Il a suffi de l'annonce du verdict dans l'affaire Baghdadi Mahmoudi et ses co-inculpés pour que l'information tonne sur nos terres et dans nos cieux, ici en Tunisie, comme une vraie tornade susceptible d'emporter la petite part de sagesse difficilement assurée en vue d'un redécollage de la machine de développement et de l'atténuation des tensions sociales, étant évident que pour longtemps encore, la paix sociale, s'il en est, ne sera chez nous qu'une fuyante et trompeuse chimère. La condamnation de Baghdadi Mahmoudi a certes actualisé dans notre entendement immédiat la grande question de la peine capitale, avec tous les présupposés et les prérequis des uns et des autres, les uns au nom de la justice à rendre à la vie quand elle est cruellement et absurdement fauchée par une entreprise criminelle, les autres au nom de la même vie qu'il faudrait honorer en s'interdisant de l'ôter à quiconque, serait-il le plus criminel. Pauvre vie au nom de laquelle on justifie la chose et son contraire, ainsi va des idéologies, ainsi va de la nature humaine ; il faudrait sans doute se résigner à faire avec, mais avec l'optimisme qui se doit et avec l'éthique qu'il faut pour revaloriser l'humanité de l'homme. Toutefois, la condamnation à mort de Baghdadi semble souligner tous nos torts en tant que société mal adaptée à ses valeurs et à ses principes, mal aiguillées aux exigences et à la mouvance du train politique, ce train où il faudrait concevoir tous les wagons, celui de la diplomatie et son chassé-croisé de la complaisance et de la manigance, celui de l'économie et son tiraillement entre le gain et la socialité, celui de la culture et son duel entre l'identité et l'altérité, et surtout celui de l'humanité entre l'éthique et la politique. Du coup, la condamnation à mort de Baghdadi nous rappelle dans quel ridicule nous avons pu être avec un tiraillement gouvernemental où les trois têtes ne savaient où donner de la tête, chacun dansant sur sa propre corde et entonnant se folle litanie à la Leïla qui le séduit. Aujourd'hui, ils deviennent solidaires pour se défendre de la présumée responsabilité du crime. On lâche alors les plus criards, les plus arrogants, pour les charger de la mission de calomnie. Qu'importe qui, après moi le déluge. Et l'on se retrouve avec un tel bafouage des institutions républicaines et des valeurs sociales que l'on se demande à quoi a pu servir tout ce qui avait été appris. Quelle belle farce qu'est la nôtre, avec toute la tragédie qu'elle sous-tend ! Hier, j'ai rencontré par hasard un ami qui est un homme de théâtre. Faute de moyens ou d'inspiration, il est resté un enseignant de théâtre. Il était dans une demi-obscurité comme on en fait dans les décors des pièces tragiques. Il avait sur le visage et dans les yeux l'assurance, malheureusement par trop partagée, du drame accompli. « Pourquoi ne fais-tu plus du théâtre ? », lui dis-je. --- Tu me le demandes ? répond-il, toi qui l'a écrit deux fois, qu'on n'avait plus besoin de faire du théâtre puisque le théâtre est devenu notre vie, partout où nous sommes et que tout le monde en fait, dans le mépris des spécialistes. Sache, mon ami, que maintenant j'ai retrouvé ma vraie fonction dans le théâtre, celle du spectateur. Triste note pour conclure ! Demain peut-être sera un autre jour.