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Quelques commentaires sur les récentes déclarations de Chedly Ayari
Publié dans Business News le 16 - 06 - 2016

« Rendre manifeste ce qui est caché (…) : en cela seul consiste l'œuvre des sages ». (1)

Lors d'une session plénière à l'Assemblée des représentants du peuple (« ARP ») tenue le mardi 7 juin 2016, le Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, a déclaré :
(I) « Le système financier tunisien est caduc et accuse un retard de 10 ans » ; il a besoin d'urgence d'être réformé « avant qu'il ne soit trop tard ».
(ii) Aucun retrait de fonds de la part des déposants n'a été enregistré, ce qui atteste de la confiance qu'ils ont dans le système bancaire, et ce en dépit de la polémique qu'a suscitée le projet de loi relatif aux banques et aux institutions financières, concernant notamment des craintes sur la faillite des banques, excepté deux d'entre elles (…). La législation actuelle n'offre pas de mécanisme qui protège leurs dépôts et qui leur accorde une indemnisation.
(iii) La nouvelle loi comporte plusieurs insuffisances et réclame la révision de certaines de ses dispositions. Elle constitue toutefois un texte fondateur qui améliore les prestations des banques et ne conduit pas à leur faillite. (2)

Ces déclarations nous interpellent à plus d'un titre :

D'abord, sur la « caducité » du système bancaire :
La caducité au sens littéraire est « l'état de ce qui touche à sa fin ». Dans le vocabulaire religieux, cela signifie l'apocalypse. Cette déclaration ne nous éclaire pas sur le moment où ce constat fut établi. Remonte-t-il aux premiers jours de la prise de fonctions du Gouverneur actuel ? Ou intervient-il après qu'il ait déroulé les deux tiers de son mandat ? La question n'est pas anodine car dans la seconde hypothèse, la pétition serait de savoir pour quelle raison, il le dit aujourd'hui, alors que dans la première, le Gouverneur aura pris un retard coupable, le marché de l'argent ne pouvant agoniser ainsi sous le regard du gardien du temple.
Par ces années de diète où l'Economie du pays connait ses pires difficultés et la quête des concours extérieurs devient une entreprise peu aisée, le Gouverneur annonce aux déposants, aux marchés, aux institutions financières internationales et aux banques correspondantes, sans raison objective apparente car il n'en existe pas et de manière sans doute contre-productive, que notre système bancaire, le sien aujourd'hui (!), est caduc. Apprécie-t-on assez les risques collatéraux de telle déclaration, compte tenu de la sensibilité des agents économiques, des marchés et des investisseurs ? Mesure-t-on à leur juste valeur la charge du « propos » et l'enjeu de l'« à propos » ?

Disons tout de suite ceci :
(i) le système bancaire national est nettement mieux qu'il ne l'était dans les années 80 /90, grâce notamment aux deux générations de réformes conduites par les Gouverneurs, Béji Hamda et Taoufik Baccar et couronnées tour à tour par les lois de 2001 et de 2006. Le Gouverneur ne le nie pas d'ailleurs.

(ii) malgré un contexte extrêmement hostile, caractérisé depuis 2011 par une crise de liquidité sans précédent, des difficultés réelles de recouvrement des créances, des troubles sociaux d'une acuité rare, le système bancaire s'est globalement bien compoté, en continuant à financer l'économie et l'Etat et à s'inscrire résolument dans une démarche de modernité, sous la conduite de cadres valeureux et dignes de louange.

(iii) un projet complet de réforme de « troisième génération », fut légué par le Gouverneur Baccar à ses successeurs, pour mettre le système bancaire au diapason des standards de Bale et instituer entre autres un Fonds de Garantie des Dépôts. La place apporta une contribution positive dans cette œuvre. Les commissions ad hoc créées à cet effet, composées de banquiers chevronnés ont réussi à concevoir une stratégie globale digne de la place et ceux d'entre eux encore en service, peuvent témoigner du sérieux et de la profondeur du travail accompli. Cinq années entières se sont écoulées depuis. A s'en tenir aux propres dires du Gouverneur estimant à une décennie le retard accusé par le secteur, nous aurions fait aujourd'hui la moitié du chemin.


Ensuite, sur la garantie des dépôts et le spectre de la faillite de certaines banques :
La problématique du « Fonds de Garantie des Dépôts », ne concerne pas son utilité, tant celle-ci reste unanimement admise, et il ne peut être tiré pour la Banque Centrale de 2016, de sa récente consécration dans la nouvelle loi bancaire, une quelconque gloire.

