Moral en berne chez les ménages en Europe, marasme immobilier persistant aux Etats-Unis d'Amérique à la suite de la crise des «subprime» et envolée vertigineuse des prix de l'essence. Autant de motifs pour pousser l'Union des Banques Maghrébines à organiser, avec l'appui de l'Association Professionnelle Tunisienne des Banques et des Etablissements Financiers, une rencontre, le 11 juillet 2008, dans l'un des hôtels de la banlieue nord de Tunis, pour débattre, en présence d'une pléiade d'économistes de renommée mondiale, de «la crise financière internationale et ses répercussions sur le secteur bancaire et financier maghrébin» ; ce qui a permis de poser les problèmes du nouvel ordre économique en gestation, du resserrement des lignes de crédit conformément aux recommandations de Bâle II et des outils à la disposition des pays de l'Afrique du Nord pour faire face aux turbulences des marchés boursiers internationaux et aux retombées de la baisse de confiance des investisseurs vis-à-vis de la supervision et du rating. M. Férid Ben Tanfous, Directeur Général de l'Arab Tunisian Bank et Président de l'Association Professionnelle Tunisienne des Banques et des Etablissements Financiers, après avoir énuméré les différents thèmes à traiter pendant les trois sessions du forum, a formulé le vu de voir les participants, à travers les contradictions du débat et la qualité des interventions, apporter des esquisses de réponses, dit-il, à la complexification des marchés du crédit dans le monde, à la sécurisation des systèmes bancaires maghrébins face à l'émergence de nouveaux produits financiers et à la mutualisation des objectifs des argentiers des pays d'Afrique du Nord, jalon indispensable à la mise en place d'une infrastructure financière commune, capable, grâce à des concertations structurées, d'atténuer les répercussions des chocs (pétrolier, alimentaire, immobilier ) venus d'ailleurs.
S'agissant de l'analyse des montées en péril en cours, M. Taoufik Baccar, Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, a enfoncé le clou, tout au long de son intervention, en indiquant la gravité de la récession Outre-Atlantique sur l'économie mondiale, le retour du spectre de l'inflation en raison de la hausse des coûts énergétiques et l'urgence, pour les pays maghrébins, de coordonner leur politique monétaire, de renforcer l'indépendance des structures de surveillance et de promouvoir une stratégie commune à même de prémunir, insiste-t-il, contre la noirceur d'un environnement économique mondial où viennent se conjuguer, pour la première fois dans l'histoire de l'ordre marchand, un choc pétrolier, une crise du crédit après cinq années de croissance généralisée et une déflation brutale des actifs boursiers ou immobiliers. «La crise des supprimes aux Etats-Unis d'Amérique est une parfaite illustration des relations d'interdépendance entre acteurs au sein de sphères financières de plus en plus complexes, de l'endettement excessif des ménages américains et du déficit des mécanismes d'appréciation des risques de crédit», répète à l'envi M.Baccar qui appelle ses homologues maghrébins à s'adapter désormais à un monde où la croissance crée autant d'instabilité que de richesses mettant ainsi en question beaucoup de modèles économiques.
Quel rôle pour la régulation ?
Alors «que faire ?», comme disait Lénine. Eh ! bien, nous dit M. Hubert Reynier, secrétaire général adjoint de l'Autorité des marchés financiers en France, tout n'est pas noir partout car, précise-t-il, il s'agit, pour les pays développés, de faire preuve d'agilité pour s'adapter, par la réforme permanente, aux problématiques touchant au fonctionnement du marché des financements structurés, aux mécanismes juridiques de garantie des véhicules de titrisation et à l'augmentation du risque interbancaire du fait des fonds d'investissement mis en difficulté au bout d'un enchaînement mécanique où le risque «réputationnel» le dispute aux variations d'appréciation des agences de notation.
«Face à un marché incapable d'assurer, en raison du retrait massif des épargnes et de l'incapacité des emprunteurs à honorer leurs échéances de remboursement, un niveau raisonnable de liquidités, la réponse des régulateurs, via le forum de la stabilité financière, ciblait la mise en place d'outils permettant une meilleure harmonisation des conditions juridiques du transfert de risque, une gestion plus rigoureuse des conflits d'intérêt en séparant le rôle du conseil de celui du notateur, et une approche de l'information fondée sur la pertinence et la fluidité», souligne M. Hubert qui met en lumière, à la fin de son exposé, les déséquilibres macroéconomiques majeures liés à la crise du subprime et l'action salvatrice des banques centrales et des régulateurs prudentiels pour permettre le refinancement des établissements de crédit et le développement d'une réflexion à plus long terme pour l'assainissement des règles du marché, l'amélioration de la transparence dans les circuits financiers, notamment sur les prix et les volumes et l'organisation des infrastructures de post-marché, censées anticiper les bulles spéculatives et rétablir la confiance des émetteurs, des investisseurs et des épargnants.
Leçons à tirer
Les pertes potentielles inhérentes aux seuls prêts subprime sont évaluées à 500 milliards de dollars dont 300 milliards seraient assumés par les banques, une véritable onde de choc, clame M. Jean François Pons, Directeur de la Fédération des Banques Françaises, diffusée à plusieurs segments des marchés financiers internationaux, confrontés à l'érosion de la valeur de leurs actifs à risque. «Dans son rapport de stabilité financière d'avril 2008, le FMI estime à 945 milliards de dollars l'impact sur l'économie mondiale soumise déjà aux chocs énergétiques et alimentaires dont les retombés néfastes se font sentir dans certaines grandes agglomérations d'Amérique latine et du monde arabe», déclare notre interlocuteur qui appelle les banquiers du Maghreb à tirer les leçons adéquates de la crise, à assujettir tous les organismes pourvoyeurs de crédit à la réglementation de type bancaire et à adopter, dans les plus brefs délais, les recommandations de Bâle II en matière de prise en compte prudentielle des engagements directs ou indirects.
D'une façon générale, conclut Madame Estelle Brack, responsable des Affaires internationales dans la Fédération Bancaire Française, les turbulences récentes ont montré qu'un système fondé sur des financements de marché est plus vulnérable aux assèchements brutaux de liquidité qu'un système basé sur l'intermédiation bancaire ne l'est aux traditionnelles ruées sur les dépôts, même si ces dernières, insiste-t-elle, peuvent toujours se produire en l'absence d'une structure de garantie adéquate.
In fine, ajoute notre vis-à-vis, il s'agit d'une crise spécifique mais les argentiers des pays émergeants, et plus précisément ceux du Maghreb, doivent veiller aux taux directeurs, atténuer les risques inflationnistes en gestation et faire face, grâce à une position commune, aux velléités spéculatives des fonds nomades en expansion.