C'était il y a déjà quelques années, une campagne publicitaire pour le constructeur automobile Volkswagen, réalisée par l'agence DDB Needham, avait provoqué la colère de l'épiscopat et déclenché une mini tempête médiatique en France. "Mes amis, réjouissons-nous, car une nouvelle Golf est née". Illustrant une affiche qui se referait à la cène, le dernier repas du Christ, le slogan publicitaire choisi par l'agence DDB France pour vanter les mérites du dernier-né de la firme Volkswagen (la Golf IV), avait alors heurté les convictions des milieux catholiques. Une association "Croyance et liberté" fut immédiatement créée, l'affiche "blasphématoire" instantanément retirée et un don en guise de réparation et de dédommagement fut même versé. L'affaire est donc close, diriez-vous. Pas tout à fait, car, même si les faits remontent à quelques années et ont été largement relatés par les différents médias, au-delà des croyances des uns et des jugements et des intentions des autres, le vrai débat n'a pas eu lieu, puisque la question de fond, celle des rapports que peuvent ou doivent entretenir la religion et la publicité, n'a pas été posée. Utilisée le plus souvent à des fins mercantiles, pour façonner les goûts, orienter la consommation et influencer les comportements d'achat, la publicité est par essence une activité économique. Ces objectifs commerciaux attribués à la publicité ne doivent cependant par cacher l'importance de la fonction sociale que la communication publicitaire assume, dans les sociétés développées comme dans celles en voie de développement. "Le rôle principal de la publicité est la promotion des ventes, mais l'action publicitaire déborde souvent le cadre étroit que lui fixent ses objectifs commerciaux et sa fonction économique: activer la consommation. Car la consommation est une activité sociale chargée de significations et contrôlée par le groupe". Pour André Cadet et Bernart Cathelat, la publicité est un phénomène social dans ce sens qu'elle "cherche à refléter le plus fidèlement possible le modèle type en honneur dans le groupe avec lequel elle cherche à entrer en communication, ou tenter d'en modifier les normes pour les rendre plus accessibles à ses appels. La fonction socioculturelle de la publicité est illustrée par les modèles qu'elle diffuse, les valeurs qu'elle incarne et les personnages qu'elle emprunte à la société et au groupe auquel elle s'adresse. Le discours publicitaire se doit donc de proposer des modèles identificateurs, chargés de significations individuelles et sociales auxquelles les consommateurs s'identifient et dans lesquelles ils se reconnaissent. Un discours béni Se proposant comme modèle d'éthique quotidienne, c'est dans la religion que la publicité puise le plus souvent les valeurs qu'elle incarne. "Elle se fait aussi religion par sa parole laudative et prophétique, par les codes de conduite et les modèles de comportement qu'elle diffuse enfin par son intention de faire croire". Pour établir et soutenir la communication avec les consommateurs, la publicité recourt en effet, souvent, à des valeurs proches de la morale. Démarche mercantile par essence, la communication publicitaire n'emprunte cependant à la religion que les valeurs compatibles avec ses objectifs commerciaux. Les notions d'abstinence, de tempérance, de modération et de partage, qui constituent l'essentiel du discours religieux, sont ainsi presque bannies du discours publicitaire. L'envie, le plaisir, le désir, pour ne citer que ces notions (valeurs), constituent en revanche l'essentiel des valeurs empruntées à la religion et utilisées par la publicité pour atteindre ses objectifs. Les empruntes de la publicité à la religion se font aussi à travers certains objets et personnages qui remplissent des fonctions religieuses. La croix, les églises, les cloches sont les principaux objets religieux empruntés par la publicité. Quant aux personnages, du Bon Dieu au Christ en passant par les anges, les saints, les curés, les moines, les pères et les surs, aucun n'a été épargné par le discours publicitaire. Tous, un jour ou l'autre, ont participé à la promotion d'une lessive (Dash), d'un fromage (Caprice des Dieux) ou des pattes alimentaires (Panzani) Eve et Adam appartiennent eux aussi à la galerie des portraits utilisés par les annonceurs et les publicitaires pour promouvoir leurs produits. Slogans sous forme de commandements, personnages et objets, valeurs et rôles sont autant de procédés et d'éléments d'argumentations empruntés à la religion et utilisés par la publicité. Les religions ne sont cependant pas, toutes, source d'inscription pour les créateurs et les publicitaires. Les éléments de religion utilisés par la publicité relèvent en effet presque exclusivement du christianisme, voire du catholicisme. Dans les pays musulmans, où la religion condamne comme sacrilège la représentation des formes vivantes, même si la télévision, considérée à ses débuts comme un véritable danger moral et contraire à la tradition, a fini par s'imposer comme structure radicalement innovatrice, l'usage des textes et des personnages religieux dans la communication publicitaire n'est toujours pas autorisé. Dans le domaine de la publicité, le patrimoine religieux est donc fortement et jalousement préservé dans les pays musulmans, même si, généralement, comme c'est le cas en Tunisie, aucun texte de loi, ni le code de la presse, ni le cahier des charges de la publicité radiotélévisée n'interdisent le recours à la religion dans les messages publicitaires. Et pourtant, le recours au Coran et l'usage des connotations religieuses sont une monnaie courante dans les messages publicitaires. FOURAT ET MA AÏN, pour ne citer qu'eux, en sont la meilleure illustration. Une marque de jus de fruit qu'on terrera le nom a même utilisé un verset coranique pour sa promotion: "wajaalna minhou thimaran kathiratan". Communication et communion S'agissant du recours à la religion, les publicitaires sont donc, selon leurs confessions, soit appelés à la retenue, ou contraints à se fixer des limites à ne pas dépasser. La liberté de création et d'expression est certes reconnue, mais il s'agit en réalité d'une censure à peine déguisée, d'un oui mais. Oui à l'imagination et à la création mais à certaines conditions, oui au recours au religieux mais avec modération. En fait, tout dépend de la manière de dire les choses. La religion sert certes la publicité, mais elle s'en sert aussi, pour se faire connaître, s'affirmer et faire valoir ses principes et ses idées. La religion sert la publicité pour vendre, elle y recourt pour se vendre aussi. Les rapports semblent honnêtes et équitables, sauf que dans un cas comme dans l'autre, il existe des interdits qu'il ne faut pas commettre, des règles qu'il faut respecter, une sorte de code moral de conduite préétabli. Porter un jugement sur un éventuel recours à la religion, dans le discours publicitaire, est donc une question d'appréciation. Globalement, il y a d'une part une liberté de créer largement reconnue, y compris quand le domaine religieux est concerné, même si certains voudraient légiférer, censurer, voire interdire, d'autre part, un patrimoine religieux qui existe lui aussi, les publicitaires peuvent l'utiliser, reste qu'il y a des limites à ne pas franchir. Et ce sont justement ces limites qui alimentent les débats, car elles restent à définir, tant les contours du religieux sont flous et les interdits loin d'être totalement et clairement établis. C'est ce qui explique d'ailleurs que c'est par ignorance qu'on pêche le plus souvent. *enseignant à l'IPSI