ces pays de mettre en place un vaste ajustement fiscal qui leur permettrait de restaurer leur crédibilité d‘ici à leur retour sur les marchés.
Malheureusement ces évaluations positives ont été de courte durée. Les marchés n'ont pas tardé à comprendre que les plans d'ajustement fiscal qui commencent à poindre un peu partout dans la zone Euro risquent de mettre la croissance en péril : les marchés redoutent les ajustements ambitieux que par ailleurs ils souhaitent.
Si l'on se tourne hors de la zone Euro, le tableau n'est pas tellement plus brillant. Déjà à l'automne 2008, les nouveaux Etats membres ont été sévèrement touchés par un arrêt brutal des entrées de capitaux, qui a compromis leur modèle de rattrapage des années 2000 fondé sur les effets de levier. Plusieurs nouveaux Etats membres ont donc mis en place des programmes radicaux d'ajustement fiscal. Ainsi au Royaume-Uni, le nouveau gouvernement a d'ores et déjà annoncé un plan d'austérité et le modèle de croissance fondé sur une forte spécialisation dans le secteur financier a été remis en cause par la crise.
Globalement, l'Europe semble à la traîne de la reprise mondiale, comme le montrent les prévisions de l'OCDE parues en mai 2010. Et, même à horizon plus lointain, il est peu probable que la croissance européenne soit dopée par la stratégie de Lisbonne UE2020. Par exemple, les Etats membres ont peu d'incitation à réduire à court terme leurs dépenses en investissement public. Du côté des recettes, plusieurs pays ont augmenté leur taux de TVA, ce qui risque de nuire au dynamisme de la consommation dans les mois à venir. Sans une demande forte, comment peut-on s'attendre à ce que l'investissement privé reparte dans la zone euro ? L'UE manque de cohérence entre sa stratégie à court et moyen terme, centrée sur la réduction des déficits, et celle de long terme, qui cherche à promouvoir l'investissement dans l'économie de la connaissance. Rétablir une certaine cohérence des objectifs à divers horizons devrait être la priorité de la coordination intra Union Européenne.
II) Institutions, confiance et croissance
La crise de 2007-2009 remet en questions toutes les certitudes que l'on pouvait avoir sur le lien entre bonnes institutions, bonne gouvernance et croissance, puisqu'elle est partie des pays où les institutions sont réputées comme les plus développées et les plus stables. En outre, les succès remportés par des pays comme la Chine en termes de croissance économique et de réduction de la pauvreté amènent à affiner notre compréhension des caractéristiques des institutions et de la gouvernance qui s'avèrent propices au développement. La Commission sur la Croissance et le Développement présidée par le prix Nobel Michael Spence a mis en avant le rôle du « leadership » comme l'un des traits communs de toutes les expériences de croissance forte et durable analysées par la Commission.
Quels éclairages l'économie, l'histoire, les sciences sociales et politiques et l'expérience des décideurs peuvent-elles apporter pour une meilleure compréhension des liens entre institutions et croissance ? Comment les institutions et le « leadership » émergent-ils ? Est-il possible d'identifier des caractéristiques systématiques des institutions qui seraient plus favorables à la croissance et au développement ? Peut-on, doit-on chercher à mesurer les institutions et comment ? Dans les pays en développement, de quels instruments la politique publique dispose-t-elle pour orienter le développement institutionnel dans un sens favorable à la croissance et au développement ? Quel peut être dans ce cadre le rôle des bailleurs de fonds ?
Pierre Jacquet du « Cercle des Economistes » qui assuré la coordination de la session 4 des travaux donnent des esquisses de réponses dans son exposé :
Au cours des trois dernières décennies, la théorie de la croissance a connu des avancées significatives. En explicitant la comptabilité de la croissance à partir d'une fonction de production agrégée, Robert Solow avait mis en avant en 1957 l'importance de la productivité générale des facteurs (PGF), en montrant qu'elle expliquait les 7/8 de la croissance de la productivité américaine entre 1909 et 1949, l'accumulation de capital expliquant le huitième restant.
