Confiné dans un terrain agricole au pied du Djebel Ressas, la prison de Mornag semble avoir pris des rides, faisant, ainsi, grise mine. Ce bagne des temps révolus remonte à l'époque coloniale, gardant encore sa même vocation répressive. Pas si loin du chef-lieu du gouvernorat de Ben Arous, mais faute de moyens de transport publics disponibles, aller visiter un prisonnier relève d'un vrai calvaire. Et comme toutes nos structures pénitentiaires, cette prison supporte le fardeau de la surpopulation carcérale dont le nombre dépasse de loin sa capacité réelle. Soit 140 % du taux de remplissage initial, avec environ 950 détenus au total occupant 400 lits, selon le porte-parole de la direction générale des prisons et de rééducation, M. Ridha Zaghdoud. Aux premières années post-indépendance, c'était une vieille bâtisse abritant une centaine de condamnés à des peines d'intérêt général purgées notamment dans l'un des vergers de Mornag des services pénitentiaires. La prison de la région demeure, aujourd'hui, un lieu de garde à vue. Ses résidents sont à la merci des jugements trop lents qui dépendent exclusivement des tribunaux du Cap Bon. Autant dire, tout condamné dont les poursuites judiciaires ont lieu à Nabeul y est, provisoirement, placé, mais pour une durée indéterminée. La récente visite du ministre de la Justice, M. Mohamed Salah Ben Aissa, s'inscrit, comme ses précédentes, dans le cadre de la réforme du système pénitentiaire et afin de prendre les mesures qui s'imposent. Or, cela demande un travail de longue haleine et une nouvelle vision qui puisse rompre avec celle d'antan. Une politique de réforme et de communication à même de faire du milieu carcéral un environnement propice à toute initiative de réhabilitation et de réinsertion sociale. C'est, d'ailleurs, ce qu'a signifié le ministre dans ses paroles. Et la réalité en dit long. Des faits classés top secret Le ministre a aussi parlé, au terme de sa visite, d'un vécu derrière les verrous qu'il faudrait changer. D'après lui, le problème d'encombrement, aussi généralisé soit-il, devrait être résolu. Quand et comment ? La décongestion de l'espace carcéral et l'amélioration des conditions des détenus ne pourraient être réalisées que par un changement d'esprit et une révision, de fond en comble, de la politique pénale. L'on entend par cela l'extension des prisons, l'hygiène de vie et la reconversion des peines d'emprisonnement par des peines substitutives. Autant d'alternatives à réfléchir. Et là, un gain de cause à long terme. Toujours est-il que les droits de l'Homme demeurent, en grande partie, le parent pauvre. Pour plusieurs activistes de la société civile, il y a là raison pour dénoncer, à gorges déployées, toute forme de torture et de châtiments que subit la population carcérale. A ce propos, M. Ridha Zaghdoud n'a ni confirmé ni infirmé pareils cas dans nos prisons. De son côté, le ministre de tutelle, lui aussi, n'a pas évoqué le rapport d'observation de la situation que lui avait, récemment, remis la Ltdh, suite à sa tournée dans nombre de prisons tunisiennes. Sans réponse aucune jusque-là. Bien que son collègue Najem Gharsalli, ministre de l'Intérieur, ait reconnu, dans des déclarations précédentes, la présence de certains cas de torture, mais pas de façon méthodique. Des cas isolés. Mais pourquoi de tels rapports doivent-ils être classés « top secret » ? Pourquoi tant d'opacité? Torture, qu'en est-il au juste ? Au fait, bien des ONG nationales confirment tout à fait le contraire. Pas plus tard que juin dernier, des militants des droits de l'Homme ont observé un sit-in devant le Palais de Justice à Tunis, en guise de protestation contre la persistance des mauvais traitements et des comportements humiliants perpétrés contre les détenus. Mme Radhia Nasraoui , présidente de l'Organisation tunisienne anti-torture avait déclaré, maintes fois, que ce phénomène inhumain continue à exister et que les responsables politiques refusent de l'admettre. Et d'affirmer encore avoir sous la main quelque 400 dossiers sujets à examen. Sans y répondre, M. Ben Aïssa a fait valoir l'apport de la société civile dans son combat éternel pour la préservation des droits de l'Homme, là où leur atteinte pose problème. Au fur et à mesure de sa tournée dans les cellules de la prison, le ministre n'a cessé d'insister sur l'amélioration des conditions de séjour et des prestations fournies aux détenus, recommandant de veiller au respect de leur intégrité physique et morale, dans la dignité totale. Mais quoi qu'on en dise, ça n'augure rien de bon, à la lumière de ce qui se passe derrière les verrous. Crise de confiance A l'égard des médias et leur droit d'en parler, le capital confiance est en passe de se rétrécir. D'emblée, à leur entrée dans la bâtisse grise, les journalistes accompagnant le ministre ont été, hélas, interdits d'accéder aux différents pavillons. « Question de précautions visant à ne pas toucher aux données personnelles des prisonniers. Et par crainte de reproduire le scénario de la prison de La Rabta, objet, précédemment, d'une visite inopinée, où certains médias ont filmé des figures et des scènes qu'il aurait fallu éviter », a ainsi justifié le ministre. Quelque temps plus tard, dans l'intention de calmer le jeu, il est revenu sur ses instructions qui semblaient aussi bizarres que gratuites. Finalement, le feu vert a été donné pour ne visiter qu'un seul pavillon aux lits superposés visiblement encombrants, avec un téléviseur accroché en haut du mur, en arrière-plan. Mais, la foule des détenus se voit plongée dans un silence insupportable. « Ici, tout ou presque relève de l'interdit. De même, les médias ne sont pas autorisés à avoir des discussions ou recueillir des déclarations émanant des prisonniers», ordonne un agent. Face à ces restrictions, les journalistes ont dû rebrousser chemin.