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Autodéfense du Japon : « On se dirige vers un amendement de la Constitution...» Entretien avec... M. Satoru Mori, professeur de politique internationale au Japon
A l'occasion d'une conférence qu'il a tenue la semaine dernière à l'Ecole nationale d'administration, Satoru Mori, professeur de politique internationale et spécialiste de la politique étrangère américaine au département de politique internationale à la Faculté de droit de Hosei au Japon, a accordé à La Presse un entretien. Il y défend la position officielle du Japon sur la question de la sécurité. D'après lui, son pays évolue dans un environnement aux multiples défis, qui lui impose, aujourd'hui, de renforcer sa coopération avec les Etats-Unis et de s'octroyer un statut juridique d'autodéfense Les pays asiatiques, comme les pays arabes, ne sont pas toujours enclins à coopérer ensemble. Pensez-vous qu'il y a un coût de «non coopération» entre le Japon, la Chine et les deux Corée principalement ? Oui, je pense que si les pays ne peuvent pas coopérer, les opportunités économiques seront perdues, la compétition au niveau sécuritaire sera intensifiée. Concernant l'Asie de l'Est, c'est différent de l'Europe par exemple. Nous avons différents systèmes politiques et donc le rapport au pouvoir est différent. Cependant, je crois que la diplomatie doit forger une compréhension commune de la meilleure manière de se comporter dans la région, à l'instar de la liberté de naviguer et de faire du commerce, etc. La diplomatie et la coopération internationale sont nécessaires en cela. Mais si cette compréhension commune et ses règles ne sont pas admises, je crois qu'il y aura un manque de confiance entre ces pays, et s'il y a un manque de confiance alors il y aura une course à l'armement. C'est ce qui se passe actuellement dans l'Est de l'Asie. Le résultat en est que des pays comme le Japon, avec les Etats-Unis, établissent un réseau de coopération dans le domaine sécuritaire. C'est une sorte de mise en place d'une coopération entre des pays qui partagent les mêmes valeurs. Pensez-vous que l'Asie a besoin de nouveaux leaders politiques qui réfléchissent autrement ? Je ne crois pas, car les leaders actuels sont en train de s'adapter à ce type de changements dans le paysage géostratégique. Tous les pays, depuis 10 ans, sont en train de changer leurs approches de la sécurité. Pourquoi est-ce que la Chine serait une menace pour la région ? Pourquoi craignez-vous l'initiative de la nouvelle route de la soie ouverte par la Chine ? Le Japon est prêt à coopérer sur certains projets d'infrastructure, notamment sur les projets ayant trait à l'énergie. Mais en même temps la Chine agit de manière unilatérale, ignore les autres pays et prend des actions très coercitives envers le Japon concernant les îles Senkaku. Ils ont envoyé des navires et des avions pour asseoir physiquement leurs positions. Ceci est très dangereux. La raison pour laquelle nous pensons que la Chine est un challenge sécuritaire est que nous nous basons sur leur comportement. Ce n'est pas une menace imaginaire. C'est pourquoi le Japon, les Etats-Unis mais aussi l'Australie et l'Inde, voient en la Chine un challenge. Cette année nous aurons un sommet Japon, Corée du Sud et Chine. Les trois pays vont probablement déterminer des aires de coopération. Après, je crois que le Premier ministre japonais Abe ira à Pékin. Et après le président chinois se déplacera à Tokyo. Bien évidemment, ces sommets ne vont pas tout résoudre, mais cela contribuera à stabiliser la situation. Pensez-vous que la coopération avec les Etats-Unis est plus profitable qu'une coopération entre les pays asiatiques ? Je ne pense pas que sans les Etats-Unis il puisse y avoir une stabilité. En raison de cette compétition entre les pays de l'Asie de l'Est. Pour le Japon, il n'a pas à choisir. Nous avons besoin des deux. Le Japon essaie de construire des alliances et essaie également de développer ses relations avec les pays de la région. Vous ne pouvez pas choisir. Le Japon veut plus de pression sur la Corée du Nord. Pensez-vous que la Chine doit faire mieux ? La Chine devient plus stricte vis-à-vis de la Corée du Nord. La chine voit en effet d'un mauvais œil le développement des armes nucléaires et des missiles à longue portée, car cela menace la stabilité. 