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Le chercheur porte la responsabilité de la mémoire collective
Interview avec Choukri Hmed, politiste et sociologue
Publié dans La Presse de Tunisie le 24 - 06 - 2016

Maître de conférences en science politique à l'université Paris Dauphine et chercheur à l'Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (Paris), Choukri Hmed fait partie des sociologues « debout ». Du terrain inédit des révoltes et révolutions arabes, il a tiré un numéro spécial de la revue Actes de la recherche en sciences sociales qu'il vient de codiriger avec le sociologue Laurent Jeanpierre. Un numéro extrêmement riche et dense intitulé : « Révolutions et crises politiques au Maghreb et au Machrek » (Seuil, mars 2016). Un document de référence pour tous ceux qui s'intéressent à la sociologie des acteurs. Ceux-là qui, en Tunisie, en Egypte, en Syrie et en Algérie, ont pris part à des mouvements de contestation du pouvoir il y a cinq ans.
En quoi à votre avis ce numéro d'Actes de la recherche en sciences sociales, la revue fondée par Pierre Bourdieu en 1975, apporte-t-il du nouveau par rapport à tout ce qui a été écrit et publié jusque-là sur les révoltes et révolutions arabes de l'hiver 2011 ?
A côté de notre volonté de contribuer à la compréhension des phénomènes révolutionnaires, deux raisons ont déterminé le travail sur cet ouvrage. Tout d'abord, la plupart des articles et des livres publiés sur les soulèvements de 2010-2011 se sont focalisés sur des lectures géopolitiques et secondairement économiques des événements. Sauf en de rares exceptions, ces travaux ne provenaient pas d'enquêtes de terrain à proprement parler, mais constituaient des essais ou des analyses à partir de données secondaires. Ensuite, beaucoup de ces recherches se fondent sur une vision culturaliste, qui réduit ces régions et ces sociétés qui se sont soulevées à la « nature » présupposée de l'islam et de l'arabité. Mais quid de la sociologie dans tout ça ? Qu'a-t-elle à nous dire à propos des groupes sociaux qui forment ces sociétés et de leurs interrelations, de leurs rapports de force et de leurs « poids » respectifs ? Modestement, notre dossier veut répondre d'une manière collective à cette question : que révèlent les situations révolutionnaires des sociétés tunisienne, syrienne, égyptienne et algérienne, les quatre cas qui sont traités dans le numéro ? On sait très bien qu'au sein des régimes autoritaires il y a toujours eu une volonté de destruction et de bâillonnement des sciences sociales, seules susceptibles de produire de la critique du système social, politique et économique, et de pointer ou de mettre à nu les inégalités et les rapports de pouvoir et de domination. En Tunisie, en Algérie, en Egypte, en Syrie et ailleurs dans le monde — on le voit au Japon, en Ouzbékistan et même dans les pays occidentaux —, les sciences sociales sont mises sous surveillance, ce qui empêche ou retarde la production d'un savoir autonome de ces sociétés sur elles-mêmes. Dans le cas paroxystique du monde arabe, le résultat est que ces sociétés se connaissent finalement peu ou très mal. Tous les auteurs font partie de ce qu'on pourrait appeler ces « sociologues debout », qui ont l'habitude de faire des recherches empiriques par entretiens et observation et ont ramené des matériaux de première main. Ils ont également bénéficié des avantages de la distanciation, retournant en Europe après leur terrain et ne restant pas immergés dans l'intensité de l'événement.
Vous avez mis cinq ans pour publier ce numéro sur « Révolutions et crises politiques au Maghreb et au Machrek ». Est-ce un temps suffisant pour les chercheurs que vous êtes ?
Un enjeu de taille, lié à la perception sociale du temps, s'est imposé à nos contemporains avant l'avènement de ces révolutions et crises politiques. Nous vivons en effet une période historique où le temps s'accélère de façon inédite notamment - mais pas seulement - à cause de la prédominance des nouvelles technologies de l'information et de la communication et de la division internationale du travail, très poussée. Au point, comme le dit Edward Lorenz, qu'un battement d'aile de papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas. Les façons d'organiser le temps dans nos sociétés, le rythme d'adoption des décisions politiques et plus largement les structures sociales en ont été profondément bouleversés. Dans cette conjoncture de plus en plus heurtée, surgissent parfois des crises politiques et des situations révolutionnaires où il devient très difficile d'anticiper sur le lendemain. Qui aurait pu imaginer par exemple que lors du dernier congrès d'Ennahdha, Béji Caïd Essebsi serait reçu avec tous ces honneurs ? Peut-on prédire ce que deviendra la Libye, l'Egypte ou la Syrie dans un très prochain avenir ? La réponse est non. Voilà pourquoi le sociologue ne peut pas rester les bras croisés à observer de loin, à attendre le dénouement des crises et la transformation de la conjoncture. Sans qu'il lui soit pour autant possible de prévoir l'avenir, il est tenu de s'engager, d'autant plus, comme je l'ai dit, que ces sociétés ne produisent pas beaucoup de réflexivité sur elles-mêmes, lorsqu'elles n'effacent pas purement et simplement les traces de leur histoire et de leur mémoire collective. Ainsi que reste-t-il aujourd'hui des sit-in de La Kasbah, des occupations de la place Tahrir ou des manifestations de Deraâ ? Avec nos coauteurs, nous nous sommes dits qu'il fallait prendre des risques, observer, scruter la réalité et constituer un corpus de matériaux scientifiques vérifiés et consultables pendant que le terrain était relativement ouvert (il s'est progressivement refermé depuis en Egypte et en Syrie). Il faut remarquer également que le temps du politique n'est ni celui de la recherche — avec ses contraintes liées au financement des missions, à la collecte des données, leur analyse et enfin l'écriture —, ni celui de l'édition. Enfin, les cinq années qui nous séparent des situations étudiées offrent un recul temporel qui facilite la distanciation ainsi qu'une meilleure distinction des événements et de leurs suites.
