Aucune personne de bon sens ne pouvait espérer davantage, avec une équipe qui a été en fin de compte mal préparée et qui a été en «forme» plus tôt qu'il ne le fallait. Le mois de ramadan et le jeûne, c'est le choix et le droit de ceux qui sont concernés, n'ont pas arrangé les choses. Nous avons tous relevé que le rendement s'effilochait au fil des minutes de jeu disputées et en dépit de la longue période de récupération prévue par le calendrier des rencontres. Il y a des impératifs et obligations physiologiques qui sont incontournables. L'équipe de Tunisie en tout état de cause ne pouvait faire mieux, car ses deux principaux adversaires n'étaient pas venus pour faire un petit tour et puis s'en aller. Aussi bien Britanniques que Belges savaient ce qu'ils voulaient et comment procéder pour atteindre leurs objectifs. Une rigueur qui caractérise le jeu de ces deux écoles de football qui, tout en maîtrisant les aspects techniques, possèdent un large éventail de possibilités collectives pour s'imposer. Football et économie Nous aurons quand même bien des anecdotes à ressasser pour le plaisir : le 2.500e but marqué en Coupe du monde est l'œuvre d'un Tunisien (Ben Youssef) et le 2.501e est aussi une réussite d'un Tunisien (Khazri). C'est aussi le compteur bloqué depuis 1978 qui a été débloqué par cette victoire. Pour le reste, nous devons réfléchir plus sérieusement au devenir de ce football, car nous craignons qu'une fois la bulle éclatée, après quelques jours de ferveur, de passion mal contrôlée, tout redevienne comme avant. Si nous regardons de plus près les résultats de ces éliminatoires, nous relevons que toutes les nations dont l'économie est fragile ont calé. Certes, l'Arabie Saoudite dispose d'une économie et d'un régime financier importants, mais le calcul est fait sur la base d'une économie comme celle des pays européens ou sud-américains, donc hors pétrole. Tout est possible sur un match ! L'indice est important et confirme que sans des moyens conséquents et une organisation parfaite, ce football qui s'apparente à un véritable business, où des milliards sont brassés, des joueurs formés et «dressés» pour se battre pour être les meilleurs et qui a perdu tout son aspect (ou presque) sentimental, voire humain, n'a rien à voir avec celui qui est pratiqué chez nous, chez les Egyptiens ou les Sénégalais. Il n'en demeure pas moins que les Marocains et les Sénégalais qui bénéficient de l'apport de joueurs opérant à l'étranger à haut niveau et non pas dans des équipes de seconde zone, possèdent des «équipes» mais sont loin du compte en ce qui concerne l'ossature, l'organisation et la force d'un football de tradition capable de rivaliser avec les meilleurs. Ces équipes, comme la nôtre, sont capables de réussir un, peut-être deux matchs (tout est possible sur un match, dit-on), mais cela ne va pas plus loin. De toutes les façons et en tout bon sens, comment veut-on rivaliser avec des pays dont le football est mieux organisé, mieux encadré à tous les points de vue, alors que ce sport dans nos murs ne compte que trois ou à quatre équipes qui constituent la colonne vertébrale de cette discipline ? Avec tous les aléas d'une gestion approximative, des dettes faramineuses, des dirigeants et des techniciens assis sur des chaises musicales, un corps d'arbitrage qui se liquéfie, des installations en ruine, pourrions-nous espérer plus ? A tête reposée Il n'en demeure pas moins que le niveau a quand même évolué sensiblement. Les moyens de préparations sont meilleurs, plus scientifiques, la multiplicité des compétitions régionales a augmenté les chances de progression, la formation à laquelle on croit de plus en plus, l'apport d'une nouvelle génération de techniciens de valeur, la chasse aux binationaux a été plutôt bonne pour certaines nations. Cela a permis de gagner quelques galons sur l'échiquier international et on pourrait assurer que dans quelques années, à condition d'y mettre les moyens, nous aurons un véritable ‘Mondial' avec des équipes qui ne joueront plus le rôle de comparses ou de figurants. Au risque de nous redire, il faudrait cesser de considérer que les solutions sont en possession de ceux qui, en fin de compte, ne sont que des supporters et laisser la place aux techniciens, aux législateurs du sport et aux dirigeants directement impliqués, de mettre en place un véritable plan d'action de mise à niveau pour espérer relever la tête et faire œuvre utile. C'est dire que ceux qui, poussés par un authentique élan nationaliste pour lesquels ces résultats honteux, mais logiques sont restés en travers de la gorge devraient agir pour mettre en place la logistique, les moyens réglementant ce football professionnel et surtout une bonne infrastructure pour pouvoir commencer à rivaliser avec ceux qui comptent. Le football tunisien est capable de rivaliser avec des équipes moyennes du gotha mondial, à condition de cesser de s'enflammer pour des résultats ou en privilégiant les sentiments aux dépens des réalités du terrain et surtout de céder face aux véritables défis qu'il faudrait éviter à tout prix d'escamoter. La réorganisation de notre football (le fera-t-on ?) passe par des étapes douloureuses. C'est ce qui d'ailleurs fait peur aux autorités et que les responsables directs de ce sport veulent éviter. Mais cette «faiblesse», certains en tirent leur force, leur prestige et leur aura. Ils ont tout fait pour que l'état des lieux demeure tel qu'il est. Le plus longtemps possible, car sans ce magma, ils disparaîtront dans la poubelle de l'histoire de ce sport. Une décision politique De toutes les façons, le salut de notre football, du sport en général dans notre pays, est avant tout une décision politique : on doit absolument faire la différence entre amateur et professionnel. L'Etat n'a rien à voir dans ce professionnalisme où l'argent constitue le principal levier sollicité. Il doit mettre en place la réglementation qui balise et organise ce secteur pour éviter les dépassements éventuels et s'engager à fond, de tout son poids, pour le sport amateur et le sport scolaire, à l'effet d'en faire un socle solide et incontournable dans la formation du jeune citoyen. Le handball, le basket-ball, le volley-ball et même certains sports individuels sont déjà sur la pente savonneuse. Il n'y a qu'à voir la stabilité des effectifs des équipes pour en être convaincu : on va chez celui qui paie le plus et on n'hésite pas à tout plaquer pour aller en dehors des frontières pour gagner plus d'argent. C'est assurément légitime (les jeunes qui jouent à l'étranger progressent plus vite), mais pas dans ces conditions qui faussent tout aspect éducatif et pédagogique. Cette ferveur est donc légitime, mais elle ne suffit pas pour prendre la bonne décision. Il ne s'agit ni d'entraîneur, ni de fédération, ni encore de joueurs. Il s'agit de savoir ce qu'on veut, où on veut aller et avec quels moyens mettre un terme à cette confusion.