La garantie des dépôts date chez nous de 2001. Le projet de réforme remis aux autorités à l'entame de 2011 proposait simplement de supplanter le « Mécanisme de Garantie des Dépôts » alors en place par un « Fonds » à l'instar du celui crée dans le secteur des assurances et qui a facilité le sauvetage de l' « Assurance El Ittihad », lui évitant une faillite certaine. La différence entre le « Fonds » et le « Mécanisme » réside dans le fait que dans le cadre de ce dernier, les banques ne sont pas tenues de cotiser de façon préalable et périodique, mais doivent néanmoins répondre en cas de sinistre, à l'invitation du Gouverneur. La raison de ce choix est simple : ne pas charger davantage les banques qui étaient engagées dans un programme vaste et couteux d'assainissement, de restructuration et de modernisation et éviter tout risque de panique.
L'institution d'un « Fonds » réclame en réalité deux préalables : le timing et la communication. Or, la Banque Centrale ne semble pas avoir réussi dans le choix du « bon moment » ni du « bon mot ». Expliquons :
Jusqu'en 2001, les dépôts ne bénéficiaient d'aucune garantie, sauf le peu qu'offre le Droit commun. Le seul réconfort pour les déposants n'est pas comme le dit le Gouverneur « la confiance dans le système bancaire tunisien », n'en déplaise, mais ce qui est communément appelé « la garantie implicite », entendre de l'Etat. C'est l'Etat qui crée les banques, les agrée et les supervise et c'est lui qui dans ses campagnes multiples et longuement répétées à l'orée de l'indépendance, incitait à abandonner les pratiques de thésaurisation et encourageait la population à ouvrir des comptes auprès des banques ou de la Poste et à utiliser la monnaie scripturale. Dans le subconscient des Tunisiens, l'Etat ne pouvait leur mentir, les induire en erreur ni les mettre en risque de perdre leur fortune.

L'institution aujourd'hui d'un Fonds de garantie dans le contexte qui est le nôtre, chargé d'appréhension, de suspicion et de méfiance, est tout simplement mal venue car elle heurte le subconscient du pays bancaire et bouscule chez lui une croyance, une conviction qui pour certaines générations, ne remonte pas à un passé si lointain. Elle intervient sans que la Banque Centrale, relayée en cela par les institutions du secteur et les médias, ne fournisse l'effort didactique nécessaire, en utilisant un discours rassurant, qui s'appuie sur une pratique comparée d'envergure universelle et se fonde sur les acquis actuels du système bancaire en termes de solidité et d'observance du standard prudentiel, la vigilance de tous les jours de l'Institut d'Emission et la disponibilité des mécanismes juridiques et institutionnels et de sauvetage et notamment d'alerte précoce. En effet, la mise en jeu de ces mécanismes, nous ne le répèterons jamais assez, doit constituer l'ultime recours, l'obligation qui pèse sur le superviseur bancaire demeurant d'abord de veiller au grain pour éviter qu'ils ne soient déclenchés.

Telle Janus, divinité mythique au visage dupliqué pour pouvoir protéger les portes de Rome de l'intérieur et de l'extérieur, la Banque Centrale se devait de proposer une image du système bancaire dont elle est le gardien privilégié, qui rassure le public local des déposants et les marchés étrangers. A la place, elle le frappe de caducité, miroite que le spectre de la faillite plane sur deux institutions bancaires, entame la confiance des tunisiens et invite inconsciemment à la rupture.

A propos des difficultés que rencontrent certaines de nos banques, soulignons d'emblée que les crises bancaires surviennent dans toutes les places financières du monde et conduisent parfois à la faillite. Les faillites bancaires aux USA et en Europe à titre d'exemple, sont assez fréquentes. Depuis 2000, pas moins de cinq cent quarante-trois banques ont succombé aux USA dont cent quarante pour la seule année 2009. En 2015, cinq banques ont connu ce sort en Europe et quatre aux USA.

La place bancaire nationale livre quelques exemples de difficultés sérieuses qui ont été surmontées à temps et de façon efficace grâce à la vigilance de la Banque Centrale, à travers tantôt les fusions/absorptions, comme ce fut le cas de la BDET ou de la BNDT et tantôt, la restructuration de l'actionnariat qui a concerné l'UIB et la Banque du Sud, lesquelles affichent aujourd'hui une situation des plus enviables.

Par ailleurs, la non adoption de solution radicale et définitive aux difficultés actuelles de la BFT n'est pas le résultat d'une quelconque carence, mais s'explique par la sensibilité du contentieux que cette institution souffre depuis près de 25 ans et qui tarde encore à connaitre son épilogue. Les autorités ont préféré continuer dans l'intervalle, à respecter les lois internationales relatives aux rapports entre Etats et investisseurs privés et à gérer la banque au mieux des intérêts du public des déposants et de la place.

