Webmanagercenter: Un Système d'information intégré, c'est quel pari, quels enjeux? Est-ce, d'abord, une réponse à la crise ? Tawfik Jelassi: Les entreprises en ressentent le besoin mais parfois il leur manque ce sens de l'urgence dans l'action. L'enjeu est de taille. Il est économique, certes. Mais il est aussi déterminant au plan de la compétitivité. Cela se ressent particulièrement en période de crise. Le commerce électronique connaît des taux de croissance à deux chiffres, de l'ordre de 20 voire 30%, et à côté, les circuits traditionnels enregistrent des contreperformances de 5%. Voilà, toute la partie se joue à ce niveau. Je partage le constat des chefs d'entreprise quant à la morosité de l'environnement actuel des affaires. Je peux comprendre que la perspective d'un investissement en IT puisse les inhiber d'autant qu'il faut l'accompagner du recrutement des compétences dédiées. Seulement, je leur dis ceci. C'est votre basculement vers les IT qui vous sortira de la crise. Et quel est votre message pour les milieux d'affaires tunisiens ? Le pays a fait le pari des IT de manière courageuse et a cultivé les compétences pointues qui vont avec. Mon message est qu'il faut mettre cela en avant dans toutes nos relations avec nos partenaires internationaux. Les IT apportent un deuxième souffle à tous les courants d'affaires, de la sous-traitance jusqu'à l'outsourcing. Il faut user de cet atout sans modération. Le confort de la situation est qu'on peut dynamiser les courants d'affaires sans avoir à expatrier nos compétences, étant donné que l'on peut exercer à partir de chez soi. Le basculement vers le tout IT est un pari managérial. Il demande une vision d'avenir. Commet triompher de ce challenge ? Je suis entièrement d'accord sur la nature du pari. Je précise que le «e-business-plan» stratégique n'est pas l'affaire du département informatique ou des seuls technologues de l'entreprise mais du leadership. Je suis conscient de la portée de ce choix. La Direction générale peut invoquer une certaine méconnaissance en IT mais cela ne doit pas bloquer l'affaire. Il faut savoir s'entourer, recruter et surtout diffuser cette réflexion par des brain storming, enfin toute forme d'effervescence de nature à associer toutes les parties et non les découpler. Il est nécessaire de faire aussi un effort d'intelligence économique pour s'informer des expériences des autres pour bien «habiter» cette nouvelle orientation, et enfin décider d'un plan d'action. Les cas de réussite que vous évoquiez, tels Ducati ou Levi's, sont différents. C'est une façon de dire que le succès est garanti d'avance ? J'ai cité des cas d'entreprises de métiers différents qui opèrent dans des environnements qui ne sont pas comparables. J'ai pris des entreprises d'Europe latine avec le cas Ducati, d'Europe anglo-saxonne avec Tasco, d'Amérique avec Levi's et du Japon. Je poursuivais en réalité un but pédagogique. Mon idée est de montrer que Ducati, producteur de motos, aussi banal que ce produit peut l'être, un produit mécanique et non informationnel de IT, exerçant dans un pays qui n'a rien de la superpuissance informatique, peut réussir son pari. Je n'affirme rien mais je relativise qu'en observant ces réussites, on doit légitimement dire et pourquoi pas nous. Il ne s'agit pas de les copier mais de les imiter dans leur initiative de créer de la valeur et d'innover. Quelle est la consigne en ce cas ? Je pense qu'aucune entreprise ne doit se figer dans une identité définitive, il faut toujours penser à évoluer. Même les entreprises mondiales globales et leaders ne sont pas exonérées d'évolution. Ne jamais dormir sur ses lauriers. Etant donné que l'environnement, bouge, à l'entreprise d'en faire autant. C'est la seule consigne pour se mettre en intelligence avec son environnement sinon on risque d'être distancé. Il est nécessaire de rejoindre le train du progrès sans quoi comment se positionner dans le futur. Se souvenir que dans notre monde globalisé les clients ont pris le pouvoir et il faut s'ouvrir à eux. Pour se projeter dans le moyen terme et se demander, quelle nature de valeur va-t-on créer et pour quel marché, il faut s'ouvrir sur son environnement. Quel sera le critère de décision ? Il est basé sur une observation simple. Les IT permettent d'abaisser les barrières à l'entrée dans les secteurs d'activités les plus variés. On voit Tasco, une épicerie en Grande-Bretagne devenir le plus grand assureur auto anglais. Au départ, quand Tasco a engagé le coup hors de leur