Par Samira DAMI Le TNT (Théâtre national tunisien) a présenté, à l'occasion de la Journée mondiale du théâtre (le 27 mars ), une semaine durant, soit du 24 mars au 1er avril, tout un programme qui a permis au public d'aller à la rencontre de huit spectacles dont «Rai Uno City» de Ali Yahiaoui, «Le chagrin des ogres» de Fabrice Murgia, «Clown dans la tempête» de Roberta Ciulli, «Ou ne pas être» de Anouar Chaâfi, «Dès que je t'ai vu», de Salah Falah, ainsi que deux pièces chorégraphiques, «Alhakomou Attakathor», de Néjib Khalfallah et «La nuit des étoiles», interprété par Essia Jaïbi et Sélim Ben Safia. La Journée mondiale du théâtre qui célèbre ses 56 ans a été créée en 1961 par l'Institut international du théâtre pour que le monde entier fête le 4e art comme une expression artistique favorisant le partage, le dialogue et l'amitié entre les peuples d'abord et entre les professionnels du théâtre, eux-mêmes, ensuite. Ainsi, durant la journée du 27 mars de chaque année, les hommes communient ensemble à travers le théâtre. Mieux, une personnalité du monde du théâtre ou une autre figure connue pour ses qualités de cœur et d'esprit est invitée à partager, à travers un message, traduit en 50 langues, ses réflexions sur le thème du théâtre et de la paix entre les peuples. Ce message est lu, lors de cette journée, dans tous les théâtres du monde avant chaque représentation et dans plusieurs médias audiovisuels de par le monde. Ainsi, des dizaines de milliers de spectateurs communieront spirituellement et affectivement grâce à ce merveilleux art. Depuis la création de cette journée, un grand nombre de dramaturges, écrivains, metteurs en scène et comédiens ont eu l'honneur d'écrire et de lire ce message international de paix. Le premier auteur à avoir lu ce message, en 1962, n'est autre que le grand Jean Cocteau. D'autres l'ont suivi : Laurence Olivier, Dario Fo, Arthur Miller, Michaël Tsarev, Ariane Mnouchkine, Luchino Visconti et autres. Cette année, l'honneur a échu à l'actrice et comédienne française, Isabelle Huppert (80 films et 80 pièces de théâtre), pour concocter ce message : «Le théâtre, c'est l'autre, c'est le dialogue, c'est l'absence de haine», a-t-elle notamment énoncé. Un message qui tombe à pic par ces temps qui courent dans un monde de plus en plus déshumanisé et intolérant. Mais, outre les messages qu'il véhicule, le 4e Art relève, d'autre part, de la création et de l'inventivité car plus les créations théâtrales ont la capacité d'étonner et d'émouvoir, mieux les messages passent et touchent le public. C'est pourquoi le théâtre devrait avoir la capacité d'attendre cet objectif, surtout par la qualité et l'inventivité. Tourments et étouffement Parmi les spectacles que nous avons vus lors de cette semaine de la Journée mondiale du théâtre organisée par le TNT, citons: «Alhakomou Attakathor» (fausse couche) de Néjib Khalfallah, une pièce chorégraphique de danse contemporaine d'une qualité certaine traitant de la dépression ambiante qui caractérise la phase de transition que nous vivons et qui est minée par «la course au pouvoir et au butin», les promesses en l'air, les espoirs avortés d'une révolution qui peine à voir naître un vrai projet politique, social et culturel. Une révolution qui s'est empêtrée dans la violence et la discorde. Maîtrisée techniquement, «Alhakomou attakathor» représente, à travers des corps en souffrance, agités, contractés, convulsés en mal de liberté et d'épanouissement, les tourments d'une société étouffée, hystérique et déprimée qui se morfond gravement. Ces corps fiévreux et ces âmes troubles, arpentant la scène, sont portés par une belle musique expressive de Mohamed Seddik Kekli. Ces corps, enfin purifiés, vont-ils finalement se libérer, se délier et se désenchaîner? Apportant ce zeste d'espérance et d'optimisme si nécessaire pour exister. Les danseurs et danseuses ont donc réussi à dégager grâce à une gestuelle et des mouvements souples et coulants à rendre une atmosphère de suffocation et d'étouffement. Nous avons vu également la pièce «Dès que je t'ai vu» de Salah Falah. Or, justement, cette production du TNT traite des relations sentimentale et sexuelle dans le milieu universitaire entre désir, possession, frustrations, déceptions amoureuses, séparation, conservatisme, résistance des tabous et désenchantement. Une pièce qui ose mais qui pèche par un trop-plein de discours façon constats et parachutage de leçons sur la nécessité d'une révolution sexuelle. Le discours primant, ainsi, sur la construction des personnages loin d'être l'incarnation d'une vie, d'un parcours, de traits de caractères, de sentiments, etc. Car, les personnages dans «Dès que je t'ai vu» sont plutôt des porteurs de discours et d'idées. D'où le manque d'épaisseur des personnages et d'action. D'où également les longueurs discursives qui émoussent l'intérêt pour un récit linéaire sans rebonds notoires. Or, le théâtre devrait avoir la capacité de saisir le public, d'étonner, d'émouvoir et de se renouveler au-delà des constats purs et durs et des discours suscitant l'ennui. D'où l'intérêt de la journée mondiale du théâtre qui a pour but de montrer la disposition de cet art à transcender le réel par l'imagination, la créativité, l'inventivité et l'émerveillement. Allez au théâtre!