L'avenir de la presse électronique, des journaux papier, des éditions gratuites... Rien n'est laissé en dehors de la longue tribune que vient de publier Serge Halimi, l'écrivain et journaliste qui dirige ''Le Monde Diplomatique'' et qui est réputé pour ses interrogations en profondeur sur les médias. “Ceux qui se désolent du manque d'attention à leur cause, à leur activité, se voient souvent opposer la même explication: 'On n'a plus le temps'. On n'a plus le temps de se plonger dans un livre 'trop long', de flâner dans une rue ou dans un musée, de regarder un film de plus de quatre-vingt-dix minutes. Ni celui de lire un article abordant autre chose qu'un sujet familier. Parfois, c'est aussi l'argent qui fait défaut: on n'a plus les moyens“, explique-t-il la désaffection de la presse payante. “Une fraction de ses anciens lecteurs l'abandonne à mesure que la fenêtre de papier ouverte sur le monde, l'attente du postier ou du kiosquier se métamorphosent en une contrainte de lecture supplémentaire dans un calendrier surchargé -et surtout s'il faut payer. Un des propriétaires de Free et du Monde, M. Xavier Niel, anticipe que les journaux auront disparu d'ici une génération“, ajoute-t-il. Si leur financement se faisait sur des écrans, des tablettes, il n'y aurait peut-être guère motif à s'alarmer: ceci remplacerait cela. Seulement, les nouvelles technologies de l'information n'assurent au journalisme ni les emplois ni les ressources des anciennes. A moins de travailler à titre bénévole, c'est-à-dire en tirant ses revenus d'ailleurs, comme la plupart des blogueurs, la profession se trouve menacée du pire: elle ignore si elle dispose d'un avenir. Il cite les chiffres qui s'entêtent et confirment la réalité d'un décrochage. En Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis, la diffusion des journaux a décliné de 17% au cours des cinq dernières années. Et le recul se poursuit. En France, une période de fièvre électorale ne provoque plus aucun retour vers les kiosques; de janvier à août 2012, les quotidiens généralistes ont ainsi accusé un reflux moyen de leurs ventes de 7,6% par rapport à l'an précédent. Même l'été dernier, pourtant marqué par les Jeux olympiques, les ventes de L'Equipe, un titre sportif en situation de monopole, ont continué à baisser. Serge Halimi regrette que, dans l'espoir de freiner une telle glissade, un journalisme sonnant et trébuchant multiplie les “Unes“ qui racolent en violant l'intimité des personnes, ou les articles qui affolent en assimilant n'importe quoi alors que s'accroît la part de vulgarité et de catastrophisme dont la plupart des propriétaires de presse s'imaginent qu'elle provoquera du buzz pendant quelques heures. Encore des chiffres: Aujourd'hui, aux 35 millions de Français qui lisent un périodique s'ajoutent ou se superposent 25 millions d'internautes qui, chaque mois, consultent au moins un site de presse. Mais ces derniers ont été habitués à croire que le règne de la société sans argent était advenu, sauf lorsqu'ils se précipitent pour acheter, cette fois au prix fort, leur ordinateur, leur Smartphone ou leur tablette, souvent pour pouvoir consulter une presse qui leur est offerte... “L'audience en ligne ne rapporte donc pas grand-chose à ceux qui recherchent, éditent, corrigent, vérifient l'information. Ainsi, une structure économique parasitaire s'édifie peu à peu qui concède aux uns tous les profits du commerce. Et qui facture aux autres tous les coûts de la 'gratuité'. Un quotidien comme The Guardian, par exemple, est devenu grâce à son site Internet numéro un de l'audience au Royaume-Uni et troisième dans le monde, sans que cela l'empêche -et, devrait-on dire, au contraire- de perdre l'année dernière 57 millions d'euros et de licencier plus de soixante-dix journalistes. Car bien qu'elle requière toujours davantage d'investissements, la croissance du trafic numérique des journaux coïncide en général avec la réduction de leurs ventes en kiosques. Assurément, près de 6 millions de Britanniques lisent au moins un article du Guardian par semaine, mais seuls 211.000 l'achètent quotidiennement. C'est cette petite population, déclinante, qui finance la lecture gratuite de la plupart des internautes. Un jour, forcément, ce voyage s'arrêtera pour tous faute de carburant“, prédit-il. Selon Halimi, le pari perdu des éditeurs concerne aussi la publicité. Au départ, le modèle de la “gratuité“ en ligne imitait la logique économique de la radio commerciale, puis celle de ces quotidiens que des travailleurs précaires distribuent à l'aube à l'entrée des stations de métro. Son analyse de la presse électronique est encore plus rude: Avec l'information en ligne, le fiasco du même calcul est devenu patent. Les sites de presse ont beau aligner les succès d'audience, la ressource publicitaire ne leur parvient qu'au compte-gouttes. Car son produit profite avant tout aux moteurs de recherche, devenus, selon Marc Feuillée, président du Syndicat de la presse quotidienne nationale, “des mégarégies publicitaires, absorbant comme des Moloch la quasi-totalité des revenus de nos annonceurs. Entre 2000 et 2010, le chiffre d'affaires publicitaire des moteurs est passé de 0 à 1,4 milliard d'euros, celui de la presse [en ligne] de 0 à 250 millions d'euros“.