Mais la PGF, largement interprétée comme un progrès technique exogène, était ensuite largement restée une boîte noire jusqu'à ce que les modèles de croissance endogène, à partir du milieu des années 1980, permettent d'en aborder certains des fondements, en prenant explicitement en compte la nature et l'intensité des interactions entre les différents agents et activités économiques. La théorie de la croissance endogène a permis de déboucher sur une formulation du rôle de l'apprentissage, de l'éducation, des infrastructures publiques, des systèmes financiers, des effets d'agglomération et de bien d'autres facteurs.
Mais l'attention portée à la productivité globale des facteurs a aussi amené à s'intéresser davantage aux institutions, ces « contraintes créées par les hommes qui régissent les interactions entre les hommes » (North, 1990). Depuis la fin des années 1990, d'importants travaux ont contribué à structurer les débats sur le rôle des institutions et à mieux cerner leur interaction avec la croissance. Ces débats sont loin d'être clos et viennent d'être relancés de façon spectaculaire par la crise de 2007-2009. Cette brève introduction, qui s'appuie sur Benassy et al. (2009, chap. 6) en souligne cinq aspects majeurs.
Les déterminants de la qualité des institutions
Premièrement, le dernier mot n'est toujours pas écrit concernant les liens de causalité entre institutions et croissance, ou entre institutions et revenu par habitant. Au niveau macroéconomique, cette causalité est nécessairement croisée : d'un côté, la faiblesse institutionnelle induit des coûts de transaction qui pénalisent l'activité économique ; de l'autre, les pays riches ont les moyens et le capital humain nécessaires au maintien d'institutions plus efficaces et adaptées, mais n'en ont visiblement pas découvert toutes les clefs.
Un important programme de travail est nécessaire pour affiner cette compréhension, dans au moins trois dimensions : l'origine des institutions, les déterminants de leur évolution, et leur nature au regard des enjeux d'efficacité microéconomique, de stabilité macroéconomique et de promotion de l'innovation. Sur chacun de ces points, des travaux universitaires ont ouvert des débats importants. C'est notamment le cas des travaux controversés de La Porta et al. (1999) concernant le lien entre l'origine légale et la qualité des institutions.
Etant donné la nature de ces dernières, qui concernent les interactions entre les individus, il est probable et souhaitable que ce champ d'investigation amène les économistes à travailler de façon systématique avec les anthropologues, les politologues, les sociologues, les historiens et les juristes – il faudrait ajouter les psychologues au regard du rôle joué par les mouvements d'anticipations sur les marchés financiers, par exemple. L'un des fronts pionniers concerne la mesure de la qualité des institutions et de la gouvernance, qui suppose d'identifier les principaux critères selon lesquels institutions et modes de gouvernement peuvent être évalués et améliorés dans différents domaines de l'action publique.
Diversité aussi bien des modèles de croissance que des institutions efficaces
Deuxièmement, il n'y a pas de modèle institutionnel unique susceptible de promouvoir la croissance. D'une part, la grave crise de 2007-2009 a montré les faiblesses importantes de certaines institutions dans les pays avancés, alors même qu'elles étaient souvent données en exemple, et illustre aussi la pertinence d'une réflexion sur l'interaction entre institutions et croissance dans ces mêmes pays1. En outre, les épisodes connus de croissance soutenue et pérenne témoignent de la diversité des modèles, et l'expérience de grands pays émergents comme la Chine questionne la plupart des certitudes acquises sur la pertinence des critères de bonne gouvernance.
Les travaux de la Commission sur la croissance et le développement présidée par le prix Nobel Michaël Spence (Commission on Growth and Development, 2008) ont mis en avant à la fois la diversité des trajectoires de croissance soutenue observées dans divers pays et la présence d'un certain nombre de points communs entre ces expériences, dont la qualité du leadership, qui ne se résument pas à une liste de critères préétablis. D'autre part, des travaux académiques pionniers ont aussi suggéré que les « bonnes » institutions devaient être adaptées au contexte.