champ professionnel, ils n'avaient pas les faveurs des pronostics. Mais le basculement vers l'IT s'accompagnait d'un autre choix décisif, celui de la philosophie du métier. Ils ont pris le pari de s'écarter de la vente d'assurance via un guichet physique avec un réseau d'agences. Ils ont donc pris le pari d'un business «One to One», ce qui leur a fait toucher des segments de population eux-mêmes désireux d'acheter autrement. Pareil pour Ducati. En 30 minutes, le constructeur a vendu la production annuelle d'un modèle de moto à travers le monde. Et, c'était une vente exclusive sur internet. Il est vrai qu'avec les IT, il faut repenser le métier et la façon de le faire. Le «One to One», c'est la recette du business de demain ? C'est le passage de la production de masse vers le surmesure de masse. C'est une révolution copernicienne. Ce sont les IT qui permettent au modèle one to one de tenir la route, car toutes les interactions entre les clients et l'entreprise se font via un site internet marchand. Hors les IT, ce modèle économique aurait nécessité le recrutement de compétences spécialisées, et c'est vraiment très difficile et même assez inhibant. Les IT sont conçues pour. Alors quel est l'apport du «one to one» ? Je dirais que c'est un moyen remarquable pour fidéliser le client et le rendre captif. Si le client allait ailleurs chez la concurrence, il trouverait une offre générique et pas cette valeur ajoutée fortement différenciée. L'implication du client c'est une façon d'externaliser le service R&D ? En se branchant sur le client, l'entreprise se débarrasse du fardeau de la R&D. Les clients lui balisent la voie et lui signifient les tendances. Les clients deviennent partie prenante auparavant, ils étaient extérieurs à ce processus qui était assuré sur toutes ses séquences par les compétences de l'entreprise. A présent, le client interagit beaucoup plus tôt dans la chaîne de valeur avec la R&D avant même que le produit soit finalisé. Le client y trouve d'abord son compte. On l'utilise comme input de R&D, mais il a son bénéfice dans l'affaire, qui est sa satisfaction. Il reste à organiser l'amont industriel, c'est un casse-tête ? C'est fascinant. Bien sûr l'amont industriel doit pouvoir suivre. Il y a toute la cavalerie à mettre en place. Mais il ne faut pas s'encombrer du choix industriel, il faut toujours partir du questionnement économique. Quelle valeur créer et comment la différencier de ce que font mes concurrents, et in fine, quel degré de satisfaction je parviens à procurer à mes clients. Qu'en est-il du «Best of Breed»? Le client est très exigeant et là je peux lui apporter le «best of breed», c'est-à-dire le meilleur de ce qui existe. Le client cherche un produit à qualité maximale dont il évalue la pertinence par rapport à ses attentes et ses besoins. Pour cela, il faut avoir le courage de décider de la rupture technologique. Il y a des risques mais les dirigeants de l'entreprise doivent être à la hauteur de leur rôle. «Pay and use», c'est une chance pour l'entreprise ? Il ne sert à rien en basculant vers le système d'information intégré de s'encombrer du problème de l'achat de la solution si on n'en a pas envie ou les moyens. On peut se brancher sur des structures dédiées utiliser leurs serveurs et leurs logiciels et être facturé selon sa consommation. Les leaders en la matière s'appellent notamment Amazon, Google, vous voyez que c'est quand même une délivrance. Flat World, soit. Est-ce l'assurance d'un monde équitable ? Je ne sais trop. Tout ce que je sais, c'est qu'il s'agit d'un monde horizontal qui diffuse des possibilités énormes de s'arrimer à la planète technologique grâce au cloud computing. Tout un chacun peut profiter des IT de la multi à la PME jusqu'au consommateur isolé. Il y a ceux qui se donneront la vision de s'y connecter et d'autres feront le choix de se résigner derrière un ronron de «Business as usual». Et, là sera la ligne de démarcation. C'est, in fine, une affaire de mental ? Oui, fondamentalement et du potentiel de navigation du leadership. Parier sur l'IT, c'est en faire une opportunité. Mais garder à l'esprit que si on pense que c'est l'affaire des autres, on en fait une menace contre l'entreprise et aussi une cause de déclin. Quel message aux chefs d'entreprise tunisiens ? Grâce à notre pari national sur les IT, on s'est créé une chance de jouer un rôle au moins au plan régional. L'équation est simple : réunir des compétences et avoir un état d'esprit. C'est une façon de voir le monde.