La TF-Bank pour sa part, est une banque de Droit français, exerce sur une place qui n'est pas la nôtre et ne véhicule de ce fait, aucun risque de contagion de nature systémique.

Enfin, Sur les insuffisances de la nouvelle loi bancaire !

La nouvelle loi bancaire n'a pas encore vu le jour, que le Gouverneur la qualifie déjà d'insuffisante et appelle à revoir certaines de ses dispositions.
De mémoire de cadre de la nation, nous n'avons jamais été témoins de tel aveu. A-t-on soumis au souverain en connaissance de cause, un texte tronqué ? Quelle considération ce faisant, la Banque Centrale accorde-t-elle au pays légal, le Conseil des ministres et l'ARP ? Comment s'est-elle permise de siéger dans l'enceinte de l'ARP pour défendre une loi dont elle avoue elle-même qu'elle est déjà à revisiter ? L'urgence et les soi-disant pressions du FMI, autorisaient-elles une telle attitude ? Comment cette institution dont on nous dit qu'elle fut associée à la rédaction du projet, en avait alors validé la teneur ?

Ceci sur le principe. Maintenant sur la démarche, disons d'emblée que nul ne justifie d'accepter comme condition à l'octroi de la « facilité élargie » du FMI, le vote d'une loi. Ceci n'est pas dans les prérogatives de la Banque Centrale ni d'ailleurs, de celles du Gouvernement. De tradition, et le FMI y souscrivait volontiers, l'engagement ne portait que sur la soumission au parlement d'un projet dans des délais convenus, car différemment, on empiéterait sur son territoire. Le résultat fut que nos députés ont été bousculés pour débattre puis voter en l'espace de deux jours seulement, un texte « fleuve », aux enjeux éminemment stratégiques pour le pays et aux problématiques complexes et lourdes de charge. Quel crédit, quelle légitimité démocratique réelle ce texte pourrait-il réclamer demain ?

Sur le fond, la Banque Centrale semble pourtant tirer gloire d'avoir élaboré une réforme complète de la loi bancaire. Elle nous en comptait même le nombre d'articles, deux cent au total, comme si la qualité de la production normative s'appréciait au pesage.

En réalité, au-delà des insuffisances évoquées par le Gouverneur et dont il n'a pas révélé les détails, la nouvelle loi bancaire ne semble pas pouvoir résister à l'épreuve des faits tant ses tares, du reste nombreuses, relèvent d'une vision des choses à notre avis éminemment discutable.

Tout laisse penser d'ailleurs, qu'elle emboitera le pas aux nouveaux statuts de l'Institut d'Emission, nés d'un accouchement difficile et votés à une majorité tellement étriquée que la crédibilité de la loi en était sortie largement affaiblie et ses chances de survie, même sur le court terme, sérieusement entamées.

La nouvelle loi bancaire annonce en effet trois ruptures majeures qui se concilient mal ou peu avec d'un côté, les pétitions du marché et les tendances observées dans le monde, et de l'autre, avec le « modus vivendi » conclu par la Tunisie politique et scellé dans la Constitution.

(I) La première rupture consiste en une renonciation à la démarche "universaliste" et libérale de la loi de 2001 en faveur d'une approche "atomiciste", parcellaire et donc réductrice qui prône la spécialisation et l'érige en mode de gouvernance du système bancaire, s'inscrivant du coup en contradiction avec le vieux principe de la liberté du commerce et de l'industrie et celui de la libre concurrence.

(ii) La deuxième rupture renvoie à une renonciation cette fois-ci à la nécessité ô combien urgente, de redessiner les contours du paysage bancaire en redimensionnant la taille des banques de manière compatible avec les mutations structurelles observées dans le tissu entrepreneurial national. La taille actuelle de nos institutions bancaires s'adapte mal aux besoins nouveaux nés de l'émergence de groupes d'entreprises de dimension relativement importante et qui pour se financer, continuent à faire un tour de table large et épuisant. Or, la Banque Centrale continue à accorder des agréments, s'obstine à maintenir à un niveau bas (cinquante millions de dinars) le ticket d'accès à la profession et crée de surcroit, un nouvel organe dédié à cet effet, laissant se profiler en filigrane son intention d'agréer de nouveaux compétiteurs que l'avenir proche nous en révèlera l'identité et de morceler ainsi davantage le secteur.

(iii) La troisième rupture, la plus dangereuse à mon avis, parce qu'elle « nous change notre Etat » (4), est un abandon de la conception unitaire, « moniste » du Droit au profit d'une approche dualiste où la règle positive cohabitera désormais avec la règle dite "charaïque".
L'intitulé du titre II du projet : « Fi Amaliyet Essayrafa El Islamia » est attribuable à la Banque Centrale. Personne pourtant ne l'y invitait et aucun reproche ne peut du reste, être adressé à quiconque au sein de l'ARP qui ne voulait, ni ne pouvait opportunément décliner l'offre.