Par exemple, Acemoglu, Aghion et Zilibotti (2006) ont montré que le rôle des institutions dépendait notamment de la « distance » à la frontière technologique. Loin de cette frontière, le défi principal consiste à adopter les technologies existantes en les imitant. Il ne faut pas pour cela les mêmes institutions que celles qui permettront de promouvoir la recherche et l'innovation dans des pays qui sont à la frontière de l'innovation technologique ou en sont proches. Cela suggère aussi que la dynamique d'évolution conjointe des institutions et du niveau de développement est une question aussi importante que celle de la nature des institutions.
Une corrélation entre institutions et développement ou entre institutions et croissance
Troisièmement, ces différentes intuitions sont corroborées par des travaux plus récents qui affinent l'étude de la corrélation entre institutions et développement. Meisel et Ould Aoudia (2006) ont confirmé, à partir d'une base de données originale constituée et mise à jour à partir d'enquêtes de terrain, la corrélation entre la qualité des institutions (définie d'après les critères de bonne gouvernance de Kaufmann et al., 2008) et le niveau de développement, mais ont montré que cette corrélation ne s'étendait pas au rythme de la croissance économique. Autrement dit, les pays développés ont certes de « bonnes » institutions, mais les critères définissant ces « bonnes » institutions, tels qu'ils ont été identifiés par les travaux de la Banque mondiale, ne semblent pas jouer un rôle déterminant dans la dynamique de croissance.
1 Voir par exemple, en ce qui concerne l'Europe, le papier préparé par Jean-Paul Pollin dans le cadre de cette session.
2 La question de la nature des institutions les mieux adaptées aux différentes phases de « développement » reste donc largement posée. Elle renvoie à la mesure de la qualité des institutions évoquée ci-dessus. L'un des aspects importants concerne notamment le développement du secteur privé et la formation de capital.
Ordre social à accès limité et ordre social à accès ouvert
Quatrièmement, la compréhension de la dynamique de changement institutionnel est une nouvelle frontière de recherche susceptible d'éclairer à la fois le lien entre institutions et croissance et la problématique de l'aide au développement. Les travaux de Douglass North et de ses collègues (par exemple, North et al., 2009) apportent un éclairage important en soulignant la cohérence des « ordres sociaux », c'est-à-dire l'ensemble des structures, institutions et pratiques qui gouvernent les comportements et les interactions entre individus. Ces travaux considèrent en particulier que les sociétés organisées peuvent se décrire à travers deux ordres sociaux cohérents : un ordre social à accès limité, dans lequel une élite gère les droits de propriété, s'approprie et distribue les différentes formes de rente qui en découlent et assure ainsi sa propre survie et celle du système ; et un ordre social à accès ouvert, dans lequel l'accès à la rente se fait par la concurrence, aussi bien dans le champ politique (élections) que dans le domaine économique. La détention des rentes est alors contestable, ce qui rend leur appropriation temporaire et acceptable. Dans un tel ordre social, les structures sont plus complexes, les organisations et institutions sont impersonnelles et survivent aux individus. Pour North, Wallis et Weingast, les pays en développement relèvent essentiellement d'un ordre social à accès limité, le développement consistant précisément à engager une transition vers un ordre social ouvert. Cette transition doit selon eux pouvoir s'appuyer sur les structures de pouvoir en place, et s'effectuer par réformes successives et cumulatives. Mais les caractéristiques d'un ordre social à accès limité, qui reposent sur les relations personnelles, le clientélisme, le népotisme et la corruption, ne relèvent pas d'une pathologie qui pourrait être « soignée » par des mesures d'ordre économique ; il est vain de vouloir introduire dans un tel ordre social des traits caractéristiques d'un ordre social ouvert. Une telle greffe est artificielle et ne prendrait pas. Cette lecture, fondée sur la cohérence des systèmes économiques, politiques et sociaux, invalide les prescriptions de bonne gouvernance en plaçant cette dernière dans une dynamique d'évolution sociale nécessairement complexe et autonome, mais qui s'inscrit dans le cadre d'interactions complexes avec le reste du monde.
