Que s'est-il donc passé pour que le Quartette gouvernant annule et reporte sine die la fameuse conférence de presse prévue ce mercredi à Tunis ? On n'en sait rien. Aucune explication, hormis des mots laconiques dans un froid communiqué de presse. Un communiqué signé par la «Directrice du bureau de presse de Slim Riahi» ! À l'instar de celui qui l'a précédé et qui fixait l'objet de la conférence de presse reportée in extremis : les derniers développements politiques, économiques et sociaux en Tunisie. Un sujet bateau en somme, concept fourre-tout et malléable à toutes les sauces. En fait, la communication des partis de la coalition gouvernementale laisse à désirer. La torpeur ramadanesque et estivale a tout lessivé. Rien à signaler sous les tropiques. La situation politique est bloquée. Le dialogue social est aux abonnés absents et les indicateurs économiques sont au rouge. L'investissement est toujours dramatiquement en-dessous des attentes. Les exportations stagnent. Le tourisme est en panne. Les balances commerciale et de paiements sont largement déficitaires. Les grèves et débrayages sociaux des trois derniers mois ont mis au jour l'absence chronique du dialogue social. Le corporatisme est de retour. L'image même du syndicalisme s'en retrouve écornée. Celle du gouvernement n'est pas en reste. Hormis de maigres acquis agités comme des trophées à l'occasion des cent jours, l'exercice gouvernemental fait encore du surplace. Les grands projets économiques de la relance jouent toujours aux précieux. On nous les avait promis pour juin 2015. Le mois prend congé sans que rien ne soit visible à ce propos. Idem du conseil supérieur du plan et des fameux dix grands projets dits structurants. On n'en a encore aucune idée. Même l'énoncé n'est pas de mise. En revanche, l'équipe gouvernementale multiplie les bourdes et les fautes. Le cafouillage diplomatique et les hésitations et manœuvres contreproductives sur le dossier libyen en sont une navrante illustration. On a tout simplement l'impression d'évoluer dans une sous-république sous-bananière. Voulant dissiper ce qu'il considère comme des malentendus, le ministre des Affaires étrangères a jeté davantage de l'huile sur le feu. À preuve, le contenu et les erreurs de casting de M. Taieb Baccouche, lors de son pastiche de conférence de presse de mardi. Côté social également, on déplore l'inertie gouvernementale en matière de relance du dialogue avec la centrale syndicale, l'Ugtt. Le chef du gouvernement, M. Habib Essid, aime bien être présenté sous les atours d'un grand commis de l'Etat. Soit. Son parcours, quoiqu'inachevé, pourrait légitimer la prétention. Ça pourrait même être flatteur par les temps qui courent. Par la misère de ces jours, allai-je écrire. Mais les grands commis de l'Etat tunisien, depuis des décennies, ont précisément bien ficelé leur dossier syndicats. Et parmi les fondamentaux de la politique tunisienne depuis 1956, il y a des vérités on ne peut plus évidentes. Toutes les fois que le gouvernement est entré en crise, il a haussé le ton avec l'Ugtt. Et l'Ugtt n'a jamais perdu, en dernière instance, la bataille contre les gouvernements. Les partis de la majorité gouvernementale ont le tort de camper les ménages difficiles. A quatre de surcroît. Ils ne discutent même pas entre eux. Ils n'ont de cesse de mettre en place des dynamiques de dialogue. Toujours entre eux. Comment dès lors pourraient-ils être capables de dialoguer avec les autres ? Lors du vote de la loi portant établissement du conseil supérieur de la magistrature, le gouvernement s'est retrouvé aux prises avec les élus de la majorité. Le ministre de la Justice avait déploré le détournement du projet gouvernemental par les élus de la majorité gouvernementale. Une situation kafkaïenne et abracadabrantesque, qui fait que les partis de la majorité soient en instance perpétuelle de désaccord. Cela donne une coalition gouvernementale en pointillé en quelque sorte. C'est que, partout, sévissent le monologue, le délire de grandeur, la segmentation tribale et partisane des grands projets nationaux. Le vicieux jeu étriqué des coteries, les petits enjeux, empêchent de voir grand dans l'immensité du possible.