Par Abdelhamid Gmati Grande consternation et colère, cette semaine, avec l'assassinat barbare d'un enfant de 4 ans à Mellassine. L'auteur de cet acte abject et gratuit, un caporal de l'armée, souffre de graves troubles psychiatriques et est sous traitement médical, alors qu'il aurait dû être interné. Dans le même temps, un autre acte de violence, mais moins médiatisé, a envoyé à l'hôpital une hôtesse de l'air de notre compagnie nationale agressée ainsi qu'un de ses collègues par un individu qui a été arrêté et envoyé à l'hôpital Razi pour un examen psychiatrique. Qu'est-ce à dire ? Les auteurs de violences extrêmes relèvent-ils tous de la psychiatrie ? En tout cas, et selon un rapport de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (Ltdh), l'hôpital psychiatrique Razi refuse, souvent, d'accueillir des détenus, à cause d'un encombrement extrême. De fait — et plusieurs études l'attestent, dont une de l'Organisation mondiale de la santé —, la Tunisie est parmi les pays arabes où la dépression a augmenté et dépasse les 7%. De plus, et selon le plus récent rapport de l'ONU, les Tunisiens sont les plus malheureux au Maghreb et se classent au 98e rang mondial. Plusieurs critères ont été retenus pour établir ce rapport. En somme, les espoirs suscités par la Révolution ne se sont pas concrétisés. Pire, les problèmes se sont accumulés. Le Tunisien se trouve submergé et n'en voit pas la fin. Le terrorisme, l'insécurité, la cherté de la vie, le chômage, la pauvreté, le manque de perspective... Tout cela, mêlé à un sentiment général d'impuissance, l'amène à désespérer. Selon le psychiatre Lyès Sraïri, « la violence qui fait partie du comportement dit pseudo–psychopathique, en rapport avec la période d'adolescence, est en ascension vertigineuse. Cela est dû à des causes conjoncturelles (période post-révolution où la violence est banalisée et constitue un mode de transition et de changement d'une société en mal de repères), mais aussi à des causes plus profondes, plus structurelles, représentées par une modification de la structuration de base de la société qui se noyaute, ce qui alourdit la tâche parentale. Les parents n'ont d'autre choix, devant la lourdeur de la tâche, que la démission. Cette jeunesse livrée à elle-même, en manque de repères, donne alors libre cours à ses instincts agressifs, entre autres ». Cela se traduit par des mouvements sociaux, dont 987 ont été recensés rien que durant le mois d'avril 2016, et par des suicides et tentatives de suicide qui ont augmenté en avril. D'après le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes), « en 2015, 302 personne se sont suicidées et 247 ont tenté de mettre fin à leur vie. 105 personnes se sont immolées dont 56 sont âgées de 16 à 35 ans. Dans un rapport publié hier, l'Observatoire social tunisien s'alarme de l'évolution du phénomène : entre 2014 et 2015, le nombre de suicides et de tentatives de suicide a augmenté de 170 %. Depuis janvier 2016, cette tendance se poursuit : 56 personnes se sont suicidées ou ont tenté de le faire, dont 22 par immolation ». Les explications sont multiples. Pour le Docteur Messadi, du Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous, le suicide par immolation s'explique par « cette illusion de devenir un héros, de trouver un travail et de sauver sa famille de la misère. Il faut leur dire que rien de tout ça n'est vrai. La personne qui le fait se trouve après dans une situation encore plus dramatique. L'indifférence s'installe progressivement parce que le phénomène devient du copier-coller. En plus, le drame familial est indescriptible. La majorité se fait rejeter par les plus proches et est instrumentalisée à des fins politiques par des personnes qui finissent par disparaître. A force de les voir affluer ici en espérant voir un gouverneur ou un journaliste, nous les dénigrons complètement. S'ils pensent qu'ils vont avoir un meilleur traitement que n'importe quelle autre victime de feu, ils se rendent compte rapidement ici que ce n'est pas du tout le cas ». Le désespoir pousse certains à des « extrémités ». Outre la violence et le suicide, on a relevé que, et bien que cela soit strictement interdit par la loi, des Tunisiens vendent leurs organes afin d'améliorer leur situation financière. Ils proposent leurs offres aux associations de don d'organes. Quand il y a refus, ils mettent leurs offres en ligne. Ainsi un citoyen était prêt à vendre son rein à 50.000 D.T. Alors, les Tunisiens sont-ils si malheureux que cela ? Pour plusieurs, la situation est sérieuse. N'oublions pas que les études entreprises par l'Organisation internationale sont des indicateurs à l'intention des gouvernants afin qu'ils traitent les problèmes des citoyens et y apportent les solutions adéquates. Mais rappelons-nous aussi que le Tunisien est grognon. Un agriculteur, un homme d'affaires, un banquier, prospère, trouvera toujours quelque chose à redire sur sa situation. Même les politiciens, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, grognent. Le citoyen lambda, choyé et dorloté dans un 5 étoiles de luxe, se plaindra du garçon ayant répondu avec quelques minutes de retard à son appel, ou des boissons trop froides ou trop chaudes qu'on lui sert. Les touristes, eux, trouvent la Tunisie fort belle, et les Tunisiens accueillants, hospitaliers, serviables, souriants et pas... si malheureux que ça.