Les nouvelles modalités de l'aide au développement
Enfin, ce débat sur le rôle des institutions dans la croissance amène nécessairement à renouveler la réflexion sur le rôle et les modalités de l'aide au développement. En particulier, l'importance du principe d'appropriation (Ownership) par les pays en développement des objectifs poursuivis et de l'élaboration des politiques publiques s'en trouve renforcée. Le rôle des donneurs n'est pas de prédéterminer les trajectoires de développement à travers une liste trop détaillée de conditionnalités ex ante, mais d'assister leurs partenaires dans l'élaboration et l'apprentissage de trajectoires nécessairement idiosyncrasiques. Cela demande davantage de modestie, un souci permanent d'innovation et une démarche systématique d'évaluation.
III) Quelles nouvelles formes de financement pour une nouvelle croissance ?
Comment peut évoluer, dans l'après-crise, le mode de financement de la nouvelle croissance ? Les investisseurs privés sont soumis à des contraintes qui rendent difficile la détention à très long terme d'actifs physiques ou financiers, et les banques répondent à des rationalités de court ou moyen terme. Seuls certains types d'investisseurs privés (Private Equity, Fonds de pension, Fonds souverains) réalisent des investissements dont la rentabilité est recherchée à long terme. On se tourne donc naturellement vers les investisseurs publics pour réaliser ces investissements à horizon long, porteurs d'une nouvelle croissance (projets d'infrastructures publiques, investissements verts, investissements dans la matière grise et l'économie de la connaissance, RD, universités…). Mais quelle est l'indépendance de ces investisseurs vis-à-vis des Etats (cas des Fonds souverains) ? Leur mode de gouvernance est-il compatible avec les règles de la concurrence à l'échelle internationale ? Plus généralement, quel est le bon équilibre entre les deux types de financements ? Peut-on les combiner et, donc, quel est l'avenir des partenariats publics privés ?
Michel Aglietta du Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales, en tentant d'apporter des réponses à ces préoccupations, aborde le sous-thème « Relever et financer la croissance potentielle en Europe »
Les obstacles au financement de la croissance en Europe
La situation financière dans la zone euro provoque des réactions, tant des acteurs privés que des Etats, qui rapprochent dangereusement de la déflation. Les signaux de marché indiquent un désarroi des investisseurs qui ne confine pas encore à la panique, mais qui reflète leurs doutes sur la valorisation des banques et des dettes des Etats. Il est vrai que les mêmes mécanismes de crédit structuré qui avaient propagé la crise immobilière à l'ensemble des banques occidentales se retrouvent avec les dettes publiques. Se poser la question du long terme dans cette atmosphère délétère paraît incongru et pourtant c'est la seule manière de desserrer l'étau qui étouffe nos économies.
Car de multiples processus dépressifs sont actifs : la contraction du crédit aux entreprises et aux ménages, la baisse du pouvoir d'achat de la masse salariale, la montée des dettes publiques qui provoque les surenchères dans l'austérité budgétaire annoncée. Bref, le cocktail d'ingrédients qui a fait sombrer le bloc or à partir de 1932, rechuter les Etats Unis en 1937 et qui a enfoncé le Japon dans la stagnation en 1997, est à nouveau réuni.
A cela s'ajoutent les fragilités structurelles qui ont fait baisser la croissance potentielle de la zone euro et exacerbé les divergences entre les pays membres. L'absence de projet de croissance commun, l'insuffisance d'innovations, l'indigence du budget européen et l'inexistence de solidarité budgétaire ne peuvent qu'entraîner des dysfonctionnements paralysants.
