A peine adoptée, la loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a été aussitôt remise en cause, pour son caractère anticonstitutionnel. Au même titre que l'annulation pour vice de forme du décret présidentiel, n° 13 de mars 2011, permettant la confiscation des biens de Ben Ali et de ses proches. Ces deux verdicts concomitants tombés dans la même journée du 8 juin, et prononcés respectivement par l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi et le Tribunal administratif ont fait l'objet d'une conférence de presse donnée par l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature (Otim). Son président, M. Ahmed Rahmouni, est revenu sur deux faits de même acabit, empreints d'une certaine maladresse politique et législative. Un tel retour de manivelle sur une polémique juridique qu'on croyait dépassée a levé le voile, encore une fois, sur une gouvernance politique mal en point. De toute évidence, le rejet qu'a subi la loi relative au CSM laisse à penser que les mains tremblantes n'écrivent pas les pages lumineuses de l'histoire post-révolution. Ce qui a donné l'impression que le projet de loi en question fut ainsi confisqué par la commission de la législation générale relevant de l'ARP. Elle l'a intégralement réinventé usant de son pouvoir législatif au mépris de l'initiative propre au gouvernement qui l'a fait naître, en avant-première, en janvier dernier. La version initiale du projet du CSM telle qu'élaborée par un comité technique au sein du ministère de la Justice n'est plus la même. Selon la corporation judiciaire, qui continue à défendre sa cause bec et ongles, cette loi a été complètement défigurée, quitte à n'avoir plus d'autonomie et d'indépendance. Et là, M. Rahmouni n'est pas passé sans rappeler la position unifiée prise, à ce niveau, par toute la profession, plaidant en faveur d'un Conseil supérieur de la magistrature qui réponde aux attentes de toutes les juridictions qui le composent. Mais, l'unilatéralisme de ladite commission parlementaire et son excès de zèle fort manifesté à cet égard l'a motivé à tout refaire, sans même prendre, à titre consultatif, l'avis de l'instance provisoire de l'ordre judiciaire. Faute de quoi, entre autres raisons, la loi sur le CSM n'a pas, finalement, obtenu l'ultime aval, étant jugé inconstitutionnelle. Aux antipodes des règles L'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets des loi l'a considéré aux antipodes des règles d'examen du texte de loi par l'ARP, bien qu'il y ait plusieurs articles qui ne sont pas conformes aux principes de la Constitution, à savoir les articles 4, 10, 11, 12, 17, 42, 43, 60 et 81. D'autant plus que la composition du CSM, le privilège du tiers indépendant spécialisé donné à des auxiliaires de justice favoris (avocats, universitaires..), l'intrusion de la justice militaire comme un des représentants de la juridiction judiciaire et bien d'autres éléments ont constitué le bien-fondé du récent verdict prononcé à son encontre. Mais, cela a été la résultante d'un recours déposé le 22 mai dernier, par une trentaine du bloc de l'opposition minoritaire (Front populaire et autres), appuyé par une pétition signée aussi par certains membres des partis de la coalition au pouvoir (Afek Tounes, UPL...). Leur revendication a ainsi trouvé réponse auprès de l'instance concernée dont la décision, à en croire M. Rahmouni, vient finir avec la prédominance du pouvoir législatif et rompre, de la sorte, avec la politique du fait accompli. La présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), Mme Raoudha Karafi, a pris la nouvelle décision de l'instance pour une meilleure illustration des pratiques démocratiques. C'est aussi une marque de reconnaissance de l'indépendance judiciaire que devrait consacrer l'exercice du prochain Conseil supérieur de la magistrature. Un exercice qui impose, d'après elle, autonomie et séparation des trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, sans pour autant perdre de vue leur complémentarité. Et maintenant, a-t-elle ajouté, que le projet de loi revient à la case départ, il doit refaire son parcours en bonne et due forme, dans le sens où l'Instance de l'ordre judiciaire aura son mot à dire. Sa collègue Mme Raoudha Laâbidi, présidente du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), était, elle aussi, du même avis. Elle a fait valoir l'apport du verdict afférent au CSM, tout en remerciant les députés qui avaient déjà demandé recours à cet effet. Des députés qui, qualifie-t-elle, ont fait la différence, bien qu'ils aient été minoritaires. Dans le même ordre d'idées, elle a vivement dénoncé les dernières déclarations du Bâtonnier de l'ordre des avocats, jugées trop passives à l'égard de ce projet de loi. Un décret malhonnête L'autre décision entreprise par le Tribunal administratif annulant le décret présidentiel n°13 datant de mars 2011, relatif à la confiscation des biens du président déchu et de ses proches, n'a pas fini de faire grand bruit. Les intervenants ont été aussi sur la même longueur d'onde, considérant que le verdict est susceptible de faire appel, pouvant aller encore plus jusqu'à un jugement en dernier ressort. Mais la procédure avec laquelle fut établi ce décret, en 2011, un jour avant l'entrée en vigueur de la loi organisant le pouvoir des autorités publiques, n'a pas été en règle. Malintentionnée, critique Mme Karafi, la procédure telle qu'adoptée fait sentir le soufre. C'est que le décret en question n'a pas été passé à l'examen, en séance plénière au sein de l'Assemblée nationale constituante (ANC). Une sorte d'instrumentalisation politique aux fins malhonnêtes, voulant, ainsi, faire porter la responsabilité au Tribunal administratif, accuse-t-elle. «Dieu merci pour le sort du CSM dont le projet bâtard a fini par tomber à l'eau...», se félicite Mme Karafi.