Al muqadima est la revue scientifique de l'Association tunisienne de sociologie, ayant élu domicile à l'Institut supérieur des sciences humaines de Tunis. Dans son troisième numéro, paru en juin dernier, la revue, éditée par la Maison arabe du livre, nous offre une série d'exposés et d'écrits s'articulant autour du thème : «Identité et violence». Un thème qui a alimenté le débat lors d'une rencontre scientifique qui s'est tenue à l'Institut supérieur des sciences humaines de Tunis réunissant universitaires, sociologues et chercheurs. En avant-propos, le Pr Ridha Methnéni définit le sujet qui puise son importance dans la question de la crise identitaire et de son ampleur croissante. Elle figure les dessous d'une modernité et d'une mondialisation qui n'ont de cesse de révéler leur part maudite et leur lot de menaces, de conflits et de violence. Ce numéro nous invite, donc, à réfléchir sur la relation entre l'identité et la violence au croisement de différentes disciplines et angles de vue : celui de la philosophie, de l'anthropologie, de la sociologie, mais également de l'histoire. Al-muqadima nous présente, dans cette édition, un bon nombre de textes de sociologues et chercheurs du monde arabe, comme Bouhroum Abdelhakim d'Algérie, Mounir Saïdane, Habib Ennahdi, Jalel Ettlili et bien d'autres de Tunisie, Mohamed Naïme Farhat de Palestine et Ward Abdel Malek du Maroc. Entre autres exposés fort intéressants, le texte «Frontière, clandestinité et violence», signé Mehdi Mabrouk — sociologue et universitaire, expert en immigration clandestine — qui traite des flux migratoires et du paradoxe de la rigidité des frontières face à une hypermobilité instaurée par les nouvelles technologies et le développement des moyens de transport. Il s'intéresse à la violence des migrations clandestines. Du point de vue des genres Un texte de Samira Ayed, sociologue et universitaire, figure aussi dans ce troisième numéro, abordant la question de l'identité sexuée. Dans un texte intitulé «Identité sexuée et violence symbolique», elle avance que la notion de l'identité sexuée est «un sentiment d'appartenance à l'un des deux sexes que la biologie et la culture distinguent». Un sentiment qui est, selon ses termes, une croyance qui s'inscrit dans la tête de nos parents avant que nous ne l'approprions et qui impose une «socialisation du sexe» basée sur «le dressage du corps», parfois même à travers l'imposition d'épreuves violentes, visant à différencier et délimiter les espaces d'évolution (famille, école, travail…) des deux sexes. Mme Ayed avance qu'un «marquage social» vient s'additionner aux réalités objectives de la biologie et de la généalogie qui distribuent les rôles entre les deux sexes et construit cette «identité sexuée». Loin donc d'être acquise, cette identité demande des «mises à jour» contribuant à cette construction identitaire et cette différentiation des genres. Ceci se manifeste également dans les choix professionnels. Relevant davantage d'une question d'attitude que d'une question d'aptitude, les rôles sont, le plus souvent, distribués selon des «processus correspondant aux stéréotypes masculins et féminins». Par exemple, les femmes s'estiment généralement moins efficaces que les hommes dans les professions scientifiques. Ainsi, et selon Mme Ayed, les femmes sont prises dans des schémas de pensée qui incorporent ces relations de pouvoir. D'une certaine façon, elles adhèrent à cette «violence symbolique» en «s'accordant, en général, avec les hommes pour accepter les signes extérieurs d'une position de dominée et en appliquant les modèles de perception universellement partagés par le groupe considéré» selon les termes de Mme Ayed. Cette attitude émane de «la force symbolique» : «une forme de pouvoir qui s'exerce sur le comportement et qui opère sur des dispositions ancrées et intériorisées», sortes de ressorts déposés au plus profond du corps, selon le sociologue français Pierre Bourdieu. Et qui sont, en d'autres termes, les conséquences de l'apprentissage social et culturel qui font que «la femme accepte, tacitement, les limites imposées». Mme Ayed clôt son exposé en affirmant que ces catégorisations des deux sexes sont loin d'être éternelles et demeurent variables dans le temps et l'espace. Elle cite pour illustrer ces propos un travail qu'elle a réalisé sur la féminisation de la magistrature pour parler de «la féminisation rapide de professions jusque-là masculines». Elle affirme que, de nos jours, des recherches explorent “la sexuation” de champs aussi divers que celui de l'univers religieux, la question de la sainteté féminine, ou de la sexualité» conduisant à une meilleure compréhension «des enjeux symboliques de pratiques, de gestes, d'objets, de paroles, censés concourir à la construction de la féminité».