Pédagogie, encore et encore :
La loi bancaire autorise l'exercice du crédit « sous toutes ses formes » ; ceci étant valable également pour les dépôts. (Art 4)
Dans le jargon de la place, ces opérations sont appelées « produits bancaires » et les banques demeurent libres de les offrir au public pourvu qu'elles répondent aux règles générales du Droit civil des contrats et qu'elles obtiennent l'assentiment préalable de la Banque Centrale, en sa qualité de gardienne des intérêts de la clientèle.

Le Droit commun, le COC en l'occurrence, propose toute une panoplie d'opérations auxquelles peuvent s'adonner les personnes civiles ou commerçantes, parmi lesquelles, les opérations de « Mourabaha », « Ijara », « Moudharaba », « Moucharaka », « Istisnà », « Salam » etc. Le COC, né en terre d'Islam depuis plus d'un siècle, ne donne pas à ces instruments juridiques de qualification tirée des préceptes de la religion musulmane.

Le fait de dupliquer ces instruments juridiques dans la loi bancaire est déjà en soi une entreprise superflue car elle surcharge inutilement la bibliothèque juridique nationale. Elle l'est d'ailleurs d'autant plus que des banques comme « La Zitouna » ou « El Baraka » ou encore plus récemment « El Wifak », toutes agréées pourtant sous l'égide de la loi de 2006 utilisent ces instruments sans qu'un quelconque besoin n'ait été ressenti de les consacrer dans la loi bancaire.

Superflue, la reprise dans la législation bancaire des dispositions du COC relatives aux instruments précités est par ailleurs dangereuse lorsque la Banque Centrale à travers son projet, en attribue l'usage à certaines institutions à l'exclusion d'autres (Art 24), lorsqu'elle crée des « comités de contrôle charaïques » qui concurrencent les structures traditionnelles chargées du contrôle de conformité, lorsqu'elle consacre les notions de « critères charaïques » et d'« auditeur charaïque » (Art 56) et lorsqu'elle reconnait l'application directe, même à titre supplétif, des règles posées par les «Institutions Islamiques et Internationales spécialisées !» (Art 12).

La porte étant ainsi ouverte, rien n'exclut, cohérence oblige, que demain nous assisterons à l'émergence d'une « juridiction charaïque » qui statuera sur les litiges qui naîtraient de l'application ou de l'interprétation du Droit de la finance islamique. Un Droit dual, une gouvernance duale, et puisque l'extrapolation est rendue ainsi possible, une Justice duale.

Donner une connotation religieuse aux institutions et aux instruments juridiques est un exercice périlleux car il sépare, désagrège et divise, le tout au mépris du principe de laïcité consacré dans la Constitution du pays : « La Tunisie est un Etat laïc » énonce l'article 2.
La laïcité, faut-il le souligner n'est point hostile à la religion. Selon Henri Pena-Ruiz, il s'agit là du plus grand contresens que l'on puisse faire sur la laïcité, celle-ci demeurant en substance « un idéal positif d'affirmation de la liberté de conscience, d'une égalité qui (transcende les croyances religieuses) et de l'idée que la loi républicaine doit viser le bien commun et non pas l'intérêt particulier ». Pour l'éminent philosophe, "Trop souvent les hommes ont tendance à privilégier ce qui les divise. Avec la laïcité, il faut apprendre à vivre avec ses différences dans l'horizon de l'universel, sans jamais oublier qu'on a des intérêts communs en tant qu'hommes."

En s'écartant sans raison apparente, de la tradition positiviste de la Tunisie, la Banque Centrale, institution républicaine, ouvre hélas une brèche aux conséquences insoupçonnables, ratant dans la foulée une excellente occasion d'inscrire son action au cœur de l'idéal laïc et du principe de neutralité de la sphère publique.
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(1) Citation attribuée à Bernard le Trévisan ;
(2) c'est nous qui avons traduit les deux derniers paragraphes ;
(3) Henri Pena-Ruiz, philosophe - MAIF infos septembre 2003 ;
(4) Exclamation de Maurice Hauriou dans une note sous l'arrêt du Tribunal des Conflits, 9 décembre 1899 « Association Syndicale du Canal de Gignac », requête n° 00515, rec.p.731


*Samir Brahimi, ancien directeur général à la Banque centrale de Tunisie était également CEO de QNB-Tunisia et ancien membre du Collège du CMF et secrétaire général de la Commission tunisienne d'Analyses financières. Il était Gouverneur suppléant auprès du FMA et ancien président du Groupe d'action financière Moyen-Orient/Afrique du Nord.


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