• Nouvelliste, spécialiste du patrimoine artistique et culinaire, elle a été surtout la première actrice de l'histoire du cinéma tunisien et arabe, et première scénariste aussi. Haydée Tamzali. Un nom familier, mélodieux et un brin mystérieux. Sa principale qualité est qu'il restera à jamais gravé dans le panthéon de la culture. Non seulement parce que celle qui l'a porté a écrit plein de nouvelles et d'articles ou encore quelques livres, mais aussi et surtout parce qu'elle a eu le privilège de devenir, dès le début des années 20 du siècle dernier, la première actrice de l'histoire du cinéma tunisien et même arabe selon plusieurs spécialistes. Les lecteurs de La Presse, connaissent certainement, du moins ceux du milieu des années 90, Haydée Tamzali qui, chaque dimanche, les gratifiait d'une nouvelle écrite dans un style attachant. Quand elle nous a invité chez elle, à Tunis, à la rue de Marseille, nous avons été ébloui par sa gentillesse, sa spontanéité, sa modestie, son élégance, sa courtoisie et surtout sa… beauté. Du haut de ses presque 90 ans à l'époque, elle était en superforme. Allure droite, fière et svelte, pas léger, yeux pétillants de vie et d'intelligence, et longue robe style caftan, turquoise et finement brodée au col… Comment oublier ici de parler de sa culture, immense, multiple, profonde… Ainsi, nous avons connu Mme Tamzali, fille du célèbre Albert Samama-Chikli, l'enfant prodige de la Tunisie. Celui qui a introduit dans notre pays la photographie, le cinéma, l'un des premiers à y promouvoir la radio avec ses postes TSF (transmission sans fil), l'automobile, le sous-marin, l'avion… Né à Tunis en 1872 dans une famille juive d'origine andalouse, Albert a marqué de son empreinte indélébile l'histoire technologique et artistique de la Tunisie. (Mahmoud Ben Mahmoud a réalisé un documentaire moyen-métrage en 1994 sur la vie et l'œuvre de cet illustre personnage). C'est dans cette ambiance imprégnée de découverte, de sensations fortes, de voyages qu'a grandi Haydée. Née à Tunis le 23 août 1906, elle est déjà actrice en 1921 dans ce film réalisé par son père où elle joue le rôle-titre «Zohra», projeté pour la première fois à Tunis le mercredi 21 décembre 1922. «Zohra», une naissance heureuse «Très jeune, mon père me fit tourner des courts-métrages qui m'habituèrent très vite au ronron de la caméra», confiait Haydée à notre consœur Souad Ben Slimane (voir La Presse du 8 septembre 1994) lors d'une interview chez elle à l'occasion du premier tour de manivelle du documentaire sur son père, déjà cité. Et d'ajouter : «Puis il commença le premier long métrage. C'était ‘‘Zohra'' ou ‘‘l'Odyssée d'une jeune Française en Tunisie''. Film semi-documentaire avec un fil léger d'intrigue fort bien construit qui instruisait sur la vie et les mœurs des bédouines». Dans ce film-là, Haydée eut la chance de monter dans un avion de chasse. Eblouis par sa beauté et son art, le célèbre cinéaste américain Rex Ingram, venu à la même époque tourner en Tunisie son film «L'Arabe», lui offrit un rôle ajouté spécialement pour elle et finit par convaincre son père, très réticent au début envers le projet, d'accepter de la laisser tenter sa chance. Chose faite. Mais Albert refusa catégoriquement de laisser Haydée, sa fille, raccompagner le cinéaste américain aux Etats-Unis où une carrière d'actrice l'attendait avec comme début un contrat de cinq ans à Los Angeles. Haydée venait à l'époque d'avoir un peu plus de 15 ans. «Ce fut mon premier chagrin…», confiait-elle dans cette même interview. Rebelote en 1924 avec «Aïn Ghezal» ou «La fille de Carthage». Un long métrage dont le scénario est le fruit de son inspiration et écrit par elle dans une œuvre de fiction dans laquelle elle a joué le rôle principal et qui a été de A à Z un film tunisien, fait entièrement par des Tunisiens et réalisé bien sûr par son père. Sa mère musicienne a, elle aussi, nourri sa verve pour l'art et accompagné ainsi ses premiers pas dans cet univers magique. L'année 1930 sera marquée pour elle par son mariage puis par son départ pour l'Algérie où elle a eu deux enfants. «Vivant en pleine Kabylie, elle continuera à écrire. Elle sera présidente des œuvres sociales, secrétaire de la Croix-Rouge, présidente de la ligue contre le cancer (…)», peut-on lire sur la dernière de couverture de son livre Images retrouvées. De retour à Tunis, elle continua à écrire et à s'intéresser aux activités culturelles en Tunisie mais aussi dans le monde. Son premier réflexe matinal était de feuilleter La Presse qu'elle recevait chez elle. Discrètement, Haydée nous quitta le 20 août 1998 tout en sachant sans doute que le cinéma tunisien est resté, en majeure partie, un cinéma tournant autour du sujet de la femme.