C'est dans les couloirs du bâtiment Berlaymont de la Commission européenne et ceux du Parlement que l'on se rend davantage compte du fossé qui sépare les pays du Nord et ceux du Sud de la Méditerranée. Le jour où je me suis, enfin, rendue dans ces mythiques établissements, je mesurais le gigantisme de ce centre des pouvoirs. Un microcosme qui donne un aperçu de ce qui se passe dans un monde dont on ne mesure ni imagine qu'à peine l'existence. Ma présence dans ces imposants édifices situés sur quatre kilomètres carrés entre l'Avenue des Arts et le Parc du Cinquantenaire à Bruxelles me fragilise. Au fil de ma journée dans les entrailles de la machine européenne, je ne cesse de penser à ma chère Tunisie. Pourquoi donc ma présence en ces murs m'inspire-t-elle ce sentiment ? De là où je me trouvais, l'idée d'avancer groupé dans la modernité et pas forcément contre l'adversité, s'imposait à moi. Serait-il possible d'imaginer un salut sans la réunification du Maghreb ? Même l'hypothétique adhésion à l'UPM me semblait bonne à prendre ! Peut-être parce que je regrette... Comme l'aurait dit Jean Monnet, au soir de son uvre, que, si tout était à recommencer, il aurait reconstruit l'Europe en «commençant par la culture» et non par l'économie. Cette petite phrase, fût-elle apocryphe, est peut-être révélatrice d'une frustration générée par une Europe dominée par l'économie. Et si l'Europe, à la veille de sa naissance, avait été construite avec des pays historiquement et culturellement liés -précisément, avec ceux des pays du Sud de la Méditerranée- qu'en serait-il advenu ? Durant mon périple, il m'était difficile de penser, au comment et à la limite au pourquoi du fait que ces plusieurs milliers de personnes qui travaillent, projettent, et coopèrent ensemble penseraient au reste du monde ? Ils en sont au cur. Le monde à Bruxelles est européen. Dans les couloirs, ça va, ça vient et court dans tous les sens. Les uns arrivent, les autres partent et beaucoup quittent ou entament des meetings. Certains se restaurent alors que d'autres sirotent un café et discutent. Les délégations se succèdent, les VIP se renouvèlent et l'on devine les sujets brûlants du moment au gré des entretiens, exclamations et interrogations. Alors que la guerre du lait fait rage, d'autres attisent d'autres foyers de polémiques de réflexions, et de feux. Inlassablement, l'énergie est de toutes les conversations. Surtout avec l'arrivée imminente du président de l'Ukraine. Le pays est un partenaire de la plus haute importance. L'homme attendu pèse lourd dans la stratégie énergique de l'Europe avec ses réserves de gaz. La file de personnalités en charge de le recevoir en témoigne. Entre temps, les autres et à différents étages et niveaux continuent de batailler pour ou contre de nouvelles réglementations en faveur de la Banque Islamique en Europe. Les plus enthousiastes veulent mettre davantage de pression avant que la Grande-Bretagne n'en devienne le dragon, "Mais rendez-vous seulement compte que c'est HSBC, la banque islamique la plus importante du monde pour le moment et nous autres Européens, regardons ! ... » Un peu plus loin dans le centre de presse du Parlement, on procède à la remise des résultats d'un concours européen pour le journalisme. Ce prix récompense chaque année ceux qui ont contribué à la compréhension des questions et des débats européens. Le concours nourrit la pépinière de journalistes qui étoffent un dossier de presse quotidien composé de plus 300 articles quasi-quotidiens. Plus de 1.000 journalistes sont accrédités annuellement à la Commission. L'intérêt pour l'Europe croit. Dans les médias, il ne doit cesser de croître. Plus on y inscrit des pays, plus on s'activera au cur de cette machine hyper bien huilée. ... A sa manière, un professionnel résumera : ... "Après la période de l'offensive italienne, ce sont les Espagnoles et Portugaises qui ont occupé le haut du tableau. Aujourd'hui, ce sont les médias des pays de l'Est qui sont les plus offensifs». Essoufflée, j'en viens à bout de la journée. Je rentre chez moi ne sachant si je souhaite juste un concours maghrébin ou méditerranéen pour le journalisme. Il récompenserait ceux qui contribuent à la compréhension des questions et des débats maghrébins et méditerranéens. Submergée, j'en viens à bout de ma fragilité. Je rentre chez moi en rêvassant... Et si nous autres avions créé une union énergétique, économique, ... et finalement pourquoi pas culturelle ? Pourquoi ne pas commencer là où ils auraient échoué ?