Mais il semble qu'en Tunisie, cette loi ne s'applique pas. Et en bon amateur, le principe retenu c'est «ne pas être vu, mais être présent». Fairplay, les annonceurs tunisiens ont pris l'adage de Pierre de Coubertin à la lettre : «L'essentiel est de participer». Outre les panneaux publicitaires qu'on subit mais qu'on ne regarde plus, tellement ils sont envahissants et laids avec leurs contenus criards et vulgaires, les foyers tunisiens, eux, à l'instar de la plupart des foyers du monde dit civilisé, n'échappent pas à ce phénomène. Puisqu'ils entretiennent un intrus sempiternel qui s'invite chez eux malgré eux, et les côtoie inévitablement. Ils le regardent et l'écoutent comme hypnotisés. Ils partageraient presque sa couche si besoin est. Malheureusement, ils ne peuvent pas lui parler pour l'instant. Ils rompent le jeûne en sa compagnie et dès 19 heures, il est là omniprésent. Il démarre au quart de tour tel un départ de sprinters lancés hors des startings blocs, une folle chevauchée commence. Sur l'écran de télévision à la queue leu leu apparaissent 15 marques de jus de fruits, 8 marques de fromages, 17 marques de yaourts, 12 marques de pâtes, 4 ou 5 de thon, 6 d'huile de soja, 7 halwa, 15 sucreries. Une obèse vantant la margarine, un grand-père gaga qui gave un marmot gras et obéissant, plus la bobine de quelques attardés qui font les guignols pour de la semoule. Une diarrhée de réclames L'univers publicitaire dans notre pays, c'est surtout un véritable assaut à la mangeaille lancé sans retenue sur la table des Tunisiens, le tout, sans trop de manières. Commence alors un chemin de croix à travers ces chaînes pour éviter soigneusement les feuilletons publicitaires. Le Tunisien se transforme alors en comptable émérite : sitôt calculé le temps imparti pour cette diarrhée de réclames, il revient calmement à son spot préféré (eh oui il faut bien parler de spot puisqu'ils sont régulièrement entrecoupés de «feuilletons publicitaires») en essayant toujours de réagir promptement à la première apparition du générique des publicités. Sitôt dit, sitôt fait. Dès le premier sourire du nigaud de service vantant les mérites des huiles untel, les télécommandes se mettent au diapason à crépiter, et nous sommes transportés pour les uns en Egypte, pour d'autres au Maroc et pour d'autres encore en pleine deuxième mi-temps d'un match très passionnant opposant le Bahreïn au Sultanat d'Oman. Tout est à prendre pourvu qu'on évite cette satanée pub. Donc le Tunisien regarde tout sauf «les feuilletons» de yaourt, halwa, margarine, etc. en zappant à qui mieux mieux à la cadence infernale des «feuilletons» publicitaires qui apparaissent sur les écrans. Heureusement entrecoupés de «spots» dramatiques où les riches sont mauvais et les pauvres bons, ainsi que d'émissions humoristiques qui font de la peine à voir. Sur une autre chaîne, un autre animateur, nouveau celui-là, amarré à un smoking avec la touche «originale et sympathique» de la chéchia méjidi posée sur sa tête (tout çà pour nous faire rire me direz-vous), puisque personne ou presque ne la porte plus, elle a pour effet de bien marquer le côté burlesque de notre passé «ténébreux», mais là n'est pas la question. Donc, le public essaie de fuir un plus grand mal pour un hypothétique bien en se contentant de ce qu'il y a, mais c'est là son libre choix. Refuser en zappant Mais alors où est l'effet de cette «chakchouka» publicitaire ? Je me le demande encore. Même si le Tunisien l'ignore en zappant. Je me demande même si les agences de rating sont sérieuses en annonçant les taux d'audience, en tous cas, pas les taux d'audience pub, ça c'est sûr. Mais alors si toutes ces marques ne rencontrent pas le télé-consommateur tunisien, où est l'intérêt ? Là est la grande énigme Il a été entendu d'après une enquête réalisée par une grande agence française sur la diffusion de spots publicitaires sur les chaînes TV à grande audience qu'outre sa force de persuasion et son côté esthétique et original pour l'annonceur, le diffuseur se doit de : 1. diversifier ses publicités et passer les spots avec un temps limité afin d'éviter le zapping, 2. avertir l'annonceur des concurrents par un routing, 3. ne jamais passer en même temps deux produits concurrents ayant les mêmes propriétés. Les créatifs, si créatifs il y a, devront, eux, cesser de faire du plagiat ou mieux du copié-collé et ramasser des prix qu'ils s'octroient eux-mêmes avec une inspiration nullissime. Toutefois, sur le plan technique, reconnaissons qu'il y a un progrès. Il faut tenir compte aussi et c'est dans l'intérêt du trinôme annonceur/client/diffuseur des disponibilités psychologiques, voire socioculturelles du Tunisien. Si ce dernier ne voit que yaourt, jus, farine, ufs, semoule, obèses, grand-mères gnangnan, enfants attardés et mielleux, huiles, gâteaux au chocolat, boissons au gaz, etc., sa réaction sera sans équivoque et ne se fera pas attendre de sa part, car tout cela devient -pour l'éventuel client qu'il est censé être- une diarrhée insupportable d'images et d'envahissement sonore. Il en résultera pour l'annonceur une contre-publicité dont les seuls bénéficiaires temporaires sont les diffuseurs. Mais pour combien de temps ? A moins que les annonceurs aient d'autres aspirations et ou d'autres intérêts économiques qui relèvent du génie et que nous ignorons. De grâce, éclairez-nous quand même, et seulement sur l'intérêt commercial de telles opérations !