90% du commerce extérieur de la Corée du Nord se fait avec la Chine et la Chine est fâchée contre la Corée du Nord, car elle a créé pour elle une sorte d'aire de laissez-passer, non pas pour qu'elle continue à développer des armes nucléaires. Donc la Chine met la pression actuellement sur la Corée du Nord pour que celle-ci mette un terme au développement de ses armes. Vous êtes optimiste pour l'avenir ? C'est difficile à dire. Il faut attendre ce qui sortira des différents sommets. D'abord, celui des deux Corée, puis le sommet entre les Etats-Unis et la Corée du Nord. C'est très difficile de prévoir ce qui va se passer, et nous ne savons pas si le sommet entre la Corée du Nord et les Etats-Unis va réellement avoir lieu. Dans l'opinion publique tunisienne, la Corée du Nord est souvent perçue comme un modèle anti-impérialiste, une sorte de pays intouchable même par les Etats-Unis. Vous semblez avoir une toute autre opinion là-dessus. Je crois que les Tunisiens doivent savoir que les Nord-coréens souffrent beaucoup. Ils ne peuvent pas manger à leur faim, acheter des vêtements. Il n'y a pas de démocratie... Quand ils disent quelque chose qui déplaît, ils sont emmenés dans des camps où ils sont obligés de travailler. Beaucoup de gens tentent de fuir la Corée du Nord. La confrontation avec les Etats-Unis n'est pas toujours une bonne chose. Les Etats-Unis n'ont pas besoin d'attaquer. Les sanctions sont là et obligent la Corée du Nord à venir à la table des négociations Ce n'est pas vrai de dire que les Etats-Unis ne peuvent pas toucher la Corée du Nord. Les Etats-Unis ont créé une coalition de sanctions qui a isolé la Corée du Nord. Ce pays souffre actuellement. Cela n'aide pas. La seule solution pour la Corée du Nord est de se reconnecter avec le reste du monde et de ne pas choisir de développer des armes nucléaires. Il n'est plus possible pour la Corée de s'enfermer dans une dictature militaire. Il y a un écart entre le dispositif militaire du Japon et ceux de ses voisins, à l'instar de la Chine et de la Corée. Pensez-vous que vous devez oublier la Seconde guerre mondiale et reprendre la politique de l'armement ? Peut-être aussi changer la Constitution ? Le Japon ne pourra jamais oublier la Seconde Guerre mondiale. Les Japonais sont pacifiques et parfaitement conscients aujourd'hui des limites de l'usage de la force. Mais la réinterprétation de l'article 9 qui permet au Japon de recourir à la défense collective à une échelle réduite est nécessaire. En fait, c'est ce déséquilibre des forces qui crée les conflits. S'il y a un déséquilibre, celui qui dispose d'une plus grande force pense opportun de l'utiliser, et ceci est très dangereux. La raison pour laquelle le Japon réinterprète l'article 9 pour élargir son pouvoir d'autodéfense réside dans sa volonté de réduire ou d'annuler le déséquilibre. Avec notre allié, les Etats-Unis, nous travaillons à réduire ce déséquilibre. Cela ne veut pas dire que le Japon fait une croix sur la paix. La vérité, c'est que pour maintenir la paix, vous devez avoir un équilibre des forces. Donc, le Japon a besoin de redresser la situation. Il est possible que le Japon augmente l'importation d'équipements militaires des Etats-Unis. Aujourd'hui, il y a d'ores et déjà une course avec la Chine. Le budget chinois de défense représentera 8% du PIB cette année. Pendant plusieurs années nous n'avons pas augmenté notre budget de défense. Mais la Chine ne réagit pas, elle a son propre plan. Nous devons donc répondre. La réinterprétation de la Constitution s'est faite en 2015 et nous avons actuellement une législation propre à la défense. Mais, aujourd'hui, on parle d'une révision de l'article 9 de la Constitution qui parle de paix et de sécurité, et il y a plusieurs propositions pour l'amender. Le Premier ministre et le Parti libéral démocratique défendent l'idée d'ajouter un troisième paragraphe à l'article 9 qui reconnaisse un statut juridique à l'autodéfense du Japon. Actuellement, la Constitution ne fait aucune référence aux «forces armées».