Les sciences sociales possèdent-elles, à votre avis, les outils d'analyse nécessaires et adaptés pour comprendre et décrypter des évènements inédits comme ceux de la révolution tunisienne par exemple ?
Les sciences sociales sont multiples, elles couvrent l'anthropologie, la sociologie, l'histoire, la science politique, les sciences économiques, la géographie... Chaque discipline ne peut pas revendiquer le dernier mot pour expliquer et comprendre les événements. Nous avons d'ailleurs cherché à travers cet ouvrage à décloisonner les savoir-faire et les champs disciplinaires. Ce qui était important de saisir, c'est la part de contingence, de hasard mais aussi d'histoire, de passé et de sédimentations (que la langue arabe rend bien avec le mot de tarâkumât), propres à toute révolution. Car comme le dit Charles Tilly, un sociologue états-unien qui a beaucoup travaillé sur ces phénomènes, « la loi primordiale des révolutions est qu'il n'y a pas des lois des révolutions ». Elles sont par définition inattendues et imprévisibles. Pour répondre à votre question, ce ne sont pas les outils scientifiques qui manquent non pour prévoir mais pour comprendre ces phénomènes complexes, mais les moyens financiers et humains permettant à des chercheurs maîtrisant ces outils et la langue du pays de travailler en profondeur sur les sociétés arabes.
Vous balancez dans ce numéro d'Actes entre la notion de « révolution » et celle de « crise politique » pour désigner les bouleversements qui ont ébranlé une partie du monde arabe il y a cinq ans. Dans le cas de la Tunisie, particulièrement, n'est-ce pas réduire la portée des événements que de qualifier de « crise politique » ce que les acteurs de ce 17 décembre-14 janvier nomment « révolution » ?
Il me semble que sur cette question, comme pour toute autre recherche sociologique, on doit effectivement écouter attentivement les acteurs, sans tout autant rester prisonnier de leurs catégories et de leurs façons de penser le monde social. Ça n'a pas été pour nous une position très confortable ni facile, en tant que chercheurs, que de qualifier les événements. D'ailleurs en Tunisie, dès le début de la situation révolutionnaire, s'est installée une lutte de définition entre les différents protagonistes politiques, certains parlant de rébellion, d'autres d'intifada, d'autres de coup d'Etat... La notion de crise politique entendue comme crise entre les différents champs qui composent une société pour avoir accès à la parole politique possède l'avantage de ne pas porter de jugement normatif sur la nature de la rupture historique qu'elle ouvre. Si elle inclut les situations révolutionnaires, la notion de « crise politique » n'implique pas non plus que celles-ci débouchent sur des issues ou des résultats révolutionnaires (un transfert de pouvoir d'une élite à une autre par exemple). Si toute révolution est une crise politique, toute crise politique n'est pas une révolution.
Dans ce numéro d'Actes, vous avez consacré un article aux deux sit-in de la Kasbah 1 et 2. Que tirez-vous d'important de ce travail de terrain mené entre janvier et février 2011 ?
J'étais en France lorsque s'est tenu le sit-in de la Kasbah 1 entre le 23 et le 29 janvier 2011. J'ai été littéralement happé par l'événement tout en pressentant, sans pouvoir dire clairement pourquoi, qu'il allait jouer un rôle primordial pour les jours et les mois à venir. Pourtant, je ne savais pas ce que j'allais trouver sur place. Je suis tombé sur des cercles de discussion politique très structurés, j'ai découvert à la fois une organisation, une retenue et ce défi de protester sur une place symbole du pouvoir, sous les fenêtres de l'Etat. J'ai fait des entretiens informels avec les protagonistes et aussi les détracteurs de l'occupation, pris beaucoup de photos, tenu au quotidien un carnet de terrain. Je n'arrivais pas à décoder ce qui se déroulait sous mes yeux, tout comme la plupart des participants d'ailleurs. Ce qui s'est passé sur cette place, notamment lors du second sit-in (20 février-3mars 2011), ne se limite pas à l'imposition de la solution de l'Assemblée nationale constituante aux hommes politiques, qui l'ont tous acceptée, y compris les membres du RCD. Au cours de cet événement, on remarque tout d'abord un énorme mouvement de la périphérie vers le centre dans toute sa dimension improvisée : ni la police ni les politiques n'ont voulu ou pu arrêter le voyage des personnes venues de Regueb, de Meknassi, de Kasserine ou de Sidi Bouzid en direction de la capitale. Ensuite, j'ai pu relever au cours des deux sit-in l'accès différencié des protestataires à la parole politique. Non seulement la place de La Kasbah a fonctionné alors comme un modèle réduit du champ révolutionnaire en cours de formation, mais c'est dans cet espace de manifestations et de délibérations que les individus sont littéralement devenus révolutionnaires. La Kasbah a incarné une forme d'institutionnalisation et d'invention de la démocratie. Il était important pour moi de faire revivre tout cela, d'autant plus qu'il n'y a pas eu d'articles de recherche écrits sur cet événement. Le chercheur porte aussi cette responsabilité sociale de participer à la non-évanescence des faits, particulièrement dans des régimes où une des fonctions de l'Etat et des groupes sociaux qui le constituent est justement de produire l'inverse.


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