Les opportunités à saisir
La formation d'un nouveau régime de croissance mondiale est déterminée par deux forces dominantes qu'il faut exploiter et rendre cohérentes pour relever notre propre croissance potentielle. La première est le clivage démographique qui a commencé : baisse de la population d'âge actif en Europe et en Russie, forte croissance dans la majorité du monde en développement. Non seulement la Chine va promouvoir un mode de consommation sur l'urbanisation des régions intérieures, mais l'Afrique va devenir la nouvelle frontière de la croissance. La seconde est le défi environnemental planétaire. Il fait mûrir la cinquième vague séculaire d'innovations du capitalisme depuis l'aube de la révolution industrielle. La cohérence de ces deux forces se trouve dans la croissance soutenable, principe de politique économique qui implique la préservation à long terme de l'environnement.
L'Europe doit se positionner dans la division du travail de manière à être en pointe dans les technologies conduisant à une économie bas carbone, à la fois dans la substitution aux énergies fossiles et dans l'adaptation du mode de consommation à une diminution drastique de l'intensité carbone. Elle doit transférer du capital et de la technologie aux pays émergents pour y accélérer les transformations de leurs modes de vie et pour concrétiser un transfert intergénérationnel mutuellement avantageux à l'échelle mondiale.
Les implications financières
Le pivot du financement de la croissance soutenable est la fiscalité carbone qui englobe l'instauration d'une taxe homogène sur l'Europe entière et l'utilisation de son produit. Pour être efficace la taxe doit partir de 100€ par tonne de CO2 et monter en régime jusqu'à 400 € en 2020. Un double objectif est poursuivi : un signal prix pour développer des technologies qui contrecarrent la dégradation du capital naturel et une amélioration de la compétitivité dans les pays où elle s'est érodée dans les années 2000. La meilleure affectation du produit de la taxe pour maximiser l'emploi et faire reculer le chômage est donc la réduction des cotisations sociales. Elle peut être modulée selon les pays avec des subventions ciblées en faveur des ménages aux revenus modestes pour rénover le logement social et acquérir des équipements ménagers économes en énergie.
Si la dynamique de la croissance soutenable est ainsi lancée, il faut avoir la possibilité de financer des projets stratégiques par l'épargne longue en contournant deux contraintes : la consolidation de la dette des Etats d'un côté, l'augmentation du coût du crédit et de l'aversion pour le risque des banques de l'autre. Il faut donc drainer l'épargne vers les investisseurs à long terme en remettant l'échelle des rendements sur ses pieds par la régulation financière et créer les instruments financiers pour les inciter à financer des projets stratégiques. Voici quelques suggestions :
•Redéfinir les règles de la titrisation selon des principes analogues aux Etats Unis pour titriser les crédits PME, dans des conditions de sécurité, sous forme d'obligations offertes aux investisseurs institutionnels pour faire bénéficier ces entreprises de l'épargne collective.
•Pour des investissements de longue durée et (ou) d'innovations à forte incertitude et soutenus par la Communauté, il faut des montages : un Fonds européen bénéficiant d'un capital public financé par un budget européen augmenté et émettant des obligations de la plus haute qualité en direction de groupes d'investisseurs qualifiés dont le prototype est le Fonds Marguerite. Le produit des émissions finance des structures de venture capital. Il peut aussi intervenir en capital en association à des transferts dédiés du budget européen pour financer des projets porteurs d'innovations radicales qui sont hors du champ des investisseurs privés.
En tout état de cause, pas de nouvelle croissance sans une politique commune de l'Europe qui lui est consacrée et qui forge ses moyens sur la solidarité des Etats membres : refonte fiscale, budget européen, groupements d'investisseurs de long terme.
Agnès Bennassy-Quere, Cercle des Economistes
Après des mois d'incertitude, les marchés ont été impressionnés par le plan de relance annoncé le 9 Mai 2010. Le plan mobilise 750 milliards d‘euros, ce qui lui permet potentiellement de couvrir tous les besoins financiers du Portugal, de l'Espagne et de l'Irlande pour les deux années et demi à venir
Michel Aglietta, Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales
La formation d'un nouveau régime de croissance mondiale est déterminée par deux forces dominantes qu'il faut exploiter et rendre cohérentes pour relever notre propre croissance potentielle : le clivage démographique qui a commencé, le défi environnemental planétaire.
Dossier réalisé pas Raoul FONE


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