Avec les nouvelles prérogatives qui lui seront accordées, la Cour des comptes sanctionnera tous les fautifs, sans exception, qui dilapident l'argent de l'Etat Le processus d'adaptation des législations tunisiennes aux dispositions de la Constitution du 27 janvier 2014 est lancé officiellement aussi bien au niveau de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) qu'à celui des instances concernées qui estiment qu'il est temps de réviser leurs attributions, de moderniser leurs méthodes de fonctionnement et de les doter surtout de l'indépendance financière et administrative leur permettant d'accomplir leur tâche dans les règles de l'art. C'est le cas de la Cour des comptes, une instance constitutionnelle présente sur la scène politique depuis la Constitution du 1er juin 1959 et dont on ne sait pratiquement grand-chose sauf qu'elle élabore un rapport annuel dans lequel elle passe au peigne fin les méthodes avec lesquelles l'Etat dépense l'argent public et dévoile les erreurs et les pratiques douteuses allant des marchés publics portant sur des dizaines ou des centaines de millions de dinars jusqu'à deux ou trois bons d'essence utilisés à tort par un inconnu chef de service dans une administration régionale ou locale. Et ce rapport annuel relatif toujours à l'année qui vient de s'achever est soumis au président de la République. On se contente généralement de placer le rapport en question dans les archives sauf en de rares exceptions quand on décide de le publier pour des raisons le plus souvent politiques. Une loi organique de 168 articles Hier, Abdellatif Kharrat, premier président de la Cour des comptes, a mobilisé ses juges pour les inviter à une réflexion générale sur le nouveau projet de loi organique (168 articles) qui fixera les compétences, l'organisation et les procédures de fonctionnement de cette institution. Le débat tourne autour d'un thème mobilisateur : «L'autonomie de la Cour des comptes : garantie de son efficacité». En d'autres termes, comment donner aux magistrats de la Cour des comptes l'opportunité d'exercer un contrôle effectif sur le fonctionnement des institutions de l'Etat de manière à ce que le citoyen sache réellement comment les deniers publics sont dépensés et sache aussi comment les contrevenants à la loi peuvent être sanctionnés. Pour le premier président de la Cour des comptes, «il est impératif que la Cour soit autonome financièrement. C'est elle-même qui doit élaborer son propre budget et le soumettre à une commission spécialisée du parlement pour approbation. Malheureusement, le gouvernement n'a pas pris en considération cette proposition avancée par la Cour bien qu'elle soit conforme aux dispositions de l'article 117 de la Constitution et aussi aux normes internationales telles que citées dans les déclarations de Lima et Mexico». La loi qui sera débattue prochainement au sein de l'ARP comporte 168 articles répartis sur neuf chapitres et prévoit une nouveauté de taille : «Toute personne ayant failli dans la gestion des fonds publics sera transférée devant la justice en dépit de l'immunité qu'accorde l'article 8 du Code de la fonction publique aux ministres et présidents des conseils municipaux élus et non désignés», précise Néjib Ktari, président de chambre à la Cour des comptes. Une autre nouveauté : la Cour des comptes s'appellera à l'avenir la juridiction financière. Ainsi, elle «contribuera à l'évaluation des programmes des établissements publics et contrôlera la mise en œuvre de la loi de finances par ces établissements afin d'appuyer les pouvoirs exécutif et législatif», ajoute-t-il. Oui à une Cour des comptes, non à une cour de règlement de comptes Pour le constitutionnaliste Kaïs Saïed, «il était temps que la Cour des comptes se rénove, modernise ses méthodes d'intervention et renforce les attributions de ses magistrats. Le projet de loi en question constitue un pas sur la bonne voie, mais attendons pour voir l'application. Le véritable contrôle est celui exercé par l'opinion publique qui doit être informée à temps, d'où l'impératif de publier les rapports de la Cour. C'est aussi l'affaire des associations de la société civile mais à condition qu'elles soient réellement civiles. Aujourd'hui, avec la floraison de ces associations et les moyens financiers énormes dont elles disposent, on ne sait plus pour le compte de qui elles agissent. Reste le citoyen intéressé par le sort réservé à l'argent public, il faut bien qu'il ait le droit d'ester devant la justice contre ceux qui dilapident impunément son argent». Le Pr Saïed ajoute : «Il faut aussi parachever les institutions constituant le Conseil supérieur de la magistrature : justice administrative, justice financière et justice judiciaire, comme le stipule l'article 112 de la Constitution. En Tunisie, nous disposons déjà de beaucoup de textes juridiques dignes des grandes nations démocratiques. Seulement, notre problème, c'est l'application de ces textes. Notre ambition est que la Cour des comptes, qui va changer d'appellation, soit une Cour des comptes et non une cour de règlement de comptes.